Après deux gros plans sur le football de jeunes, intéressons-nous désormais au football japonais dans sa globalité et projetons-nous dans le devenir du football du pays du soleil levant ou plutôt du football levant.

banlomag

Ep.1 : à la découverte du tournoi inter-écoles - Ep. 2 : Prince Takamado Cup, dernière étape avant le professionnalisme

L’année 2018 marque un véritable tournant dans l’histoire du football japonais et de son développement, l’intérêt croissant du football dans le pays, l’arrivée d’Andres Iniesta, Fernando Torres ou encore David Villa, la victoire de Kashima en AFC Champions League, le parcours en Coupe du Monde des Samurai Blue, les féminines U20 sur le toit du monde, le premier match professionnel de Takefusa Kubo, le Messi japonais, etc. Tout cela a trouvé son origine dans plusieurs éléments qui ont posé les fondations et permis au Japon à s’éveiller au football.

Les fans de football au Japon et leur apport

Chaque année, les clubs gagnent de plus en plus de supporters et en perdent très peu même lorsque le club descend en division inférieure. Les clubs japonais ont la spécificité d’avoir des fans entièrement dévoués à leur club de cœur. De ce fait, les stades de J.League 1 et J.League 2 sont très souvent remplis et les articles de supporters (casquettes, maillots, gifts, etc…) se vendent massivement. Au Japon, être supporter est un vrai métier et demande un minimum d’équipement et d’investissement ! Kashiwa Reysol, Kashima Antlers, FC Tokyo, Urawa Red Diamond, Gamba Osaka, Nagoya Grampus, et la liste est encore longue, tous ces clubs jouent leurs matchs à domicile quasiment à guichets fermés.

La J.League, une meilleure visibilité et un intérêt croissant au Japon

Le 24 mai dernier, Andres Iniesta, légende vivante du FC Barcelone, et énorme star mondiale, décide de rejoindre le Japon et la J.League. Il sera ensuite rejoint par Fernando Torres et, plus récemment David Villa. Les ex stars et champions du monde 2010 ont choisi le Japon pour finir leur carrière au lieu de la Chine, le Qatar ou les États-Unis, destinations généralement privilégiées par les joueurs dans en fin de carrière. L’arrivée la plus marquante est celle de Andres Iniesta. Cette opération constitue une opération marketing visant à continuer à éveiller l’intérêt du football au Japon et par la même occasion donner de la visibilité à la J.League.  Les Japonais sont fascinés par le football espagnol et la Liga, ces arrivées sont donc minutieusement orchestrées. Entre la ferveur populaire dans les stades, les investisseurs (ex : City Football Group, Rakuten, Kirin, etc…), et l’arrivée de joueurs européens appréciés au Japon, les droits TV prennent de la valeur au Japon. Ainsi la valeur des clubs a augmenté et les records de transferts ont été réalisés, bien qu’encore très loin de l’inflation du marché européen depuis quelques années. Le football professionnel au Japon est donc en pleine expansion, ce qui permet au pays de s’attaquer aux problèmes structurels auxquels il est confronté, pour viser le développement de la structure du football national et atteindre son objectif de performance au niveau continental et international. En effet, avoir un bon championnat et de bons clubs n’est pas suffisant pour avoir une équipe nationale compétitive sur le plan international.

Le développement des centres de formation

Depuis quelques années, le Japon a décidé de reproduire le modèle européen des centres de formation, afin de remplacer sur du long terme le rôle des écoles et universités dans le processus de professionnalisation des joueurs de haut niveau. Bien qu’à l’heure actuelle, l’école et l’université restent dans la plupart des cas le choix numéro 1 des parents, l’arrivée de ces centres de formations et de sport-études devraient permettre aux clubs de récupérer des joueurs plus jeunes et de les mettre entre les mains de la J.League. Le fait que les centres de formation sont encore peu développés fait que les jeunes joueurs ont une vie « normale », à savoir ils vont à l’école puis après l’école vont pratiquer leur sport. Ils ne sont pas pleinement accompagnés dans leur réussite scolaire et sportive comme c’est le cas en France par exemple où le joueur qui est en centre de formation sera suivi scolairement aussi bien que sportivement. Cette initiative permet de détecter les jeunes pépites beaucoup plus tôt et aux centres de formation de prendre le relai sur les écoles pour la voie d’accès aux sportifs de haut niveau. Pour l’instant, ce sont les écoles qui ont les joueurs entre leurs mains.

