Après une préparation où le Brésil a émerveillé la planète football aussi bien par son collectif que par des exploits individuels, la Seleção débute la Coupe du Monde et continue de combiner beau jeu et résultats.
Episode 1 : Telê Santana prend en main la Seleção
Episode 2 : Derniers préparatifs avant la Coupe du Monde
Brillant lors de la préparation, le Brésil de Telê Santana débute la Coupe du Monde le 14 juin 1982, jour où l’Argentine perd définitivement la Guerre des Malouines. L’adversaire du Brésil est redoutable, l’URSS, l’une des deux équipes à avoir battu la Seleção de l’ère Telê. En l’absence de Toninho Cerezo pour suspension, le sélectionneur brésilien surprend en titularisant Dirceu plutôt que Paulo Isidoro, titulaire vingt fois sous la direction de Telê. Zico se procure la première occasion du match, mais le gardien Rinat Dasaev intervient. Invaincue depuis vingt-trois matchs, l’URSS réagit avec une tête de Andriy Bal, qui passe à côté des buts de Waldir Peres. Serginho obtient quatre occasions, dont une après un double une-deux sensationnel avec Zico, mais tire à chaque fois hors cadre. « Lors de ce match, on avait de la peine pour Serginho, car il a eu beaucoup d’opportunités, il a raté beaucoup de buts. Nous massacrions l’Union soviétique et Dasaev arrêtait tout », rappelle Zico dans le livre Sarriá 82, o que faltou ao futebol-arte ?, de Gustavo Roman et Renato Zanata.
Un premier match difficile
À la trente-quatrième minute de jeu, après un beau mouvement collectif, Andriy Bal tente sa chance de loin et profite d’une faute de main de Waldir Peres pour ouvrir le score contre le cours du jeu. Volodymyr Bezsonov manque de doubler la mise alors que Serginho, après un jeu en pivot, ne parvient toujours pas à trouver le cadre. Le Brésil rentre aux vestiaires avec un but de retard et Telê encourage ses joueurs à tenter leur chance de loin, en même temps qu’il remplace Dirceu par Paulo Isidoro, afin d’épauler le latéral Leandro, esseulé sur le côté droit en première période. Pour Jornal do Brasil, João Saldanha écrit le lendemain du match : « L’entrée en jeu de Paulo Isidoro a tout changé, j’espère que cela servira de leçon. En plus de très bien jouer, il a redonné confiance aux autres. Sócrates par exemple, après avoir souffert en première mi-temps, a pris le contrôle du match. Zico, qui voulait faire la différence, avait du mal et s’est amélioré. Serginho, isolé en première période, trouvait des partenaires dans la surface. L’amélioration de l’équipe avec l’entrée de Isidoro a été si spectaculaire que j’espère que Dirceu ne sera plus aligné. J’ose espérer que seul Cerezo entrera à sa place de toujours et rien de plus n’arrivera ».
En seconde période, le Brésil se montre plus dangereux, notamment par l’intermédiaire de deux frappes lointaines de Leandro, mais continue de buter sur Dasaev. Serginho échoue encore à cadrer, tout comme Éder, dont les deux frappes passent au-dessus des buts de l’URSS. À la soixante-quatorzième minute, Sócrates élimine deux joueurs et frappe de loin. Dans le livre Socrates d’Andrew Downie, le Doutor revient sur l’action : « Nous devions gérer le fait d’être menés pendant presque tout le match. Nous étions dans une inquiétude permanente. Nous essayions de tout faire pour nous approcher du but adverse. Leur défense et le talent de leur gardien nous faisaient peur, nous empêchaient de réaliser notre rêve. Et le ballon est arrivé sur moi, devant un mur de joueurs prêts à verser leur sang pour m’arrêter. J’ai feinté, dribblé, feinté encore et un espace s’est ouvert. J’ai mis toute l’énergie que j’avais et ce cri a retenti : Buuuuuuut ! Non, pas un but. Un orgasme sans fin. Inoubliable ». Le Brésil égalise et dans la foulée, Luizinho, qui aurait déjà pu concéder un penalty en première période pour une poussette sur Shengelia, commet une main dans la surface, non-sifflé par l’arbitre Augusto Lamo Castillo, qui ne réapparaît plus en tant qu’arbitre principal du reste du tournoi.
