Par-dessus tout hincha du Racing, Matias Bauso, écrivain, journaliste et critique culturel a publié de nombreux textes sur le football. Son dernier en date, une enquête titanesque, "Une histoire oral du mondial 1978" vise à briser les mythes qui se sont construits autour de cette compétition. Avant le 8e de finale, il revient sur LO sur les quarante ans du Mondial argentin, les anecdotes de France – Argentine 78, Messi et Rocky Balboa.

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On célèbre cette année les quarante ans de 1978, que vous évoque ce Mondial ?

J'avais six ans, mais j'aimais déjà beaucoup le football et je l'ai vécu avec beaucoup d'intensité. Ici, la télévision était en noir et blanc et j'ai vu les sept matchs de l'Argentine sur un écran géant, dans un stade de Buenos Aires. On a fêté chacune des victoires. Au fil des ans, le Mondial a pris une autre connotation et la question politique et social a pris du poids. Les circonstances ont commencé à changer et beaucoup de mythes, de falsifications et d'approximations ont remplacé l'histoire réelle dans la tête des gens. C'est pour cette raison que j'ai décidé de mener l'enquête, suis allé rencontrer plus de 150 personnes, et ai lu toute la presse d'époque pour reconstituer la vérité de ces quelques jours de juin 1978.

« Fuimos Campeones », la liberté face à la dictature

bausoVous vous attaquez aux nombreux mythes qui entourent ce Mondial. Quels ont été les plus durs à démonter ?

En premier lieu, rappeler aux nombreux argentins qui l'ont vécu, car ce n'était pas il y a si longtemps que bien avant les affaires politiques et sociales, ce Mondial a soulevé beaucoup de joie en Argentine. On entend beaucoup que la dictature a utilisé pour le Mondial pour couvrir les crimes qu'elle a commis. Or, tout le monde pendant la compétition était au courant et les comités de boycott défendant la violation des droits de l'homme de la part du gouvernement argentin ont eu beaucoup de succès en Europe avant et pendant le Mondial. Sur le plan sportif il subsiste un mythe sur le jeu de l'équipe d'Argentine, mais elle n'était pas aussi Menottiste que les gens veulent le faire croire. Elle était composée de joueurs nobles qui jouaient un football frontal, peu élaboré et n'a pas dominé ses adversaires pendant les matchs. Sur le plan international, une fausse rumeur très répandue fait état de boycott du Mondial par des joueurs alors que non, Cruyff et Breitner n'étaient pas absents pour des raisons politiques, mais personnelles... Je ne pensais pas en le faisant que le démontage des mythes de cette compétition me prendrait plus de 900 pages.

« En venant au stade, Luque – le héros du match -a eu un accident de voiture avec son frère qui est décédé pendant le match »

Selon-vous, quel héritage Menotti a-t-il laissé au football argentin ?

Un héritage très important. Le travail de Menotti, depuis sa nomination en 1974, jusqu'à la finale contre les Pays-Bas a permis de donner une structure et une forme au football argentin alors qu'il n'en avait pas. El Flaco a revu totalement la façon d'aborder les matchs, de s’entraîner et a lancé de nombreux jeunes dont l'Albiceleste a profité des années plus tard. Il faut mettre d'autant plus de crédit à son immense travail car El Flaco a dû faire face à une presse féroce ainsi qu'un contexte hostile et souvent dangereux des dirigeants politiques de la dictature qui ne voulaient pas de lui à ce poste.

Quel regard portez-vous sur le France - Argentine de 1978?

Un grand match, fort en émotion avec beaucoup d'occasions de but. La France aurait mérité avoir un peu plus de chance de faire le nul, voire de gagner, d'autant que l'arbitre a sifflé un penalty ridicule pour une main non intentionnelle de Marius Trésor.. Didier Six a joué un match extraordinaire à gauche et a eu plusieurs occasions de marquer mais Ubaldo Fillol, le gardien argentin fut l'homme du match. Avec Platini, Rocheteau ou Battiston, on sentait que l'équipe de France avait un gros potentiel et pouvait aller loin dans ce Mondial, mais au final, elle a explosé dans les deux suivants en Espagne et au Mexique.

