Auteur de l’ensemble des buts inscrits par ses Tigres en Coupe du Monde des Clubs, André-Pierre Gignac a permis à ses Felinos d’écrire une nouvelle page glorieuse de l’histoire du football mexicain. Et a conforté son statut si particulier en terres aztèques.

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Un doublé face à Ulsan, l’unique but de la victoire historique face à Palmeiras : en deux rencontres à la Coupe du Monde des clubs, André-Pierre Gignac a contribué à écrire l’histoire de Tigres en propulsant les Felinos du Nuevo León à la première finale de la compétition pour un club mexicain.

Pluie de records

En inscrivant trois buts en deux matchs de Coupe du Monde des clubs, le Français a réussi un exploit unique : devenir le premier joueur à marquer dans trois Ligues des Champions différentes (UEFA Champions League, Copa Libertadores, CONCAChampions) et en Coupe du Monde des Club, soit à toutes les compétitions internationales de club auxquelles il a participé (on peut ajouter ses trois buts inscrits en C3 européenne – le Brésilien Washington, passé notamment par São Paulo, Urawa et Fenerbahçe peut se targuer d’avoir marqué en Copa Libertadores, AFC Champions League et Coupe de l’UEFA). Au Mexique, avec cent-quarante-sept buts toutes compétitions confondues, le Français est tout simplement le meilleur buteur de l’histoire de Tigres, et affiche une moyenne folle de 0,6 but/match. Une performance que l’on peut ainsi diviser entre Liga MX et autres compétitions. En championnat, le Français a inscrit cent-vingt-six buts face à vingt-et-une équipes différentes (voir infographie). Sa victime favorite se nomme Pumas, trompé à treize reprises, devant le duo América / León, trompés dix fois.  À l’exception de la saison 2017/18, l’attaquant français a toujours inscrit plus de vingt buts par saison. Mieux, avec quatorze buts inscrits en vingt-et-un matchs de Liga MX, il marche sur les traces de son record de la saison 2015/16, inscrivant 0,66 but match. Mais si Gignac est décrit comme le facteur X de Tigres, c’est aussi et surtout car il conserve ce type de performances sur la scène internationale : un but en quatre matchs de Libertadores, quatorze en vingt-trois apparitions en CONCAChampions et désormais trois en deux rencontres de Coupe du Monde des Clubs. Dernier chiffre, soixante-cinq pour cent de ses buts ont été inscrits au Volcán. Au-delà du simple bilan statistique, la performance d’André-Pierre Gignac est marquante à bien des égards. Car elle n’est finalement que le simple reflet sportif d’une révolution française venue toucher le Mexique.

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Parfaite intégration

Ancien de Ligue 1 et alors à l’América, Silvio Romero nous confiait : « Je ne sais pas si cela serait aussi facile pour un joueur stéréotypé français, à cause du football qui se pratique là-bas. Gignac s'est bien adapté car c'est un joueur international, que l'on peut considérer au-dessus de la moyenne des autres joueurs français ». Bien évidemment, les qualités intrinsèques comptent lorsqu’il s’agit d’être performant dans un nouveau championnat. Mais pour marquer un championnat autant que Gignac l’a fait, il faut plus. La réussite sportive de Gignac repose évidemment sur une parfaite adaptation au jeu des Felinos sauce Tuca Ferretti. Elle est surtout liée à une grande capacité à se fondre dans un collectif. En décembre 2017, à peine le titre célébré, le Français intervient sur Univision : « J’ai commencé la saison en méforme, alors j’ai beaucoup travaillé pour retrouver mon niveau physique. Puis Enner (NDLR : Valencia) est arrivé et j’ai dû travailler pour l’équipe. Cette année, j’ai donné plus de passes décisives que les années précédentes, j’ai marqué moins de buts, mais j’ai travaillé pour l’équipe. Ce n’est pas une excuse pour expliquer que j’ai moins marqué, ce n’est pas cela. Quand je suis arrivé, Rafael Sobis était mon partenaire, désormais Enner est arrivé et si pour qu’il soit dans les meilleures conditions il faut qu’il soit celui qui marque et que je doive n’être que celui qui donne les passes pour qu’il soit le buteur, je le ferais avec plaisir. Je n’ai pas d’égo ». Ici est la clé de son succès sur le terrain. D’abord dans l’axe, dans un rôle de buteur libre de ses mouvements, APG s’est un temps replacé sur le côté sans jamais réclamer quelconque statut particulier. Et là où un Ronaldinho peu impliqué s’est totalement planté en terres aztèques, le Français a montré une capacité à s’imprégner de la culture locale, à se fondre en elle, sans commune mesure.

