Fausto dos Santos révolutionne son poste de milieu défensif au Brésil à partir du milieu des années 1920, associant combativité et technique. Il connaît également le racisme aussi bien en Amérique du Sud qu’en Europe, à une période où l’amateurisme marron l’a amené à connaître une fin de vie difficile.

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Fausto dos Santos a été l’un des meilleurs joueurs de son époque et a révolutionné son poste de milieu défensif, où il a joué dans les années 1920 et 1930. Dans sa biographie Fausto, a maravilha negra, Luciano Ubirajara Nassar écrit : « Il a été indiscutablement le meilleur joueur du monde de son époque. L’idéalisateur d’un nouveau poste et d’un nouveau et providentiel rôle. Fausto a permis que les milieux défensifs puissent devenir artistes du ballon et non de simples et stupides déménageurs de pianos. Avant Fausto, un poste sans beauté, un genre d’ouvrier standard, après Fausto, l’apogée du numéro 5, avec glamour, popularité et vie propre », ajoutant que Fausto « a réuni un football intellectualisé, philosophique et guerrier, le rythme de la samba et de la neuvième Symphonie de Beethoven ».

Bangu et Vasco, seuls clubs à accepter des joueurs noirs

De nombreuses sources indiquent que Fausto naît à Condó, dans l’État du Maranhão dans le Nordeste brésilien, mais sa mère déclare lors d’une interview pour A Batalha dans les années 1930 que Fausto est né à Rio de Janeiro. Dans son livre Gigantes do futebol brasileiro, coécrit avec Marcos de Castro, João Máximo écrit : « Fausto dos Santos est né le 28 février 1905. Il est né avec la même noblesse primitive de son peuple, il n’a pas eu et n’aura pas la protection des Dieux, des eaux et des arbres. Il a vécu, oui, pour connaître la gloire, souffrir avec elle et mourir pour elle comme il est venu au monde, pauvre et chrétien ». Fausto dos Santos grandit à Rio de Janeiro au sein d’une famille pauvre et rejoint le club de Bangu, seul grand club de Rio de Janeiro avec Vasco à accepter des joueurs noirs à une époque où le football est encore amateur et réservé à l’élite. Fausto dos Santos travaille à l’usine de textile de Bangu et dispute son premier match en 1926 lors d’une victoire 2-1 sur Vila Isabela dans le cadre du Torneio Início. Fausto alimente en ballons le buteur de Bangu, Ladislau da Guia, également noir et deuxième membre du « Clã da Guia », histoire à retrouver dans le dix-septième numéro de notre magazine.

faustovascoFausto se révèle dans le championnat carioca 1926 et le journal O Rio Esportivo demande à ce qu’il soit appelé en sélection carioca pour le championnat national des sélections d’État en 1928. Un an plus tard, Fausto rejoint Vasco, en quête d’avantages financiers plus conséquents à l’époque de l’amateurisme marron qui laisse de nombreux joueurs pauvres dans la misère à la fin de la carrière. Fausto se fait rapidement adopter par les supporters vascaínos en marquant trois buts lors d’une victoire 4-1 face au rival Flamengo. Aligné au milieu de terrain par l’entraîneur Harry Welfare, ancienne légende de Fluminense, Fausto brille par sa technique et son abattement au cœur du jeu. Il marque également quatre buts au cours du championnat carioca 1929, au cours duquel Vasco atteint la finale face à l’America. Après deux matchs nuls, Vasco remporte le match décisif 5-0, Fausto décroche son premier championnat carioca et est appelé pour la première fois en sélection carioca. Titulaire aux côtés de ses coéquipiers vascaínos Jaguaré, Itália, Paschoal et Russinho, Fausto s’incline en finale du championnat brésilien des sélections après quatre matchs très disputés contre la sélection paulista.

Meilleur joueur brésilien de la première Coupe du Monde

Fausto fait ensuite partie de l’équipe brésilienne qui participe à la première Coupe du Monde de l’histoire, organisée en Uruguay en 1930. En raison du conflit entre les fédérations de Rio de Janeiro et São Paulo, les paulistes ne participent pas au tournoi et l’équipe est composée presque exclusivement de joueurs cariocas, entraînant la méfiance de Fausto, qui confie au masseur Johnson : « Perdre n’est pas moche, ce qui est moche, c’est d’avoir peur. Je commence à croire que notre groupe est à moitié peureux, je crois que ce n’est pas à cause du froid que certains tremblent ». Lors du premier match face à la Yougoslavie, Fausto réalise un grand match, enchaînant les récupérations de balle, les coups du sombrero et petits ponts. Le Brésil se retrouve pourtant rapidement mené 2-0 avant d’inscrire son premier but en Coupe du Monde, décrit par Luciano Ubirajara Nassar dans son livre Fausto, a maravilha negra : « Le gamin de Condó a été plus rapide que les milieux adverses, récupérant un ballon presque perdu. Instinctivement, il dribbla Vujadinović avec maestria et fit un centre millimétrique et parfait pour que Preguinho marque de la tête le premier but de l’histoire du Brésil en Coupe du Monde ». Contre la Bolivie, Fausto réalise à nouveau un grand match dans la victoire 4-0, qui ne permet cependant pas au Brésil de se qualifier pour les demi-finales après la défaite lors du match initial.