La structure du football au Japon est trop complexe pour être réglée par la simple arrivée de centres de formation. En effet, le plus difficile ici reste l’identification de talent et la structure permettant à celui-ci de gravir les échelons afin de remonter jusqu’au niveau élite. La seule ville de Tokyo compte plus de mille clubs, absolument pas structurés pour permettre d’avoir une vision générale de leur niveau réels et accès aux informations concernant les meilleurs jeunes. Des centres fédéraux sous le nom de JFA ACADEMY ont été créés dans les neuf préfectures que compte le Japon, afin de pouvoir avoir une vision des meilleurs talents de la région. Le scouting se développe également, les clubs et la fédération ayant compris les enjeux de l’identification de talent dès le plus jeune âge afin de préparer le joueur lentement mais surement à une carrière professionnelle. Cependant, à l’heure actuelle, le scouting est mené de manière un peu « sauvage » par les clubs, ne sachant pas vraiment sur quels critères physiques ou techniques se baser pour recruter les joueurs qui rejoindront leurs académies. En général, les clubs japonais utilisent deux méthodes de scouting, la première étant le recrutement de scouts qui traquent les talents majoritairement dans les environs du club, la deuxième étant des journées de détection. Les deux méthodes sont très bonnes, cependant les décisions se font à l’œil, sans fiche, critères, barèmes, etc.

japon

Les sélections nationales

Les sélections nationales japonaises de jeunes ont un niveau très intéressant, et ne sont plus des « surprises » pour leurs adversaires. Ce résultat est particulièrement visible depuis la création de la Prince Takkamado Cup qui a permis d’avoir une vision de ce qui se fait de mieux au niveau national et ainsi de récupérer de nombreuses pépites. L’équipe Nationale A du Japon quant à elle est moins crainte sur le plan international de par ses irrégularités de résultats. L’équipe semble capable de jouer d’égal à égal sur un match avec n’importe quelle équipe, mais est incapable de confirmer sur la durée. La sélection nationale nippone est composée de joueurs ayant tous été formés au Japon, ce qui donne place à une identité de jeu japonaise, un ADN de jeu propre au football de ce pays. C’est certainement l’une des raisons de son avance sur les autres footballs asiatiques. 

Les Blue Samouraï ont frôlé l’exploit contre la Belgique lors de la dernière Coupe du Monde en Russie, avant de craquer complètement à la dernière seconde sur un contre. Tout part d’un corner trop vite joué par Honda (pourtant joueur expérimenté) qui tombe entre les mains de Courtois, et se termine sur un but et qualification de la Belgique. Le style de football nippon est discipliné, collectif, en passe, techniques, sans simulations et en donnant le meilleur de soi-même. Cependant comme sur ce but éliminatoire, il y a un côté « naïf » qui ne permet pas à la sélection de franchir ce cap des huitièmes de finales de Coupe du Monde. Au lieu de perdre du temps au point de corner, Honda (pourtant expérimenté) donne la balle de qualification à leurs adversaires. Il y a bien sûr quelques aspects à améliorer dans le football japonais, notamment la culture de la gagne pour que le pays devienne une grande nation du football mondial.

Les féminines ont quant à elles déjà franchi ce cap et brillent de mille feux sur le football au niveau continental et mondial. Ça n’a pas toujours été le cas, mais les féminines ont bien progressées sur les dernières années et réussissent à être régulières. Dans ce cas précis, environ 70 % de la sélection nationale nippone est composée essentiellement par le géant du football féminin NTV Beleza (Tokyo Verdy). Le football féminin n’est pas pour autant mieux structuré que le football masculin, cependant le club de Tokyo Verdy a su devenir le club produisant des joueuses capables d’évoluer en sélection nationale, et par conséquent attire les meilleures joueuses du Japon.

Dans l’ensemble, le football japonais avance, la J.League monte en puissance, les clubs japonais continuent leur progression, l’intérêt du football est en croissance et sur le point de passer devant le baseball, les investissements sur la structuration et le développement de la formation s’accentuent, les sélections nationales réalisent des résultats cohérents et globalement corrects. Les fondations sont posées, il ne reste plus qu’à meubler la maison afin d’en faire une référence mondiale !

Ibrahim Ouazzani
Ibrahim Ouazzani
Expert du Football Japonais et Responsable du programme joueurs Elite chez Amazing Sports Lab Japan Inc. Correspondant Tokyo pour LO