L’histoire de Teodoro Fernández est sans doute le plus important chapitre de l’histoire du football péruvien. Né quasiment au début de l’arrivée du football au Pérou, il a vécu son évolution et a participé à son essor avant d’y laisser une trace indélébile.

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Teodoro Fernández arrive à Universitario, qui s’appelle encore Federación Universitaria, à l’âge de dix-sept ans. Son frère Arturo venait d’y signer un contrat avec la condition que son frère y passe un essai. Impressionné par la force de frappe de ce jeune robuste, le club n’hésite pas à l’intégrer dans son équipe réserve.

Épisode 1: l’enfant prodige de Hualcará

Un baptême au Stadium

Nous sommes au mois de mars 1930 et Teodoro Fernández porte pour la première fois le fameux maillot crème pour disputer le tournoi des réserves des clubs de première division. Impressionnant lors des entrainements, Lolo prend très vite une place de titulaire sur le front de l’attaque et empile but sur but. Le titre est alors disputé entre la réserve de la Federación Universitaria et celle de l’Alianza Lima, club qui allait devenir son éternel rival. Les deux équipes avait battu tous leurs adversaires et la partie s’annonce décisive et pour le moins passionnante. Pour Lolo, ce match est déjà légendaire avant même de l’avoir disputé, car il représente tous les sacrifices, tous les efforts, toute sa passion et surtout son rêve le plus fou : jouer un titre au Stadium de Lima. À dix-sept ans, Lolo joue déjà un premier titre, des réserves certes, mais qui compte tellement pour lui qui avait suivi le Sudamericano en 1927 et vu les joueurs légendaires des sélections argentines et uruguayennes fouler la pelouse de l’ancien Estadio Nacional. Cette fois, ce sera lui qui s’exprimera sur le rectangle vert dans les pas de ses idoles. Rien n’est encore gagné car en face l’Alianza Lima est un club reconnu comme le meilleur du pays et sa réserve est également son moteur. S’il est difficile de se procurer les feuilles de matchs de réserve des années trente, on sait que certains illustres aliancistas ont affronté Lolo lors de ce dernier match du championnat. Dans un Estadio Nacional plein, la Federación Universitaria domine le match et obtient un penalty qui lui permet d’ouvrir le score. Le club de l’université continue de pousser après ce but et souhaite se mettre à l’abri car l’Alianza sait être dangereuse grâce à la qualité de ses joueurs.  C’est alors qu’apparait Lolo pour inscrire le deuxième but et faire sauter de joie ses frères présents dans les tribunes au milieu d’une foule d’étudiants. L’arbitre siffle la fin du match sur le score de deux buts à rien, Lolo et ses coéquipiers exultent, ils sont champions ! Pour Lolo, ce premier titre à forcement une saveur particulière même s’il en obtiendra de plus prestigieux. C’était sa première finale, son premier Estadio Nacional, son premier but décisif, son premier clásico contre l’Alianza Lima. Ce jour-là, un sentiment est né dans le cœur de Lolo, l’amour du maillot, l’amour pour ce club qui allait devenir Universitario, club de sa vie. Champion et buteur de ce tournoi des réserves, Lolo Fernández est promu en équipe première pour la saison suivante en 1931.

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Lolo Fernández (quatrième en partant de la gauche) champion avec la réserve de Universitario en 1930

Une longue attente

L’année 1930 est celle du premier titre de l’Atlético Chalaco. De son côté, après son premier titre de 1929, le club de l’université n’avait pas pu réitérer l’exploit, terminant même à la troisième place derrière l’Alianza Lima. L’heure est donc à la reconquête et surtout assurer sa domination sur le rival de la classe ouvrière. Alors pas le temps ni de risque de faire entrer les jeunes pousses lors de cette saison cruciale. Lolo doit attendre patiemment son heure sur le banc des remplaçants en alternant parfois avec la réserve du club et peut compter sur le soutien de son frère Arturo, titulaire indiscutable en défense. Nous sommes déjà au mois d’octobre de 1931, Lolo n’a toujours pas débuté avec l’équipe première de l’université et les élections présidentielles viennent perturber le championnat. Víctor Raúl Haya de la Torre, fondateur de l’APRA (Alliance Populaire Révolutionnaire Américaine), se présente face à Luis Miguel Sánchez Cerro qui avait pris le pouvoir par la force en août 1930 et qui remporte ces élections malgré une vague contestataire des Apristas. Lorsque le football reprend ses droits, l’Alianza Lima se couronne championne et la Federación Universitaria termine au pied du podium sans que Lolo ne joue une minute. La direction, les supporters et les joueurs sont déçus de cette saison médiocre et Arturo Fernández convainc le capitaine Eduardo Astengo de donner une opportunité à son frère. Cette opportunité arrive lorsque les Chiliens de Magallanes débarquent à Lima pour disputer un match amical contre la Federación Universitaria.