Fausto est le seul joueur brésilien à être nommé dans l’équipe-type de la Coupe du Monde et reçoit l’hommage de son coéquipier Araken Patusca : « Le joueur qui était un genre de guide, un motivateur pour nous, était indiscutablement Fausto. Même si le Brésil a joué seulement deux matchs et a été éliminé, Fausto a été surnommé à Montevideo “el Mago”, le meilleur joueur de la Coupe du Monde 1930 ». Également surnommé la « Maravilha Negra » en référence à l’Uruguayen José Leandro Andrade, champion du monde en 1930, Fausto critique pourtant Araken lors d’une interview pour A Noite en juillet 1930, qu’il accuse de « jouer comme une danseuse », alors que Nilo « semblait fuir le ballon » et Poly « avait peur même de son ombre ». Plus tard, après le drame du Maracanaço, le journaliste Mário Filho, qui accuse les Brésiliens d’avoir manqué de courage, prend en exemple Fausto dans une chronique pour Manchete Esportiva en 1956 : « Celui qui sait donner des coups est l’Uruguayen, […] le Brésilien ne sait pas. Il l’a su oui, mettre le pied, en d’autres temps, quand les choses n’allaient pas bien, on appelait un Fausto dos Santos et elles s’amélioraient vite, vite ». Fausto confie pour sa part sa frustration concernant le manque de soutien au sein de l’équipe brésilienne : « Il y a eu des moments où j’ai pensé à aider Preguinho à la pointe de l’attaque. Mais comme je suis noir, s’ils marquaient un autre but, ils allaient dire que c’était moi le coupable ».

Racisme en Europe

Fausto subit également le racisme en Europe. En 1931, Vasco remporte pour la troisième année consécutive le Torneio Início, tournoi disputé sur une journée avant le début du championnat carioca. Vasco débute parfaitement le championnat carioca avec sept victoires en huit matchs, giflant notamment Flamengo 7-0, plus large victoire de l’histoire du clássico dos milhões. Vasco devient ensuite le deuxième club brésilien à partir en tournée en Europe après le Paulistano en 1925. Vasco débute par une défaite 3-2 contre le Barça, mais se rattrape dès le lendemain avec une victoire 2-1 contre ce même Barça. Le club cruzmaltino bat également le Celta Vigo 7-1, Benfica 5-0, Porto 3-1 ou encore le Sporting Portugal 4-1. Au Portugal, Fausto est impliqué dans un scandale lorsqu’il crache sur le ballon, les Portugais lui reprochant son manque de bonnes manières, associé à sa couleur de peau. Un journal madrilène écrit : « Fausto travaille comme un esclave. Il est possible que tous les milieux brésiliens travaillent également comme des esclaves. Serait-ce pour cela qu’ils sont tous noirs ? », alors qu’un journal de Lisbonne, émerveillé par le football de Fausto, écrit : « Avec tant de classe, il peut même ne pas être blanc ».

En douze matchs, Vasco remporte huit rencontres pour un match nul, trois défaites et quarante-cinq buts marqués. Après la tournée, Fausto reste en Espagne, où le professionnalisme est déjà officiel, et signe au Barça en compagnie d’un coéquipier du Vasco, le folklorique gardien Jaguaré. Sans deux de ses joueurs principaux, Vasco s’écroule dans le championnat carioca et cède finalement le titre à l’America. Fausto souhaite pour sa part assurer son avenir financier et s’impose rapidement à Barcelone. « Fausto exécutait la lecture du jeu magistralement. Il distribuait le ballon pour toute l’équipe et possédait l’esprit de l’art. Être un artiste est une chose, avoir l’esprit de l’art divin et millénaire en est une autre. Il jouait fluctuant, visant la victoire et le spectacle. Il jouait milieu défensif, avec l’audace des milieux offensifs et la conviction des buteurs », écrit Luciano Ubirajara Nassar dans son livre Fausto, a maravilha negra. En Espagne, Fausto souffre du racisme et est sujet à de fortes grippes, qu’un médecin attribue à son goût pour la fête et l’alcool. Ces grippes lui font rater quelques matchs et Fausto entre en conflit avec la direction catalane. Il passe ensuite par la Suisse et le club de Young Fellows avant de retrouver son ancien club du Vasco, où il fait partie de « l’équipe de cent contos », Vasco recrutant également les deux autres grandes stars noires du football brésilien, le défenseur Domingos et l’attaquant Leônidas. Vasco remporte facilement le championnat carioca 1934 et Fausto est élu meilleur joueur du tournoi. La même année, alors que le professionnalisme est encore interdit par la confédération brésilienne des sports, Fausto refuse de rejoindre Botafogo, ce qui aurait pu lui permettre de jouer la Coupe du Monde 1934. Il dispute en fin d’année la finale du championnat national des sélections, une nouvelle fois contre São Paulo. Lors du match aller, Fausto « gagne le match à lui tout seul » selon João Máximo dans son livre Gigantes do futebol brasileiro. Fausto est en difficulté physique lors du match retour et est expulsé dans le match d’appui, où les dix autres joueurs cariocas lui font une haie d’honneur pour accompagner sa sortie.