À deux minutes de la fin, sur le côté droit délaissé en première période, Paulo Isidoro transmet à Falcão, qui laisse passer intelligemment entre ses jambes pour Éder. Le joueur de l’Atlético Mineiro soulève le ballon et enchaîne avec une frappe en dehors de la surface pour marquer l’un des plus beaux buts de l’histoire du Brésil en Coupe du Monde. Étonnement ignoré par Cláudio Coutinho dans la liste des convoqués pour la Coupe du Monde 1978, Falcão réussit quatre ans plus tard ses débuts dans le tournoi. Trois semaines avant la Coupe du Monde, Alberto Helena Júnior rendait déjà hommage au joueur de la Roma : « Falcão, pour être un des rares milieux du football moderne capable de combiner en son jeu des éléments caractéristiques du crack complet (créativité, vision de jeu, contrôle, combativité, précision des passes, endurance), permet d’apporter au secteur noble de l’équipe cette touche de classe qui, ajoutée à l’agressivité naturelle de ce joueur, donnent la tant souhaitée rapidité pour passer le ballon de la défense à l’attaque, sans que la défense ne soit exposée ». Difficilement, le Brésil débute la Coupe du Monde par une victoire et attend le retour de Toninho Cerezo dans l’équipe titulaire.
Le carré magique sauce brésilienne
La veille du match contre l’Écosse, Telê Santana confirme Toninho Cerezo comme titulaire : « Cerezo est très important pour l’équipe aujourd’hui. C’est l’un des meilleurs joueurs brésiliens et il n’a pas joué contre l’URSS seulement parce qu’il était suspendu ». Au milieu de terrain, Falcão est même prêt à laisser sa place pour permettre à Toninho Cerezo de jouer : « Cerezo est un crack, il a une mobilité et une capacité de récupération impressionnantes, qui manquent à la sélection. Avec lui sur le terrain, le travail au milieu peut être fait avec plus de calme et de précision, car il peut distribuer le jeu et faire le lien entre la défense et l’attaque comme personne. Donc si c’est le cas, je sors de l’équipe avec toute l’humilité, je lui laisse la place et je vais applaudir Cerezo ». Falcão est finalement conservé dans l’équipe et c’est une nouvelle fois l’aile droite qui est sacrifiée, avec la sortie de Paulo Isidoro. Entre sens du collectif et volonté de jouer dans les meilleures conditions, Toninho Cerezo regrette la décision : « Sincèrement, je ne trouve pas cela juste de retirer Paulo Isidoro de l’aile droite pour que je puisse jouer. Il connaît mieux le poste, il a été très bon contre l’URSS et a aidé le Brésil à renverser le match. Évidemment je veux entrer dans l’équipe et je suis ici pour répondre aux demandes de l’entraîneur, faire du mieux possible, mais j’aimerais jouer au milieu, à mon vrai poste, avec Paulo qui continue au sien ».