C’est ainsi que le 29 novembre 1931, Teodoro Fernández apparait sur la feuille des titulaires, au poste d’intérieur, accompagné en attaque par son frère José et en défense par Arturo. Les trois frères Fernández sont alignés pour la première fois avec l’équipe première de l’université. Comme au bon vieux temps, dans l’hacienda de Hualcará lorsqu’ils tapaient dans une panse de cochon en guise de ballon. Le jeu de la U est plutôt fluide face aux Chiliens, les joueurs s’entendent à merveille, c’est un vrai contraste au regard de la saison qui vient de s’achever. D’autant plus que Magallanes se profile comme une des toute meilleures équipes du Chili, en arrivant au Pérou en champion du tournoi d’ouverture de la ligue de Santiago. Magallanes remporte par la suite les trois premiers championnats professionnels du Chili entre 1933 et 1935 (quatre des six premiers, terminant deuxième en 1936 et 1937). Si l’entente est idyllique avec son frère José en attaque, c’est avec Luis Souza que Lolo devient complice le temps que le mondialiste feinte le gardien chilien pour finalement faire la passe à Lolo qui avait compris le jeu de son coéquipier en se positionnant au second poteau. Au moment de recevoir la balle, Lolo voit le gardien à terre, lève les yeux vers le but et pense à ce moment qu’il attendait depuis bientôt un an avant de pousser le cuir au fond des filets. Teodoro Fernández, dix-huit ans, vient d’ouvrir son compteur personnel avec le maillot crème de la Federación Universitaria pour son premier match.

Le buteur providentiel

Lolo avait gagné sa place de titulaire au sein du club crema pour la septième saison de la ligue de Lima & Callao de 1932. Lors d’un match amical contre le champion en titre Alianza Lima, Lolo Fernández, impressionne déjà la presse péruvienne qui le décrit comme étant le futur grand attaquant du pays. Ses frappes puissantes laissent une trace dans les journaux et pendant que les gardiens adverses commencent à se méfier, les spectateurs se ruent dans les stades pour les voir de leurs propres yeux ce jeune attaquant de la U qui devient alors une sorte d’attraction. Son surnom est vite trouvé : el Cañonero, le canonnier. Pour le premier match de la saison, contre le Sportivo Unión, Lolo inscrit déjà son premier but. Pour son deuxième match, contre le Circolo Sportivo, il récidive mais n’inscrit pas de doublé ni de triplé, mais la bagatelle de six buts ! Six, en un seul match, son deuxième du tournoi. Le Cañonero est fin prêt pour disputer son premier clásico officiel contre l’Alianza Lima cette fois-ci avec les « grands ». Le club du district de la Victoria est d’un tout autre calibre. Bien que Lolo les eût affrontés en match amical, se mesurer au champion en titre avec des cracks comme Alejandro Villanueva, José María Lavalle ou encore les frères Rostaing, est toujours impressionnant. L’Alianza Lima fait d’ailleurs respecter cette hiérarchie en battant la Federación Universitaria mais Lolo peut se satisfaire d’avoir inscrit un but, son premier dans un clásico.

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Lolo Fernández au duel avec le gardien Juan Valdivieso lors d’un clásico contre l’Alianza Lima au Stadium de Lima.