César Luis Menotti : "Le Menottisme est une connerie"

Il existe deux anecdotes exceptionnelles autour de ce match. Le gardien français Dominique Baratelli a dû sortir sur blessure suite à un tir de Valencia. Une rumeur a alors circulé en Argentine, relayé par la presse, comme quoi il serait mort. Lors du dernier match de la France, contre la Hongrie, toute la presse attendait la délégation française à Mar de Plata, à la sortie de l'avion pour connaître son état de santé. Surréaliste. Une autre histoire, tragique a ému le pays. Le buteur, Luque, joue tout le match avec une blessure au bras. En venant au stade, il a eu un accident de voiture avec son frère, décédé pendant le match. Luque le héros du match ne l'apprendra qu'à la fin.

Comment abordez-vous ce huitième de finale ?

C'est la première fois que la France est en position de favorite. Elle a un groupe extraordinaire et un réservoir de talents énormes, qu'elle n'a jamais eu auparavant. Elle n'arrive toujours pas à le transposer dans son jeu collectif, mais elle a de super joueurs pour faire la différence. En face, Sampaoli n'a pas eu assez de temps pour travailler et tout ce qu'il fait semble improvisé. De plus, il donne l'impression d'avoir perdu la confiance du groupe. L'Argentine a Messi, mais très peu de joueurs de top niveau autour de lui. Le groupe est vieillissant, même si dans le football tout est possible, je ne suis pas très confiant.

« Cela n'enlèvera rien à sa carrière exceptionnelle ou ses records si Messi n'est pas champion du monde »

L'avenir de l'Argentine est encore une fois dans les pieds de Messi ?

Cela peut encore être son Mondial. Les joueurs déterminants sont attendus à partir de maintenant. Messi n'a ni les coéquipiers idéaux pour briller, ni se décharger d'un point, mais il a déjà prouvé qu'il était capable de tous les miracles. Depuis l'Argentine, on espère que ce sera le cas, même si pour moi, cela n'enlèvera rien à sa carrière exceptionnelle ou ses records si Messi n'est pas   champion du monde.

En tant que grand amateur de cinéma, avec quel film comparerais-tu la phase de groupe de l'Argentine dans ce Mondial ?

Le scénario est incroyable. L'Argentine est KO debout après la déroute contre la Croatie. Les trois quatre jours avant le match contre le Nigéria sont agonisants. Maintenant, on a l'occasion d'affronter un des favoris du Mondial. C'est un scénario à la Rocky si l'Argentine gagne et que l'histoire se finit bien. L'équipe qui part de tout en bas, surmonte toutes les difficultés, évite les obstacles et se relève dans l'adversité pour l'emporter. Même si en y réfléchissant, c'est étrange que cela arrive à l'équipe qui compte le meilleur joueur du monde dans ses rangs… Mais le désordre qui règne en sélection, à la fédération, les guerres intestines, les disputes avec la presse et le niveau de certains joueurs l'ont mis dans cette situation et peut être qu'elle convient mieux aux joueurs que celle de favoris.

Quel serait ton scénario de rêve pour la fin du Mondial ?

Le match rêvé de tout Argentin serait une finale contre le Brésil, mais malheureusement ce n'est plus possible. Je me consolerais très bien avec une demi-finale contre Neymar. En quart, que ce soit un Messi - Ronaldo ou un classique contre l'Uruguay, l'affiche serait magnifique. Et en finale ? Disons qu'on prend notre revanche sur l'Espagne, mais avant, il va déjà falloir passer la France…

 

Propos recueillis par Ken Fernandez à Buenos Aires pour Lucarne Opposée

Ken Fernandez
Ken Fernandez
Journaliste tout terrain, je balade mon carnet et mon stylo au pays de Diego, à la recherche du nouveau Cavenagoal