Juillet 1916, quatre équipes viennent célébrer le centenaire de la déclaration d’indépendance argentine. Au terme d’un tournoi qui fourmille d’anecdotes, l’Uruguay décroche la première Copa América.

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Au début du XXème siècle, le football se développe aux quatre coins du continent sud-américain, sa popularité ne cesse de croître. Les locaux commencent à se l’approprier ajoutant des accents criollos à un sport dont le lexique est encore tellement britannique, les chroniques de l’époque préférant le foot-ball au fútbol, les players n’étant pas encore des jugadores, les matches n’étant pas des partidos. Mais cette popularité croissante confère au football une place particulière. Au point qu’en 1910, l’idée d’organiser un tournoi pour célébrer le centenaire de la révolution de mai prend forme. Celui-ci se déroule dans le cadre des Jeux du Centenaire et met aux prises Argentine, Uruguay, Chili mais également des équipes « britanniques » (oriundos), des formations de la Liga Rosarina et le premier géant argentin, Alumni. Deux hommes vont alors saisir cette occasion pour aller plus loin.

José Susan et Héctor Rivadavia Gómez, les pères fondateurs

José Susan était un ancien joueur et dirigeant du vieil Estudiantes de Buenos Aires. A ses activités, il ajoutait aussi celle d’arbitre. Le 15 octobre 1913, il est à l’origine d’un projet qui va changer toute la face du continent. Ce jour-là, Susan présente à l’AAF (la fédération argentine d’alors) une idée relayée dans la presse argentine le lendemain : « La Asociación Argentina de Football a décidé de mettre en place un concours de football instituant la Copa América. Seront invités à participer à ce projet, les ligues uruguayennes, chiliennes et brésiliennes qui devront alors envoyer une équipe pour prendre part à ce tournoi. Celui-ci se déroulera à Buenos Aires. »

La Copa América vient de naître, la date du tournoi est fixée à 1916, centenaire de la déclaration de l’indépendance de l’Argentine. Du 2 au 17 juillet 1916, les quatre équipes vont prendre part au premier « Campeonato Sudamericano de Selecciones ». Ce tournoi va changer l’histoire du football du continent grâce à un autre homme, venant de l’autre côté du Rio de La Plata, Héctor Rivadavia Gómez. Journaliste, politicien, président des Montevideo Wanderers et dirigeant au sein de l’Asociación Uruguaya de Fútbol, Rivadavia Gómez voit le succès populaire de cette épreuve et veut alors lui faire franchir un palier, organiser le football du continent. Il est à l’origine de la création d’une association regroupant les quatre participants à ce tournoi. Le 15 décembre de la même année, la Confederación Sudamericana de Fútbol voit le jour avec l’idée d’assurer la continuité de ce tournoi. Quelques semaines plus tard, un trophée est confectionné pour son championnat des Nations dont la deuxième édition est prévue pour 1917 à Montevideo.

Chilena et sauveur venu des tribunes

La première édition se déroule ainsi en terres argentines, les rencontres doivent toutes se disputer dans l’Estadio GEBA, ancienne antre du Gimnasia. Le premier match oppose l’Uruguay au Chili et voit la puissante Celeste et son buteur noir, Isabelino Gradín, future icône du continent (nous en reparlerons) s’offrir un doublé. Si le Chili ne laissera pas un trace indélébile dans cette édition, la sélection sera ensuite balayée 6-1 par l’Argentine et sauvera l’honneur grâce à un nul arraché face au Brésil, l’un de ses joueurs marque les esprits.

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Statue en l'honneur d'Unzaga

Né à Bilbao en 1894, Ramón Unzaga arrive au Chili alors qu’il n’a que 12 ans, suivant ses parents. Six ans plus tard, il obtient la nationalité chilienne et fera partie de la sélection présente à Buenos Aires en 1916. Ce que les Argentins ne savent alors pas, c’est qu’au Chili, Unzaga est connu des arbitres pour le débat que son invention suscite : depuis 1914, Unzaga effectue régulièrement un geste décrit au pays comme une chorera, il a créé le retourné acrobatique. C’est lors de ce tournoi 1916 que son invention va changer de nom pour devenir chilena, la presse argentine écarquillant les yeux devant ce chilien et son geste venu d’ailleurs. La guerre de la paternité du geste n’a pas encore débuté entre Pérou et Chili, elle le sera lorsque le geste sera popularisé par un autre joueur chilien, David Arellano, lors d’une tournée européenne (lire L'autre bataille du Pacifique), Unzaga laisse ainsi son nom dans l’histoire et marque la première édition.

L’autre nom marquant de l’édition 1916 reste José el Negro Laguna. Après avoir vaincu le Chili, l’Argentine doit affronter le Brésil lors de son deuxième match. Ce 10 juillet, José Laguna prend place dans les tribunes du GEBA avec les 16 000 autres supporters étant venus remplir le vieux stade du Gimnasia. Côté Argentin, au même moment, c’est la panique. Buteur lors du match d’ouverture, Alberto Ohaco a dû abandonner la sélection temporairement mais ne peut revenir pour raisons personnelles. Les dirigeants argentins décident alors d’appeler en renfort un joueur du Gimnasia, Ricardo Naón, mais ce dernier refuse, touché dans son orgueil par le fait de n’avoir été appelé dès le départ. Devant l’impossibilité de jouer à 10 contre 11, l’Argentine se retrouve alors devant une situation délicate lorsque l’encadrement technique aperçoit el Negro en tribunes. Joueur d’Huracán, Laguna accepte l’honneur qui lui est fait, lui qui n’a jamais été international, quitte les tribunes et se voit revêtir la tenue de la sélection. 10 minutes après le coup d’envoi, il sera l’unique buteur de l’Argentine qui arrachera le nul face au Brésil. Il reste ainsi le seul spectateur – buteur d’une rencontre continentale.

Chaos en tribunes, finale délocalisée

Ce match nul offre une finale à l’Argentine face au rival du Rio de La Plata, l’Uruguay et ses deux victoires en deux matchs. Ohaco est de retour dans la sélection, le match donne lieu à un drame. Le 16 juillet 1916, les 18 000 places du GEBA ont été vendues, la foule se masse aux abords du stade des heures auparavant, immense, largement supérieure aux 18 000. Le joueur du Racing Francisco Olázar raconte : « Le public débordait du stade, le match a duré 5 secondes. Je suis le seul joueur qui a pu taper dans le ballon ce jour-là. Quand je courrais, la hinchada, qui s’amassait au bord du terrain a explosé, est entrée sur le terrain, et l’arbitre a arrêté la partie. J’ai aperçu quelque chose de grave, j’ai enlevé mes vêtements et je suis monté dans la voiture d’un ami qui m’a fait sortir du terrain. » La suspension de la rencontre entraîne l’hystérie, certains exaltés mettent le feu à leur journal dans les tribunes de bois du stade. Personne n’avait jamais entendu parler de la présence de bidons de kérosène. L’explosion s’en suit, en quelques minutes, le feu se propage. C’est un désastre.

Le match est reprogrammé le lendemain à Avellaneda sur le terrain du Racing, les entrées limitées à 10 000 spectateurs. Il se terminera sur un score nul et vierge qui couronnera l’Uruguay, première nation à remporter l’épreuve. La grande histoire de la Copa América ne fait que commencer.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.