faustodossantosAventure tronquée à Flamengo

Fausto dos Santos passe brièvement par Nacional, où il reste sept mois dans le club uruguayen. Ses grippes toujours régulières l’empêchent de jouer les matchs en entier et il frappe un journaliste qui avait suggéré de « virer le noir Fausto, qui ne fait pas honneur à ses frères de race ». Fausto retrouve alors Rio de Janeiro et signe cette fois à Flamengo, où il est un rêve aussi bien pour l’entraîneur Flávio Costa que pour le président José Padilha, qui souhaite faire de Flamengo le « club du peuple ». José Padilha recrute Fausto, qui évolue ensuite aux côtés de nombreux joueurs noirs, notamment ses deux anciens légendaires coéquipiers du Vasco. « Fausto, Leônidas et Domingos étaient symboliquement un sanctuaire sacré pour transformer et agrandir le ciel du Brésil », écrit Luciano Ubirajara Nassar dans son livre Fausto, a maravilha negra. Flamengo perd cependant la finale du championnat carioca 1936 après trois matchs très disputés contre Fluminense, qui recrute de son côté des joueurs blancs de São Paulo, notamment ceux d’origine italienne.

En 1937, le Hongrois Dori Kruschner est nommé entraîneur de Flamengo. Il révolutionne la préparation physique et la tactique au Brésil, transformant l’obsolète 2-3-5 par le système en WM. Fausto est lui toujours victime de grippes malgré une vie nocturne moins agitée, évitant le Café Rio Branco, lieu de rencontre et de fête au sein du monde du football. Fausto peine à terminer les matchs, n’ayant plus l’énergie nécessaire en deuxième mi-temps pour assurer les efforts défensifs ou la distribution du jeu. Dori Kruschner veut alors le faire reculer en défense centrale, où sa technique, son sens du placement et sa puissance dans les duels pourront toujours être utiles. Dori Kruschner a besoin d’un nouveau défenseur pour son WM, mais Fausto, qui se sent moins important comme défenseur, refuse catégoriquement. Il écope d’une amende de 60 % de son salaire et est envoyé par la direction en équipe réserve. La décision déplaît fortement aux supporters, qui commencent à surnommer Dori Kruschner le « Boucher de Vienne », en raison de son autoritarisme et du soutien de l’Empire austro-hongrois à l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale. Fausto attaque le club en justice pour être libéré de son contrat, mais la décision de justice lui est défavorable et, en difficulté financière, il présente finalement des excuses publiques à Dori Kruschner.

Fausto retrouve les terrains et est envisagé pour la Coupe du Monde 1938, mais une nouvelle forte grippe l’empêche de participer au tournoi. Pour sa part, Dori Kruschner est viré de Flamengo lorsqu’il change à nouveau le poste d’une star de Flamengo, faisant évoluer Leônidas à une position plus basse sur le terrain. Kruschner passe ensuite par Botafogo et Canto do Rio, et « meurt triste et oublié à Rio de Janeiro en 1941 », comme l’écrit Marcelo Schwob dans le livre Seleção brasileira de histórias de futebol. Fausto prend de son côté sa retraite en 1938, année où on lui diagnostique la tuberculose, ce qui vient expliquer ses grippes chroniques. La « Maravilha Negra » est interné dans un hôpital de Rio de Janeiro et brûle ses dernières économies, Leônidas mettant en place une campagne pour venir en aide à sa famille. Fausto dos Santos lit la Bible lorsque son état le lui permet et meurt le 28 mars 1939, à trente-quatre ans. Flamengo, son dernier club professionnel, refuse de prendre en charge les funérailles.

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.