En 1963, Flamengo et Fluminense s’affrontent pour un match décisif du championnat carioca et remplissent le Maracanã, avec une affluence dépassée seulement par la finale de la Coupe du Monde 1950, marquée par la tragédie du Maracanaço.

Pendant de nombreuses années, le championnat carioca se joue sur un format aller-retour, sans finale. La fédération de Rio de Janeiro programme cependant des clássicos lors de la dernière journée, certains devenant de fait des finales. En 1963, Botafogo est double champion en titre, battant un an plus tôt Flamengo sur le score de 3-0, pour ce qui est l’un des derniers grands matchs en carrière de Garrincha, qui illumine ce 15 décembre 1962 le Maracanã et ses 158 994 spectateurs.

Flamengo n’a plus remporté le championnat carioca depuis 1955, lorsque l’entraîneur paraguayen Fleitas Solich avait complété le tricampeonato après les titres de 1953 et 1954. Fleitas Solich reste au Flamengo jusqu’en 1962, avec quelques coupures, notamment pour entraîner le Real Madrid entre 1959 et 1960. Flamengo se sépare finalement du technicien paraguayen début 1962 et rappelle Flávio Costa, dix ans après son dernier passage au club. Finaliste de la Coupe du Monde 1950 avec le Brésil, Flávio Costa est alors l’entraîneur qui a remporté le plus de fois le championnat carioca, quatre titres avec Flamengo en 1939, 1942, 1943 et 1944 et trois titres avec le rival du Vasco, en 1947, 1949 et 1950.

Débuts convaincants

De son côté, Fluminense termine troisième aussi bien du championnat carioca 1962 que du tournoi Rio – São Paulo 1963, puis engage… Fleitas Solich. Le Tricolor aligne des vétérans comme le gardien-miracle Castilho ou la « Flecha Negra » Escurinho, mais aussi un latéral-droit de dix-huit ans, un certain Carlos Alberto Torres. Fluminense débute le championnat carioca 1963 par une victoire 4-0 sur Madureira avec notamment un doublé d’Edinho, puis enchaîne deux victoires 3-0, contre São Cristóvão avec un but sur penalty de Carlos Alberto, et contre Bonsucesso. Lors de ce match, le gardien Castilho est expulsé et remplacé par Escurinho, qui simule ensuite une blessure, les seuls changements autorisés à l’époque étant ceux pour remplacer un joueur blessé, ce qui permet l’entrée du gardien remplaçant Márcio. Fluminense remporte son premier clássico du championnat contre Vasco avant de céder son premier point avec un match nul 1-1 contre la Portuguesa.

De son côté, Flamengo a également dans son effectif quelques vétérans, qui ont remporté le tricampeonato 1953-1954-1955, comme Jordan et Dida, ainsi qu’un jeune prodige, Gérson. Le milieu de vingt-deux ans marque les deux buts du premier match de Flamengo, remporté face 2-0 face à Canto do Rio, et ajoute un but lors de la victoire 2-1 sur la Portuguesa, Dida complétant la marque. Gérson est pourtant poussé vers la sortie par Flávio Costa, le conflit entre les deux hommes datant de la finale du championnat carioca 1962 lorsque Gérson avait refusé de prendre Garrincha au marquage. Sans Gérson, Flamengo bat Botafogo, qui recrute au cours du championnat le « Canhotinha de Ouro », et enchaîne deux victoires 5-0, contre Campo Grande et Madureira. Flamengo engrange une sixième victoire de suite grâce à un succès sur Bonsucesso, où le seul but du match est marqué par le jeune Aírton Beleza, qui marque quelques mois plus tôt sept buts dans le même match avec la sélection brésilienne contre les États-Unis dans le championnat panaméricain. La série d’invincibilité de Flamengo prend fin avec une défaite 3-1 contre l’America au Maracanã. Un jour plus tôt, Fluminense connaît également sa première défaite du championnat, 1-0 contre Botafogo.

