Engoncé dans les limbes du classement FIFA, le Pakistan n’a jamais été un foudre de guerre au football, préférant au sport-roi ce jeu mystérieux qu’on appelle cricket. Plombé par des querelles internes entre deux entités se réclamant comme fédération de football légitime, le Pakistan n’est pas près de retrouver les joies du ballon rond avant un moment, éliminé sans gloire par le Cambodge lors des préliminaires des qualifications mondialistes. Mais, il y a quelques décennies de cela, les plus anciens se rappellent qu’ils pouvaient admirer un joyau tout droit venu de Lyari, Abdoul Ghaffour « Majna », surnommé le Pelé du Pakistan, rien que ça.

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Lyari, quartier populaire de Karachi, a fait parler de lui durant la Coupe du Monde au Brésil. Ses rues, bariolées de drapeau auriverdes, démontraient un engouement insoupçonné pour le football, dans un pays plutôt attiré par le hockey sur gazon et le cricket. majna2Mais Lyari est peut-être le point névralgique du football au Pakistan, comptant près d’une centaine de clubs et trois stades. Surtout, Lyari est le lieu de naissance de son joueur le plus talentueux, Abdoul Ghaffour, né le 3 juin 1938. Celui qui émerveille les rues de son district de Baghdadi balle au pied signe sa première licence au club local du Saifi Sports, avant de faire des passages au Sindh Government Press, puis au Karachi Kickers avec qui il remporte l’Aga Khan Gold Cup en 1958. Lors d’une tournée, il signe alors au Calcutta Mohammedan en 1960 avant de passer au Dhaka Mohammedan un an plus tard (à cette époque le Bangladesh fait encore partie du Pakistan avant de faire sécession en 1971, ce qui portera un vrai coup dur à l’équipe nationale pakistanaise). S’ensuit un intermède de deux ans au Victoria SC avant de revenir à Dhaka pour ses cinq dernières années en club.

Mais c’est sous la tunique nationale des Shaheen que le milieu de terrain se dévoile au monde. Déjà dans son look, le joueur d’origine Sidi, l’ethnie des descendants d’esclaves d’Afrique de l’est, ressemble comme deux gouttes d’eau à un certain Edson Arantes do Nascimento. Mis au courant, le champion du monde 1958 et 1962 veut rencontrer son doppelgänger, mais jamais cette faille spatio-temporelle ne s’ouvrira… Quoiqu’il en soit, avec le Hazara Qayyum Ali Changezi, le défenseur Turab Ali ou Mourad Bakhsh, Majna est la figure de proue d’une équipe du Pakistan qui s’offrira quelques kifs dans les années cinquante-soixante. Lors des qualifications pour la Coupe d’Asie 1960, le Pakistan passe à un fifrelin de la grande messe continentale, surclassant l’Iran 4-1, l’Inde 1-0 et tenant Israël en échec 2-2. Las, les trois défaites en six matchs ne leur permirent pas d’avancer au tour suivant. Les sixties offrent le capitanat à Majna pour quatre longues années, durant lesquelles le Pakistan s’offre l’un de ses rares titres internationaux, la Coupe Merdeka de 1962 en écartant la Birmanie, le Japon, la Malaisie et l’Indonésie. Le Pakistan participe également à quelques RCD Cup avec l’Iran et la Turquie, mais se fait malgré tout poutrer aisément, sans compter quelques tournées en Chine ou en URSS. Certains prétendent même que l’équipe était capable de battre les Chinois et les Soviétiques mais les images manquent… En tout cas, le talent de Majna fait des émules et il reçoit des offres d’Inde, d’Union soviétique, d’Arabie saoudite ou de Chine, mais il préfère jouer dans son pays. En 1967, il décide de prendre sa retraite internationale après que lui et plusieurs joueurs de Karachi sont mis de côté par le secrétaire général de la PFF, Muhammad Hussain. Mais il s’offre un ultime baroud d’honneur pour les Jeux Asiatiques de 1974. Écrasé par l’Iran et la Birmanie, le Pakistan parvient tout de même à atomiser Bahreïn 5-1 pour finir sur une bonne note. En club, Majna fait encore une dernière pige au Karachi Port Trust (après l’indépendance du Bangladesh et son départ de Dhaka) avant de raccrocher les crampons en 1971 et devenir coach.iran

La trace laissée par Majna aura marqué coéquipiers et adversaires. Son ex-coéquipier à Dhaka et futur capitaine du Bangladesh, Zakaria Pinto : « Il n’y avait aucun joueur dans le sous-continent indien avec un niveau comparable au sien, on était tellement plus en confiance en sachant qu’il jouait dans notre équipe. S’il avait joué en Europe, il serait aussi célèbre que Pelé ». Encore plus objectif, le Bengali Pratap Shankar Hazra : « Ghafoor était tellement bon, il aurait pu jouer pour le Brésil ! » Les superlatifs étaient bien sûr exagérés mais témoignent de l’émerveillement que procurait Majna quand il était sur le terrain. Milieu polyvalent, technique et élégant, il se sera fait un petit palmarès : trois Aga Khan Cup, six Dhaka League et un championnat du Pakistan. Pas suffisant pour rentrer dans le Livre des records, mais suffisant pour rentrer dans le cœur des amoureux du ballon rond dans le sous-continent indien.

Revenu à Karachi avec sa femme à la fin de ses carrières, il voit ses fils s’essayer également au football et lui-même entraîner les jeunes du Saifi Club. Ses problèmes de santé lui empoisonnent les dernières années de sa vie, surtout après sa paralysie, et il fallut que le monde du football pakistanais se mobilise pour venir en aide à sa famille. Son décès, le 7 septembre 2012 à l’âge de soixante-quatorze ans, attriste l’ensemble des acteurs et supporters, telle une symbolique du football pakistanais tombé en déliquescence depuis ses années dorées où un magicien à la peau noire faisait vibrer les cœurs.

Boris Ghanem
Boris Ghanem
Chroniques d'un ballon rond au Moyen-Orient, de Beyrouth à Baghdad, de Manama à Sanaa, football sous 40 degrés à l'ombre d'un palmier.