Telê Santana aligne donc son quatuor magique au milieu de terrain, sans ailier-droit. Dans son livre Telê e a Seleção de 82, da arte à tragédia, Marcelo Mora écrit : « Cerezo n’avait pas le talent raffiné de Sócrates, il ne faisait pas de dribbles incroyables ou des ouvertures précises comme Zico, et n’éclaboussait pas de son élégance comme Falcão, bien au contraire. En synthèse, Cerezo était l’antithèse du crack. Paradoxalement, c’était un crack. Il portait le piano et en jouait en même temps, c’était cela son art. Avec Cerezo sur le terrain, le football de la Seleção était fluide, sans entrave. La canarinha volait, planait ». Pour l’arrière-gauche Júnior, « Telê n’a jamais caché qu’il voulait mettre les quatre monstres ensemble. Parce qu’ils étaient ce que le football brésilien avait de meilleur à ce moment au milieu : technique, intuition et principalement la capacité de lire le jeu, savoir ce qu’il se passait sur le terrain ». Le milieu du Brésil est donc formé par quatre joueurs d’exception, qui représentent en plus les quatre plus grands États brésiliens au niveau du football : Rio de Janeiro avec Zico, São Paulo pour Sócrates, le Rio Grande do Sul de Falcão et enfin le Minas Gerais avec Toninho Cerezo.
Brésil sans ailier
Le Brésil affronte l’Écosse à Séville, cette fois au stade Benito-Villamarín, et, comme contre l’URSS, encaisse le premier but du match sur une frappe imparable de David Narey. Quinze minutes plus tard, Zico égalise d’un coup franc sensationnel en lucarne. Après avoir passé la Coupe du Monde 1978 isolé sur le côté gauche, Zico doit cette fois se déporter à droite pour combler l’absence d’un ailier. Dans le livre As melhores seleções brasileiras de todos os tempos de Milton Leite, Zico rappelle : « Lors de ce match, nous avions encore des difficultés pour occuper l’espace sur le côté droit. J’ai passé toute la première mi-temps sur la droite. À la mi-temps, j’ai dit que si c’était pour jouer ailier-droit, je préférais sortir. L’alternance que nous avions définie n’arrivait pas. Tout le monde a compris, les mouvements ont fonctionné en seconde période et les choses ont été plus faciles ».
Photo : Keystone/Getty Images
Dès le retour des vestiaires, après un dribble sensationnel, Sócrates obtient un corner, tiré par Júnior et repris victorieusement par Oscar. Le Brésil passe devant puis ajoute un troisième but, Éder, bien servi par Serginho Chulapa, ajuste parfaitement son lob pour tromper Alan Rough. En fin de match, Falcão trouve le petit filet d’une frappe en dehors de la surface et porte le score à 4-1, score final. Brillant tout au long de la rencontre, Falcão s’impose définitivement dans l’équipe titulaire et fait taire les réticences initiales de certains coéquipiers : « Je crois que certaines personnes pensaient que j’étais un intrus et au fond, peut-être que je penserais la même chose si j’avais été dans le groupe initial et que l’entraîneur avait appelé quelqu’un qui n’avait pas participé à la préparation, à la vie quotidienne du groupe. […] Personne ne m’a maltraité, mais il était clair que je n’étais pas pleinement accepté ». L’expérimenté sélectionneur écossais Jock Stein retient de son côté la prestation globale de la Seleção et déclare : « Le Brésil sera champion du monde ».
Rare ombre au tableau, la nouvelle prestation décevante de l’avant-centre Serginho Chulapa, qui enchaîne les maladresses. Craignant un nouveau débordement de son caractériel buteur, Telê Santana met en garde Serginho et lui demande de ne pas répondre aux provocations adverses. Le président de la CBF, Giulite Coutinho, et même le président du Brésil, João Figueiredo, avertissent de la même manière Serginho, qui explique dans le livre O artilheiro indomável de Wladimir Miranda : « Ils m’ont fait un lavage de cerveau. Si j’avais été expulsé, j’aurais dû quitter le pays. Telê était celui qui me demandait le plus de ne pas faire de vagues. Si j’avais été champion comme cela, OK, j’aurais été heureux. Cela aurait tout compensé, prendre des coups aux chevilles, aux jambes. Je regrette de ne pas avoir été celui que j’ai toujours été. De sauter les coudes écartés, donner des coups de coude. Contre l’Écosse, j’ai fait tomber un mec et je l’ai relevé. J’ai pensé : “Bordel, je ne suis pas comme ça”. Normalement, si un coéquipier prenait un coup d’un mec et je pouvais rendre ce coup, je le rendais ». Le célèbre chanteur João Gilberto, supporter de Vasco, mène une campagne pour la titularisation de Roberto Dinamite, mais l’attaquant vascaíno est en difficulté avec son club et Telê fait finalement entrer Paulo Isidoro au moment de sortir Serginho. Le milieu à quatre et l’absence d’un ailier droit ne convainquent pas non plus pleinement João Saldanha : « Lors du match contre l’Écosse, c’était évident que Zico, Sócrates et Cerezo n’acceptaient pas l’alternance sur le côté droit, car cela est impossible à mettre en place sur le long terme. Cela peut être le cas sur une action isolée, qui coïncide avec le placement épisodique des joueurs, mais c’est impossible comme tactique permanente ».
