Le 11 juillet 1991 s’éteignait le plus grand joueur à avoir porté le maillot de la Malaisie, peut-être même le meilleur de l’Asie du sud-est toute entière, Mokhtar Dahari.

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Les photos jaunies et le combo moustache-coupe mulet donnent à l’homme un côté iconique. Et quand on parle de Mokhtar, ce ne sont pas des mots dénués de sens tant le bonhomme est considéré comme le meilleur joueur du pays, ainsi que son meilleur buteur. Le nombre de caramels plantés est d’ailleurs sujet à discorde puisqu’on parle de quatre-vingt-cinq pions, voire de quatre-vingt-six, quatre-vingt-dix ou encore cent-vingt-cinq ! Quoiqu’il en soit, Dahari est encore aujourd’hui le troisième meilleur buteur international de l’Histoire, devançant le grand Ferenc Puskás.

Né à Setapak dans une famille modeste, le petit Mokhtar développe très tôt une appétence pour différents sports : badminton, hockey, sepak takraw (variante malaisienne du volley), Dahari s’y adonne avec plaisir mais c’est bien balle aux pieds qu’il était destiné à faire des étincelles. Dès ses dix-sept ans, il apparait sur les feuilles de match de Selangor FA, une histoire qui s’étalera sur quinze belles années. Au sein du plus grand club malaisien, il terrorise les défenses adverses, inscrivant cent-soixante-dix-sept buts pour rafler un gros paquet de trophées : dix Malaysia Cup entre 1972 et 1986, un championnat en 1984 et deux Charity Shield au crépuscule de sa carrière (85 et 87). La Malaysia Cup était en fait un mini-championnat regroupant des équipes représentants les différents états de la Malaisie. Ainsi, Selangor FA était la Selangor Football Association, basé dans la ville de Shah Alam. Parfois, des équipes étrangères étaient invitées à participer tel Singapour ou Brunei. Les exploits de Dahari sur les terrains malaisiens lui valurent bien vite le surnom de « Supermokh » pour sa vitesse et la puissance de ses shots (on raconte qu’une de ses frappes à l’entrainement a littéralement cassé trois doigts à Arumugam, gardien de l’équipe nationale). Il faut dire que la détermination de Dahari force le respect pour celui qui travaille comme employé de banque pour nourrir les siens en parallèle de sa carrière.

Et rapidement, toute l’Asie fut mise au courant de la nouvelle menace made in Malaysia. Dès 1972, à dix-neuf ans, le gamin score pour son premier match face au Sri Lanka lors du Jakarta Anniversary Tournament. Il en ajoutera bien plus et s’offrira quelques breloques sur le chemin : les Trophées Merdeka en 73, 74, 76 et 79 (ainsi que l’argent en 75). S’ensuivront une médaille de bronze aux Jeux Asiatiques de 74 et deux médailles d’or aux Jeux d’Asie du Sud-est en 77 et en 79. Il faut dire que les 70’s propulsent la Malaisie comme une équipe redoutée sur le continent asiatique : outre Dahari, elle peut compter sur une tripotée de jeunes talents tels que Shaharuddin Abdullah, Isa Bakar, James Wong ou Hassan Sani pour terroriser ses adversaires. Et bientôt, c’est le monde qui découvre le puissant moustachu. La Malaisie se qualifie pour la première fois pour les Jeux Olympiques, ceux de Munich en 1972. S’ils ne passent pas l’écueil du premier tour (séchés par la RFA et le Maroc), ils parviennent malgré tout à s’imposer 3-0 face aux États-Unis. Et si l’Asie avait eu plus qu’un misérable ticket de qualification, nul doute qu’on aurait vu la Malaisie se qualifier pour une Coupe du Monde dans les années 70-80.

La renommée de Dahari se forge également lors de matchs amicaux dont on parle encore au pays. Les tournées de grands clubs européens en Asie ne datent pas d’hier et Arsenal se souvient encore de ce match face à un all-star malaisien durant lequel les Gunners encaissent un doublé de Supermokh’. La rumeur veut que le grand Real Madrid en personne lui ait fait une offre de contrat mais que Mokh’ refusa par patriotisme et par amour pour Selangor. Extrapolation d’un bruit ou véritable information ? Dur de le dire, mais son affection pour son club et son pays, elle, n’est pas démentie. Il eut également l’insigne honneur de rencontrer une star planétaire lorsque Boca Juniors entame une tournée en Malaisie avec un certain Diego dans ses rangs…

Mokh’ joue encore de nombreuses années dans son pays chéri, ne raccrochant les crampons qu’en 1986 sur une ultime Malaysia Cup glanée (il reviend finalement pour une pige en 1987). Le club retire son numéro 10, comme pour signifier l’importance du mythe du sympathique moustachu au sein de Selangor. Après sa carrière, il entraîne des équipes de jeunes et son Selangor adoré avant de finir entraineur-joueur pour l’équipe de la Kwong Yik Bank dont il était devenu l’employé.

diegoEn 1976, son pays lui décerne le National Sportsman Award, récompense accordée aux sportifs les plus talentueux. Un an auparavant, ses coups de canon et sa dégaine de crooner poussent le magazine World Soccer à le nommer meilleur attaquant asiatique ! L’Asie ne l’oublie pas au moment de remettre ses récompenses, recevant à titre posthume l’AFC Award en 1999. Mais c’est véritablement en Malaisie qu’il laissera la trace la plus grande, obtenant les prestigieux titres de Dato’ décerné à ceux qui contribuent à la grandeur du pays, et autres insignes scintillants.

Mais comme dans toute dramaturgie, le héros doit affronter les forces du mal et n’en ressort pas toujours gagnant. Peu après sa carrière, il se plaint de maux de gorge violents et on lui découvre une sclérose latérale amyotrophique. Après trois ans de bataille, entre Londres et la Malaisie, Dahari succombe à sa maladie le 11 juillet 1991 à l’âge de trente-sept ans, laissant une famille et tout un pays orphelin. La véritable raison de sa mort ne sera révélée qu’en 2010 à l’occasion d’un documentaire du National Geographic. Les travées des stades s’emplirent de tristesse en souvenir de ces cris qui descendaient puissamment des gradins au son de « Supermokh ! Supermokh ! ». Son aura s’étend encore sur la péninsule malaise puisqu’en janvier dernier, le club de Selangor décida d’évoluer avec le maillot porté par Dahari pour cette nouvelle saison, en souvenir de ces heures glorieuses où un moustachu trapu faisait vibrer toute la Malaisie.

Boris Ghanem
Boris Ghanem
Chroniques d'un ballon rond au Moyen-Orient, de Beyrouth à Baghdad, de Manama à Sanaa, football sous 40 degrés à l'ombre d'un palmier.