Les frères Karamazov

Fluminense retrouve le chemin de la victoire dès le match suivant alors que Flamengo enchaîne avec un match nul 0-0 contre Vasco puis une défaite contre Bangu. Flamengo bat ensuite São Cristóvão avec un but en fin de match d’Espanhol, né en Galice et qui arrive à Rio de Janeiro à douze ans. La première phase du championnat s’achève sur un 0-0 entre Flamengo et Fluminense, qui permet au Tricolor de conclure la phase aller en tête avec vingt-et-un points, un de plus que Botafogo et Bangu. Flamengo est quatrième avec dix-huit points et deux matchs de moins que Fluminense. Flamengo continue de perdre du terrain en enchaînant deux matchs nuls 0-0 contre Botafogo et Madureira avant de faire une remontée spectaculaire. Le club rubro-negro engrange six succès de suite pendant que Fluminense est tenu en échec par Botafogo et l’America. Avant la dernière journée, Flamengo est en tête, avec un point d’avance sur Fluminense. Le Fla-Flu de la dernière journée est décisif.

Trois semaines après l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, Flamengo et Fluminense, les « frères Karamazov » du football brésilien selon Nelson Rodrigues, s’affrontent au Maracanã pour le titre du championnat carioca 1963. La veille, la pluie est annoncée pour le jour du match et seulement dix mille billets sont vendus. Pourtant, le dimanche 15 décembre, Rio se lève avec un grand soleil et tous les cariocas, ou presque, partent en direction du Maracanã. Dès midi, trois heures avant le début du match, le stade est plein, 177 020 tickets sont vendus et avec les billets gratuits, l’affluence atteint même 194 603 spectateurs. Ce chiffre constitue un record pour un match entre clubs et pourrait même en réalité être plus élevé, certains profitant de la foule pour entrer dans le stade même sans billet. Le grand journaliste Mário Filho, qui a popularisé le terme « Fla-Flu » et la grandeur de cet affrontement, écrit : « C’était plus qu’un match. D’où l’air de Brésil – Uruguay. Il y avait une chose qu’on pensait impossible au Maracanã, mais elle est arrivée : on a vu, soudainement, quelqu’un glisser sur les têtes de la foule compacte ».

Parmi les spectateurs, un garçon de neuf ans qui deviendra l’une des plus grandes idoles de Flamengo, Júnior, comme il se souvient dans le livre Grandes jogos do Flamengo, da fundação ao hexa de Roberto Assaf et Roger Garcia : « J’étais au Maracanã pour le Fla-Flu de 1963. J’ai vu tout le mach sur les épaules de mon père, seu Leovegildo. On n’avait pas eu de place en tribune et on était allés dans la geral. J’avais neuf ans et seulement sur ses épaules je pouvais voir le match ». Radamés Lattari Filho, futur entraîneur de volley-ball et fils du vice-président de Flamengo à l’époque, assiste également au match. Dans le livre Carlinhos, um maestro no meio-campo rubro-negro de Renato Zanata et Bruno Lucerda, Radamés Lattari Filho explique : « Mon premier vrai match au Maracanã a été le Fla-Flu de 1963. J’étais déjà allé plusieurs fois au stade, mais c’était la première fois que je comprenais vraiment de quoi il s’agissait. Pendant le match, mon père me disait : “Fils, regarde l’élégance de Carlinhos”. Il était véritablement un crack comme joueur, entraîneur et homme. Ses attitudes sur et en dehors du terrain ont toujours servi d’exemple à plusieurs générations ». La foule impressionne également les joueurs sur le terrain, notamment le gardien flamenguista Marcial, vingt-deux ans et qui gagne sa place de titulaire au cours du championnat : « Il y avait à cette époque l’idée que l’équipe qui jouait pour le match nul finissait par perdre. Le match nul était pour nous. […] C’est un match inoubliable. Le Maracanã, avec quasiment deux cent mille personnes, les supporters de Flamengo qui attendaient un titre depuis 1955. Mais, malgré tout, j’étais tranquille ».