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La dédicace aux Libres y Lokos, la barra du club, dès son atterrissage, qu’il renouvelle en mondovision lors d’un amical disputé avec les Bleus, n’en est que la plus éclatante représentations : « Quand il fait le signe de la barra pour célébrer son but avec l’équipe de France face à l’Allemagne, ce fut vraiment spécial. Faire cela ne serait même pas venu à l’esprit des joueurs formés au club », témoigne Jonathan Llanes, l’un des leaders du groupe à France Football« Je n'avais jamais connu autant d'enthousiasme pour l'arrivée d'un joueur avant. Je me rappelle que le jour où il est arrivé à l'aéroport, il y avait des milliers de personnes qui l'attendaient. On éprouvait une étrange sensation de confiance et d'excitation. Il a toujours été très aimable et ouvert avec nous, comme s'il était un supporter de l'équipe. Il s'est même joint à nous une fois pour faire un match. Ce n'est pas quelque chose qui arrive souvent, surtout pour une star internationale », ajoute Samuel Reyes, autre leader du groupe à Vice. André-Pierre Gignac démontre que pour réussir sur le terrain au Mexique, il faut aussi et d’abord réussir en dehors. « La Liga MX a besoin de joueurs comme Gignac, un joueur qui s’est parfaitement intégré et comprend parfaitement le concept d’être joueur professionnel, non seulement le week-end sur le terrain mais aussi tous les jours, à l’entraînement, lors des activités sociales du club… », ajoute Andre Marín pour Marca. Le Français n’est pas arrivé pour s’isoler, il est devenu un Mexicain comme les autres, voire plus que les autres. Il participe aux tournois organisés par la barra, est toujours disponible, se fond dans son collectif, dans sa ville. Et de sa parfaite intégration s’en est suivie une révolution.

Vitrine mondiale

Lorsqu’André-Pierre Gignac débarque à Monterrey à l’été 2015, il affirme « je viens pour gagner le titre et la Libertadores ». Un discours loin d’être de circonstance lorsque l’on évoque alors un club qui n’a gagné qu’un titre en trente ans. Mais un discours qui annonce surtout un changement d’ambitions du côté de Monterrey. Il faut dire qu’APG n’arrive pas dans les circonstances « habituelles » lorsqu’il s’agit de joueurs ayant brillé en Europe. Jusqu’ici rares étaient les talents à quitter leurs clubs européens pour arriver au Mexique au top de leur carrière. Qu’ils se nomment Eusebio (Monterrey, trente-cinq ans), Emilio Butragueño (Celaya, trente-deux ans), Bebeto (Toros Neza, trente-cinq ans), Iván Zamorano (América, trente-quatre ans), Luis García (PueblaPumas, trente-trois ans) ou encore Ronaldinho (Querétaro, trente-quatre ans), tous avaient beau arriver de grands clubs européens, ils étaient surtout en fin de parcours. À peine auréolé d’une saison quasi parfaite à l’OM, vingt-et-un buts, uniquement devancé par Alexandre Lacazette et ses vingt-sept réalisations, et devant le duo Ibrahimović – Cavani (dix-neuf et dix-huit buts respectivement), le Français arrive au Mexique à la surprise de nombreux européens qui le voyaient céder aux sirènes d’autres clubs du continent. Qu’importe que la méconnaissance d’un championnat parmi les plus puissants de tout le continent (Nord et Sud compris) pousse certains aux moqueries, l’arrivée d’un joueur alors au sommet de sa forme n’est pas anodine et, plus que le simple fait d’accroître les ambitions du club universitaire, elle vient bousculer le paysage local et changer son image.