Malgré ces difficultés, le Brésil a réussi des actions d’éclat, aussi bien individuelles que collectives, et se qualifie pour le second tour. L’après-match contre l’Écosse est resté gravé dans la mémoire de Sócrates, appelé pour un test anti-dopage, où la FIFA met à disposition des joueurs des boissons, alcoolisés ou non. Dans le livre Socrates d’Andrew Downie, le Doutor se rappelle de ses difficultés pour réaliser le test : « Quand le type a ouvert le frigo, je me suis efforcé de masquer mon sourire. C’était merveilleux ! Je buvais ma deuxième canette de bière quand je me suis aperçu que les autres avaient déjà terminé. Je ne me sentais pas du tout prêt ! Pour être honnête, je n’avais aucune envie que ça se finisse. J’ai bu toute la bière qu’il y avait, puis je suis passé au champagne. Toujours rien. Idem avec le vin et les sodas. Ce n’est que trois heures plus tard qu’ils ont eu leur échantillon. Quand j’ai quitté le stade, toute l’équipe était déjà partie, mais j’étais le plus heureux des hommes. Un des plus beaux jours de ma vie ». Interviewé par Folha de S. Paulo, Sócrates rêve de soulever le trophée : « Parfois, je pense à la coupe. Il serait injuste que seul le capitaine la soulève. Tout le monde doit participer. Je ne voudrais pas reproduire le geste d’autres capitaines brésiliens, que des photos ont immortalisés tenant le trophée Jules-Rimet. Il faudrait trouver un moyen pour qu’on le soulève et qu’on pose ensemble. Les onze joueurs et tous ceux qui peuvent tenir sur la photo : les remplaçants, le staff… ».
Le Brésil est déjà qualifié pour le second tour, mais Telê aligne ses titulaires pour le troisième match, face à la Nouvelle-Zélande, alors que l’absence d’un ailier-droit continue de faire polémique. Dans la presse, Zico s’agace de son rôle dans l’équipe : « Je vais jouer sur la droite, quittant mon véritable poste et où j’aime jouer par imposition tactique, nécessaire à l’équipe, importante à ce moment et car Falcão et Cerezo s’adaptent mal sur le côté droit. Mais cela ne veut pas dire que je vais être le sauveur de la patrie. Personne jouant à un autre poste ne peut apporter la même chose que s’il jouait au poste pour lequel il a été convoqué. […] L’expérience contre l’Écosse a montré que personne ne voulait jouer sur la droite quand les choses étaient difficiles, mais quand cela devenait plus facile, où il y avait plus d’espace après deux ou trois buts, tout le monde voulait être là. Je pense que le match contre la Nouvelle-Zélande est le dernier test que nous pouvons faire sur ce sujet. Après, cela ne sera plus possible, il vaudrait mieux aligner un spécialiste. […] Paulo Isidoro est le mieux placé pour occuper ce poste ». Telê Santana maintient pour sa part son souhait de jouer avec le « quadrado » magique, sans ailier-droit attitré : « C’est un secteur qui ne me préoccupe pas, principalement grâce à la bonne volonté de Zico. Je ne lui demande pas de rester fixe sur le côté droit, il a une liberté de mouvement et les autres doivent comprendre que cette partie du terrain ne peut pas rester sans joueur, il est important qu’il y ait toujours quelqu’un. Cela peut être Cerezo, Sócrates, Serginho, sans parler de Leandro. La même chose n’arrive pas avec Falcão, qui n’a pas l’habitude d’aller sur la droite, mais plutôt d’avancer au centre ».