La superstition concernant la défaite finale de l’équipe qui a besoin seulement d’un match nul pour être champion vient de 1950, lorsque le Brésil perd la Coupe du Monde contre l’Uruguay alors qu’un match nul suffisait à être champion. Autre point commun avec 1950, en plus du Maracanã quasi comble, la présence sur l’un des bancs de Flávio Costa. Comme en 1950, Flávio Costa a besoin d’un match nul pour être champion et adopte cette fois une posture défensive, plaçant Carlinhos au marquage d’Oldair. Pour le Jornal dos Sports, Álvaro Queirós écrit : « Carlinhos est l’un des rares survivants de l’équipe rubro-negro lorsque Flávio Costa a repris la direction technique de Flamengo, en 1962. Milieu de terrain et grand responsable de l’assurance de l’équipe au milieu, Carlinhos est surnommé l’Araignée pour le fait de, selon ses coéquipiers, posséder plus de deux jambes lors des duels avec ses adversaires. Ses caractéristiques essentielles sont le calme et la classe. Académique, il est peut-être le dernier des milieux classiques que le Brésil a connus. Défenseur impeccable et efficace, doté d’une habilité rare dans le contrôle du ballon, Carlinhos est appelé le crack des ballons propres grâce à la précision de ses passes. Gérson a été l’un des grands bénéficiaires de son efficacité ». Comme Gérson, parfaitement remplacé au milieu de terrain par Nelsinho, Flávio Costa pousse doucement vers la sortie des cadres de l’équipe, certains vainqueurs du tricampeonato, comme Joubert, Jordan et Dida. Alors meilleur buteur de l’histoire de Flamengo, Dida est expulsé contre Madureira trois semaines avant le match contre Fluminense, et ne joue plus jamais avec le club rubro-negro.

Duel de mineiros

En première période, avec l’obligation de la victoire, Fluminense part à l’attaque. Contrairement à la finale de la Coupe du Monde 1950, Flávio Costa adopte une posture défensive et subit le jeu. Un duel du Minas Gerais se dessine dans le match, Marcial, gardien de Flamengo et originaire de Tupaciguara, s’impose à deux reprises devant l’ailier Escurinho, né à Nova Lima. Marcial effectue notamment un arrêt du pied, où tout le Maracanã retient son souffle comme un seul homme. La majorité du Maracanã explose ensuite lorsque l’ailier virevoltant de Flamengo, Espanhol, surnommé « le cavalier de l’espoir », se joue d’Altair, qui tombe même au sol, instant immortalisé par une photographie souvent reprise pour parler de ce match. À la mi-temps, Flamengo se plaint de deux penalties oubliés sur Espanhol et Aírton, mais le score reste à 0-0. Flamengo reste le champion, Flávio Costa reste serein et déclare à la pause : « L’important est de jouer et d’oublier qu’il y a un arbitre. J’ai confiance en mon milieu de terrain, qui sera la pièce-maîtresse en deuxième période. On va gagner ce titre ».

En seconde période, Carlinhos fait du Carlinhos et règne en maître absolu au milieu de terrain. Le lendemain du match, le Jornal do Brasil écrit : « S’il n’y avait pas eu la sérénité neurotique de Marcial et l’efficacité technique de Carlinhos, le système défensif de Flamengo se serait facilement écroulé ». Lorsque Fluminense parvient enfin à s’approcher des buts de Flamengo, il tombe sur un Marcial qui semble infranchissable. « Ce gardien est si calme qu’on peut penser que c’est forcé », glisse à son ami le dirigeant botafoguense Carlito Rocha, également présent en tribune. En fin de match, l’atmosphère se tend encore un peu plus et, comme en 1950, le Maracanã devient un personnage à part entière du match. Le Fla-Flu vit ses instants les plus dramatiques depuis 1941, où Fluminense, qui avait cette fois besoin du match nul pour être champion, avait, selon les écrits de Mário Filho, envoyé les ballons directement dans le lagon de Gávea pour écouler le temps. Le lendemain du Fla-Flu de 1963, la Tribuna da Imprensa écrit : « L’envie avec laquelle les rubro-negros se sont lancés dans la lutte, cherchant à rattraper chaque faute, aidant le partenaire battu, se déployant à chaque pression de l’adversaire, c’était une souffrance qui enflammait la majorité de cette immense masse de supporters, consciente que le 0-0 suffisait pour rendre effectif un Carnaval encore distant. Et même dans le dernier quart d’heure, quand Flamengo se convainquit que la lutte pour le match nul devait être redoublée, les supporters ne protestèrent pas. À chaque ballon tiré avec rage, de n’importe quelle façon, vers l’avant, sur les côtés, explosaient des applaudissements. C’était comme si la génération rubro-negra actuelle vengeait la génération de 1941, quand Fluminense a gagné avec les ballons dans le lagon ».