Avec APG, c’est une autre dimension qui s’ouvre : la visibilité mondiale. « Depuis qu’il est arrivé, la Liga MX est plus célèbre. Aujourd’hui en Europe, on connait Tigres, on connait la Liga MX grâce à André. Avant, elle ne vous intéressait pas », explique Tuca au micro de Canal Plus. Pour Samuel Reyes, la présence de Gignac reste « une grande vitrine pour notre club aux yeux du monde ». Une Liga MX qui suscite alors un intérêt hors de ses marchés habituels : « il a contribué au positionnement de la Liga MX sur le plan international », confie Jorge Badillo Nieto à El Economista« il a contribué au fait que l’on parle plus de la Liga MX, que les médias internationaux se déplacent pour le voir, que les supporters d’autres latitudes s’intéressent au championnat ». Lors de l’obtention de son premier titre avec Tigres, 45% des requêtes internet sur la Liga MX du monde entier viennent de France. Dans ses pas, trois autres Français tentent leur chance au Mexique (Delort, Kolodziejczak, Ménez) quand seul Amara Simba avait tenté sa chance à León deux décennies auparavant. L’EURO donne une autre dimension au Français et à la Liga MX. Une première fois lorsqu’il est inclus dans le groupe de Didier Deschamps, il démontre que l’on peut évoluer au Mexique et faire partie d’une sélection européenne majeure, n’en déplaise aux commentateurs français. Une deuxième fois lorsqu’il élimine Pepe et trouve le poteau du Portugal en finale de la compétition. Une action qui va hanter le Français (et le hante probablement encore), mais une action qui, pour bon nombre de Mexicains, montre qu’il est compétitif et de fait, que la Liga MX l’est aussi. Comme une prise de confiance supplémentaire. En plus de la lumière mondiale qu’il fait se braquer sur Monterrey, habitué jusqu’ici à vivre dans l’ombre de México ou Guadalajara, c’est sur le terrain que le Français fait que ses Tigres bousculent la hiérarchie locale. Et en conséquence, révolutionne le paysage local.

Dans les pas d’APG, les Felinos de Monterrey se hissent en finale de Copa Libertadores, performance que seul deux clubs mexicains étaient parvenus à réaliser (Cruz Azul et Chivas). Quelques mois plus tard, ils décrochent leur quatrième étoile en remportant l’Apertura à l’issue duquel le Français est élu meilleur joueur, et enchaînent avec deux finales de CONCAChampions et deux titres nationaux. En trois saisons, le club de Monterrey a doublé son total de titres et s’est hissé à la table des géants et totalement relancé un débat qui ne cesse d’agiter le pays : comment définir les grands du championnat ? Appellation généralement réservée à l’América, aux Chivas, aux Pumas et à Cruz Azul, ce club très fermé a depuis été bousculé par l’émergence des Toluca et autre Pachuca avant que tout Monterrey n’arrive à son tour.

En 2019, Tigres ajoute un septième titre national, le quatrième de l’ère Gignac, avant de décrocher enfin son Graal : la CONCAChampions 2020. Désormais sixième club le plus titré au Mexique (septième si l’on s’en tient aux titres nationaux), Tigres a changé de dimension avec son Français, vient directement s’opposer à des clubs comme l’América, jusqu’ici seul habitué à s’offrir les meilleurs étrangers, et dont le duel qui les oppose fait désormais se demander si le nouveau grand clásico du pays n’est pas celui-là. La calme région de Monterrey a vu ses Tigres initier un mouvement que les deux clubs de la ville ont suivi. Au point de prendre la place sportivement et médiatiquement. C’est aussi cela la révolution Gignac, celle qui fait que les caméras quittent Mexico ou Guadalajara pour aller se braquer au Nord. Celle qui redessine le paysage du football mexicain en succédant aux premières révolutions du début de siècle que furent Toluca et Pachuca. Dans l’histoire récente, à l'exception peut-être de Dejan Petković avec Flamengo, aucun Européen n’a autant changé un championnat latino-américain comme l’a fait Gignac. En confirmant désormais à l’international, le géant français suscite désormais un dernier débat au pays : et s’il était tout simplement le meilleur joueur étranger de l’histoire de la ligue ? S’il venait à offrir un titre aux airs d’exploits face au Bayern ce jeudi, nul doute que la question ne se posera alors plus.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.