Dès le début de la rencontre face à la Nouvelle-Zélande, Sócrates se déporte sur le côté droit et adresse un bon centre à Zico, dont la tête passe au-dessus des buts de Frank van Hattum. Le Brésil domine outrageusement le match et enchaîne les actions spectaculaires, à l’image du premier but du match : talonnade de Sócrates pour Cerezo, qui ouvre sur la droite pour Leandro. Le latéral de Flamengo adresse un bon centre, repris acrobatiquement et victorieusement par Zico. Trois minutes plus tard, Leandro, une nouvelle fois en position d’ailier-droit, trouve à nouveau Zico, qui s’offre un doublé. En fin de première mi-temps, Zico est proche du triplé sur un nouveau centre de Leandro après un dédoublement avec Sócrates, mais sa retournée n’est finalement pas cadrée. Zico se mue en passeur en seconde période pour le troisième but du match inscrit par Falcão. Dans la chronique qu’il tient pendant le Mondial pour Folha da Tarde de Porto Alegre, Falcão explique : « Cela a été une grande joie pour moi de marquer un autre but, principalement sur une action venue du côté droit de notre attaque, raison de la plus grande polémique de notre équipe. Notre dévouement à l’entraînement pour exécuter les consignes de Telê a été récompensé hier, car deux autres buts sont également venus du côté droit ».
Une première phase exceptionnelle
Le Brésil réalise un nouveau chef-d’œuvre, Junior combine avec Toninho Cerezo et ouvre pour Zico, qui réussit le contrôle en porte-manteau avant de centrer pour le but de Serginho Chulapa. Après deux matchs compliqués et des efforts pour réguler son comportement, le buteur de São Paulo débloque enfin son compteur. « Vous pouvez me cracher au visage, je ne vais pas répondre. Mon objectif des quinze prochains jours est de jouer au football. Vous pouvez écrire que ce Serginho-là ne dure que quinze jours de plus, après vous allez voir », avertit Serginho, qui revient également sur son rôle dans l’équipe : « Cela ne me dérange pas de me sacrifier, cela ne m’intéresse pas d’être la star. Ce qui m’importe est de chercher des espaces pour mes coéquipiers. Je sais que dans une équipe quelqu’un doit faire plus d’efforts et c’est mon. […] Beaucoup me critiquent et c’est logique, je n’ai pas la qualité technique de beaucoup de mes coéquipiers, mais je demande : qui pourrait être à ma place devant, prendre les coups, jouer comme un pivot au futsal, jouer tout le temps dos au but, sans se désespérer ? Souvent, je ne participe pas aux actions, mais je crée des espaces. C’est une mission et je suis en train de l’accomplir ».