À la différence de 1950, Flamengo conserve le match nul grâce au soutien bruyant du Maracanã et de ses 194 603 spectateurs. Cependant, Carlinhos se souvient d’un silence pesant, à la manière du dernier quart d’heure du Maracanaço : « Même si je vis cent ans, je ne peux pas oublier le 0-0 contre Fluminense en 1963. Cela a été des minutes de tension et de lutte. Les supporters, d’habitude si bruyants, ont seulement réussi à crier à la fin du match et à partir de là, cela a été un carnaval dans toute la ville ». À cinq minutes de la fin du match, le Maracanã retient une nouvelle fois son souffle. Escurinho entre dans la surface côté gauche et tente de lober Marcial, alliant parfaitement force et toucher. Marcial semble lobé, proche d’encaisser un but qui offrirait le titre à Fluminense. Quarante-cinq ans après le match, Marcial explique à Roberto Assaf : « Le match a été très disputé, les deux équipes avaient le même niveau et j’ai effectué au moins trois grands arrêts. Celui qui est entré dans l’histoire et qui a aidé à laisser mon nom dans l’histoire, est celui sur la frappe d’Escurinho, en toute fin de match, où il a tenté de me lober. Les supporters de Fluminense commençaient déjà à célébrer, mais j’ai fait deux pas en arrière, je me suis étendu et j’ai détourné le ballon. J’ai joué aussi pour l’Atlético Mineiro, le Corinthians et même la sélection brésilienne, mais le Fla-Flu de 1963 a été sans aucun doute le match le plus important de ma carrière ».

L’action est également restée dans la mémoire de Júnior, toujours perché sur les épaules de son père en tribune : « Je me souviens que sur le dernier ballon, Escurinho, l’ailier de Fluminense, a quasiment marqué. Je me souviens que j’ai fermé les yeux et j’ai seulement entendu la foule délirant avec la fin du match et l’équipe championne. Commençait ici la joie d’être rubro-negro ». Flamengo tient le 0-0 et devient champion, en terminant avec la légende que l’équipe qui a besoin du match nul finit par perdre. Le Maracanã part pour un carnaval qui s’étend à toute la ville de Rio. Espanhol, qui succède à Garrincha comme meilleur ailier-droit du championnat, signe quelques mois plus tard à l’Atlético de Madrid, où il remportera trois fois le championnat espagnol, disputant également la Coupe du Monde 1966 avec l’Espagne. Carlinhos prend lui sa retraite en 1969 à Flamengo, seul maillot qu’il porte au cours de sa carrière avec celui de la Seleção, où il compte une seule sélection, quelques mois après le Fla-Flu de 1963. L’autre héros du match, le gardien Marcial, prend sa retraite à seulement vingt-six ans afin de continuer ses études de médecine.

Par son affluence et son dénouement dramatique, le Fla-Flu de 1963 semble ne jamais se terminer, éternisé par les récits des plus grands journalistes. Armando Nogueira écrit ainsi : « Flamengo a remporté le titre de champion 1963 beaucoup plus avec les nerfs qu’avec le cœur. Les nerfs de Flamengo ont été les nerfs du gardien Marcial : Fluminense attaquait, pénétrait, frappait le ballon, se rapprochait, frappait au but et Marcial démoralisait le gigantesque effort de Fluminense avec la simplicité d’un vieux mineiro à rouler une cigarette au fond d’une fazenda ». Supporter acharné de Fluminense, Nelson Rodrigues rend pour sa part hommage aux supporters de Flamengo : « Je disais que le prophète avait raison dans la question du mérite. Le Tricolor est le meilleur, a été meilleur, a une meilleure équipe. Mais il y a, évidemment, un champion officiel, qui est Flamengo. Et j’ouvre ici un chapitre pour parler de la joie rubro-negra, sainte joie qui court encore dans la ville. Rien n’est plus beau que l’euphorie de la masse flamenga. […] Même si j’avais été un Dracula, j’aurais été touché par cette joie qui envahit, remplit, inonde la ville. Je ne sais pas si l’équipe de Flamengo, comme équipe, mérite le titre. Mais l’immense, la poignante, la dévouée torcida rubro-negra le mérite beaucoup plus. […] Quelle chose magnifique, incomparable, la joie des rubro-negros. Dans son hurlement, au son du sifflet final, elle a ému le Maracanã dans ses racines éternelles ». Soixante ans plus tard, le Fla-Flu de 1963 reste encore aujourd’hui, et probablement pour l’éternité, le match de clubs à avoir rassemblé officiellement le plus de spectateurs dans un stade de football.

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.