Malgré cette défaite, le club de l’université se hisse à la deuxième place du classement final de la saison 1932 derrière l’intouchable rival blanquiazul. Les buts de Lolo ont grandement contribué à la belle saison de la Federación Universitaria et le Cañonero décroche pour la première fois le titre honorifique de meilleur buteur du championnat péruvien avec un total de onze buts en sept matchs. À la fin de l’année, le club de l’Université de San Marcos se sépare de la doyenne des universités pour devenir une entité à part et change de nom en Club Universitario de Deportes. La U telle qu’on la connait nait, ou plutôt renait (son histoire est contée dans le LOmag n°12). En 1933 le championnat de première division accueil deux nouveaux clubs, Sport Boys et Sucre FC, pour s’élargir à dix équipes. Mais cela ne change pas grand-chose pour l’Alianza Lima qui écrase encore une fois tout le monde pour se proclamer champion pour la troisième fois consécutive, une première dans le pays. Universitario est une nouvelle fois dauphin en ne perdant aucune rencontre mais avec un match nul de plus que le champion. Teodoro Fernández a confirmé sa belle saison 1932 en étant le meilleur buteur du championnat pour la deuxième fois. Il l’est une troisième fois en 1934 mais cette fois en tant que champion. Mais l’année 1933 voit Lolo vivre une aventure incroyable : entre août 1933 et mars 1934, un combiné de joueurs péruviens et chiliens réalisent une tournée en Europe pour resserrer les liens entre les deux pays. Lolo et son frère Arturo en font partis, tout comme le buteur et légende de l’Alianza Lima Alejandro Villanueva. Une quarantaine de matchs est organisée et avec un total de quarante-huit buts, le canonnier Teodoro Fernández est le meilleur buteur de la tournée (une aventure à découvrir dans le LOmag n°13).

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Teodoro Fernández (le deuxième en partant de la droite) à Berlin entre Juan Valdivieso à sa droite et Alejandro Villanueva à sa gauche.

Un titre controversé

En 1934, après une tournée européenne réussie mais épuisante, la routine du championnat reprend pour Lolo. Les images de Londres, Paris et Berlin défilent dans sa tête, mais il doit vite se concentrer pour le retour à la compétition car il sait que ses performances l’emmèneront peut-être en sélection pour le Sudamericano de retour à Lima en 1935. Le Cañonero se donne à fond et empile les buts pour devenir le meilleur buteur pour la troisième fois consécutive. Les choses se complique pour cette édition du championnat. Avant la dernière journée de première division, la U compte deux points d’avance sur l’Alianza Lima, son équipe réserve est leader et pourrait lui faire gagner des points bonus en cas de victoire. La dernière journée voit s’affronter les équipes premières et les réserves des deux clubs avec à la clé un titre de champion. L’Alianza Lima remporte le tournoi des réserves et offre 5.75 points à son équipe première tandis que la réserve de Universitario en offre 5.50 à son équipe. Malgré un ultime but de Lolo Fernández, l’Alianza Lima s’impose à son tour face à la U et les deux équipes comptent vingt-et-un points. Mais avec les points bonus du tournoi des réserves, l’Alianza cumule 26.75 points contre 26.50 points pour Universitario : le titre de 1934 revient donc au club de la Victoria. Ce n’est alors pas du goût de Plácido Galindo. Fondateur et ancien joueur du club reconverti dirigeant, il dépose une réclamation considérant injuste que le titre se joue sur 0.25 points. Le Comité de la Ligue lui donne raison et décide d’organiser un match d’appui ou « desempate ». Ce dernier match n’a lieu que le 7 juillet 1935, soit plus de huit mois après la fin du championnat de 1934. Lolo Fernández endosse une nouvelle fois le costume de héros en marquant l’un des deux buts de la victoire crema sur les Blanquiazules et offrant une fois pour toute le titre de 1934 à son équipe. Cet épisode a fait couler beaucoup d’encre depuis et de nos jours encore les Aliancistas refusent de reconnaitre Universitario comme champion 1934. Mais pour Lolo qui a marqué dans les deux matchs et a tant œuvré au cours de cette saison, ce titre de champion avec son club de cœur lui revient pleinement. Dans la Ciudad de los Reyes, il est bon d’avoir une couronne.

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Universitario, champion 1934

Romain Lambert
Romain Lambert
Parisien expatrié sur les terres Inca, père d’une petite franco-péruvienne, je me passionne pour le football de Lima à Arequipa en passant par Cusco. Ma plus forte expérience footballistique a été de vivre le retour de la Blanquirroja à une coupe du monde après 36 ans d’absence.