La vision de Serginho est contestée par André Rocha dans le livre 7 mil minutos de Rodrigo Seixas : « Zico était un neuf et demi, avec la même liberté que quand il jouait à Flamengo, il restait derrière l’avant-centre. Le problème était que Nunes dézonait à Flamengo et créait des espaces pour Zico alors que Serginho, plus un joueur de surface, ne le faisait pas ». Avec deux buts et deux passes décisives, Zico est l’homme du match face à la Nouvelle-Zélande et reçoit l’hommage d’un autre neuf et demi, Tostão, dans son livre Tempos vividos, sonhados e perdidos : « Zico était presque un Messi, avec un répertoire moindre et sans la même vitesse de l’Argentin pour conduire le ballon. Il dribblait, faisait des passes exceptionnelles et marquait beaucoup de buts. Au niveau des coups francs, Zico était supérieur à Messi ». Le Brésil remporte ses trois matchs de la première phase et conquiert la planète football. « Jouer au football est le travail des Brésiliens, mais ils mettent de la musique dans leur football spectaculaire. L’un dirige, puis l’autre et à l’heure du solo, tous combinent magistralement. Quel spectacle ! Ils jouent en une touche quand ils doivent le faire, ce sont de véritables artistes du ballon », s’enthousiasme Alfredo Di Stéfano. « Le Brésil doit chercher un rival sur une autre planète. C’est l’équipe qui m’a le plus impressionné au cours du tournoi », juge le sélectionneur yougoslave Miljan Miljanić alors que pour son homologue belge Guy Thys : « Le Brésil est la meilleure équipe que j’ai vue et arrivera en finale en marchant. Ils n’ont pas besoin de courir ni de développer tout leur football pour être finaliste, ils n’ont pas d’adversaires ». Le meilleur compliment vient cependant de l’une des inspirations de Telê Santana, Johan Cruijff : « Ce football me rappelle beaucoup notre équipe de 1974. L’équipe brésilienne est composée de joueurs excellents techniquement et bien préparés physiquement ». Au cours de la première phase, le Brésil rate seulement quatre-vingt-douze des mille-trois-cent-trente-cinq passes tentées, soit un hallucinant 93 % de réussite.
Photo : Bongarts/Getty Images
Groupe de la mort
La Coupe du Monde 1982 est la seule de l’histoire à offrir un second tour à trois équipes par groupe, où seul le premier se qualifie pour les demi-finales. Le Brésil hérite de l’un des groupes de la mort, en raison des deuxièmes places au premier tour de l’Argentine et de l’Italie, placées comme le Brésil dans le groupe C de la deuxième phase. Le sélectionneur italien Enzo Bearzot juge ainsi ses adversaires : « Les Brésiliens ont la qualité pour gagner la Coupe du Monde, c’est l’équipe numéro 1 ici. Leur jeu collectif et l’inspiration de certains joueurs peuvent créer d’énormes problèmes. L’Argentine a Maradona, un joueur qui peut mener son équipe à la victoire, mais le Brésil a plusieurs grands cracks, comme Zico, Éder, Sócrates et Falcão ». La Seleção ne joue pas pendant neuf jours et les joueurs restent dans un hôtel éloigné du centre de Barcelone, de quoi frustrer Sócrates qui se confie à Fausto Silva, journaliste pour O Estado de S.Paulo : « C’est une terrible frustration. Culturellement, j’espérais connaître des personnes d’autres pays, de pouvoir parler de nos problèmes avec eux, mais nous sommes isolés les uns des autres et nous nous rencontrons seulement sur le terrain. C’est avec certitude ma première et dernière Coupe du Monde, déjà car je ne prétends pas jouer jusqu’en 1986 ». Pendant son temps libre, Sócrates tient une chronique « Journal de la Coupe » pour Placar, comme le rappelle le journaliste Juca Kfouri dans son livre Confesso que perdi : « Sócrates écrivait et j’éditais. Ce que j’avais imaginé être une tâche difficile était finalement un simple travail de dactilographe. Un texte parfait, une belle écriture, pas celle du médecin qu’il était, je garde encore les manuscrits ».
Le 30 juin 1982, Sócrates écrit ainsi pour Placar : « Je suis un peu déprimé. Toute ma vie, j’ai rêvé de disputer la Coupe du Monde. Ce moment est arrivé, mais je suis frustré. Ça ne ressemble pas à ce que j’avais imaginé. Elle ne permet pas d’échanger. Je suis même sûr que ça doit être plus beau à vivre comme spectateur que comme joueur. Une autre Coupe du monde ? Jamais. Qui sait, peut-être que je regarderai la prochaine avec “Rê” et les enfants. Ce sera bien plus amusant ». Le Doutor, qui devient au cours du tournoi père pour la quatrième fois, reçoit également des lettres de son entourage, notamment de son père, toujours aussi exigeant : « J’ai été ravi de recevoir cette lettre, malgré le savon qu’il me passe. Il trouve que je peux jouer mieux que ça. Il voudrait que je sois plus actif et que j’essaie davantage de marquer. C’est drôle, un journal espagnol m’a désigné comme le meilleur joueur du tournoi, il m’appelle “le Cerveau du Brésil”. Je pense qu’ils sont aveugles. Devant sa télé, Raimundo y voit bien plus clair qu’eux ».
Le groupe C du deuxième tour s’ouvre par une victoire de l’Italie sur l’Argentine, où Diego Maradona est victime du marquage musclé de Claudio Gentile. L’Albiceleste affronte ensuite le Brésil, match vu comme une finale avant l’heure. Juca Kfouri écrit ainsi pour Placar : « L’Italie ne fait peur. Historiquement, nous les battons souvent et ils jouent un football. […] sans aucune grâce ou créativité. L’Argentine est au contraire dangereuse ». Le match offre aussi un duel particulier entre deux génies créatifs et dribbleurs, Maradona et Zico. Le numéro 10 du Brésil refuse le duel, ne jouant pas « un match de tennis » et Telê Santana annonce qu’il ne mettra pas en place un plan anti-Maradona : « Mon équipe joue en pensant à elle et non à l’adversaire. Aucun joueur adverse, peu importe son niveau, ne mérite un schéma spécial ». Son homologue César Luis Menotti, qui regrette les « vingt fautes de Gentile » sur Maradona, a des intentions similaires : « Nous pourrions nuire à Zico avec un marquage violent, mais nous ne le ferons pas et nous espérons que le Brésil ne le fera pas non plus ». Pour l’élection du meilleur joueur de la Coupe du Monde, João Saldanha place Zico devant les autres stars comme Maradona, Keegan et Rummenigge alors que Armando Nogueira rend hommage au jeu de la Seleção en même temps qu’il anticipe une finale : « Je suis seulement envieux du ballon. S’il n’y en avait qu’un seul lors des sept matchs du Brésil, il sortirait de la Coupe du Monde diplômé en football ».
La Seleção toujours plus spectaculaire
Le Brésil et l’Argentine s’affrontent pour la troisième fois consécutive en Coupe du Monde après la victoire brésilienne en 1974 puis le match nul lors de la « Bataille de Rosario » en 1978. Le Brésil est même invaincu face au rival depuis douze matchs, la dernière défaite remontant à un amical avant la Coupe du Monde 1970 ! Douze ans plus tard, sur la pelouse de Sarrià, l’Argentine se procure la première occasion du match sur une tête d’Ardiles, mais c’est le Brésil qui ouvre le score dès la onzième minute. Serginho obtient un coup franc après une faute de Daniel Passarella, la tentative d’Éder s’écrase sur la barre transversale, Zico suit et marque. Son quatrième but du tournoi lui permet de rejoindre Rummenigge et Boniek en tête du classement des buteurs. Le match est équilibré, les deux équipes se créent des occasions, sans toujours trouver le cadre. En milieu de seconde période, Zico ouvre dans le bon tempo vers Falcão, qui avait plongé sur le côté droit. Le centre est repris au second poteau de la tête par Serginho, qui marque son deuxième but en deux matchs et semble définitivement lancer sa Coupe du Monde. Le Brésil pense ajouter un troisième but dans la foulée avec à nouveau Serginho impliqué dans l’action. Sa déviation de la tête trouve Zico, qui dribble un joueur avant de servir Éder. La frappe de l’ailier de l’Atlético Mineiro trompe Fillol, mais l’arbitre annule le but, ayant déjà sifflé une faute sur Zico. Le troisième but vient finalement des pieds de Júnior après un magistral une-deux avec Zico, qui s’impose comme le meilleur joueur du tournoi parmi les stars attendues. Le latéral Júnior marque son sixième but en sélection, profitant parfaitement des libertés offertes par son sélectionneur, comme il l’explique dans le livre Os 11 maiores laterais do futebol brasileiro de Paulo Guilherme : « Telê aimait que j’attaque sans arrêt. Il me donnait toute la liberté pour venir en soutien et je savais que je pouvais le faire car Luisinho me couvrait. Comme avec Zico nous nous entendions très bien, c’était facile de réaliser ces actions. Il suffisait de lui donner le ballon et de courir, car Zico savait ce qu’il devait faire avec le ballon ». Júnior fête ce but par quelques pas de samba et donne un coup de boost aux ventes de sa musique « Voa, canarinho », finalement écoulée à 800 000 exemplaires. Le Brésil mène 3-0 et le match bascule dans la violence, Daniel Passarella tacle Zico par-derrière et force la sortie du joueur de Flamengo. Batista entre en jeu et provoque l’expulsion de Diego Maradona, qui lui donne un coup de pied au niveau du bas-ventre. Ramón Diaz réduit l’écart en toute fin de match alors que Sócrates regrette la violence de l’Argentine : « Il y a eu, comme je le prévoyais, des comportements déloyaux et antisportifs de la part des adversaires. Ils semblaient intéressés seulement par le fait de nous mettre forfaits pour le prochain match ». Pour Telê Santana, « cela a été un match nerveux, peut-être en raison de la rivalité entre les Brésiliens et Argentins au football. Les deux équipes auraient pu jouer bien mieux, le Brésil n’a pas fait une bonne première mi-temps, s’est amélioré en seconde période et a fait ce qu’il fallait pour obtenir la victoire ».
Dans les colonnes de Zero Hora, Ruy Carlos Ostermann écrit : « Le Brésil a une fois de plus montré que pour cette Coupe du Monde, personne n’est meilleur que lui et personne ne peut le battre. L’Argentine a une tradition, des résultats. […] et l’espoir que Maradona, libéré de la sévérité italienne, puisse jouer son football. Tout cela n’a pas pesé face à la facilité, la spontanéité avec lesquelles le Brésil joue son football. Une fois de plus, on a vu à Barcelone au stade Sarrià que la différence de qualité qui sépare le Brésil des autres participants, maintenant l’Argentine incluse, est abyssale. Personne n’a les recours, les joueurs, personne ne peut faire avec facilité les choses du football, comme le fait la sélection brésilienne ». João Saldanha rend également hommage au jeu de la Seleção, mais se montre plus contrasté, avertissant d’un problème récurrent de l’équipe : « Quelques options tactiques doivent être mieux considérées pour plus d’harmonie au sein de notre attaque. Zico a été visiblement contrarié d’être le joueur à devoir aller sur la droite et l’alternance avec Sócrates, et une ou deux fois avec Falcão, qui idéalement peut-être bonne, n’a pas eu lieu dans la réalité ».
L’absence d’un ailier-droit fait moins polémique en raison du jeu pratiqué par la Seleção et des résultats, Sócrates voyant même une façon de jouer révolutionnaire : « Chacun est libre de jouer comme il l’entend, à condition de respecter les bases. Aussi incroyable que ça puisse paraître, ça marche. Cela vient de notre sens de l’improvisation, mais aussi du travail que nous avons accumulé ensemble depuis deux ans. Ailier, avant-centre, libero, milieu défensif ? Je me place en fonction du sens du jeu et du scénario. Même si nous ne sommes pas champions du monde, nous aurons fait évoluer les systèmes, le 4-2-4, le 4-3-3 ou tout autre truc qui ait déjà été inventé ». Pour se qualifier en demi-finale, le Brésil a besoin simplement d’un match nul contre l’Italie, mais la presse et les supporters anticipent déjà la finale, à l’image du Jornal do Brasil, qui titre le lendemain du match face à l’Argentine : « Le Brésil est proche du titre ». Le monde et l’Italie sont prévenus.