A l’occasion de la sortie de « Bleu Ciel », autobiographie de David Trezeguet co-écrite par Florent Torchut, nous sommes allés à la rencontre de son auteur afin qu’il nous raconte le Roi David.

Combien de temps a pris l’écriture du livre ?

Deux ans. Il m'a fallu autant de temps car, à la base, il fallait apprivoiser le personnage qu'est David Trezeguet. S’il ne s’exprime pas souvent dans les médias français, c’est qu’il a un côté très introverti qui vient de son père (NDLR : Jorge Trezeguet), L’anecdote amusante, c’est que sa maman (ndlr : Loly Trezeguet) est tout l’opposé. C’est une dame charmante qui a un peu ce côté très hispanique, chaleureuse, et qui vous reçoit tout de suite les bras ouverts. Pour en revenir à David, il a d’abord fallu nouer un contact, le convaincre, sachant que ce n’est pas quelqu’un qui apparaît beaucoup dans les médias. C’est sa personnalité. Après en le connaissant, tu te rends compte que c’est un mec adorable et qui a de vraies valeurs. Je lui ai présenté le projet quand il est arrivé à Buenos Aires à River Plate. On ne se connaissait pas du tout et je dois dire qu’il n’était pas forcément enthousiaste. J’ai dû lui présenter le projet de différentes manières avec un dossier photo comprenant les grandes étapes de sa carrière que ce soit à Platense, en Equipe de France etc… On peut dire ce que l’on veut, mais ça reste quelqu’un d’assez sensible et je pense que j’ai su trouver les mots justes pour le convaincre. Le côté affectif avec la France, l’histoire de son père qui a aussi évolué dans l’hexagone ont été des facteurs décisifs.

La légende qui s'est construite autour du refus de Trezeguet de jouer pour l'Argentine est totalement fausse

C’est justement Jorge qui fait partie de ceux qui ont envoyé David à 17 ans en Europe, un an après sa première apparition à l'âge de 16 ans sous le maillot de Platense.

Il faut savoir que son papa est arrivée en France un petit peu comme tous les argentins des années 1970, grâce à Rafael Santos (NDLR : ancien joueur professionnel argentin ayant évolué au FC Nantes, Nice, Avignon et Cannes). C'est Santos le pionnier en la matière d'agent en France dans cette filière argentine. Il a ramené à l'époque les Piazza, Onnis et donc aussi Jorge Trezeguet. Jorge avait alors effectué à l'époque un essai à Monaco mais vu que le club avait déjà ses trois joueurs extracommunautaires, il s'est retrouvé à Rouen, toujours grâce aux contacts que Rafael Santos avait dans ce club. Pour David ce fut la même chose. D’abord par l'intermédiaire d’Omar Da Fonseca puis par l'inévitable Rafael Santos, David décroche un essai au PSG, alors entraîné par Luis Fernandez qu’Omar Da Fonseca connaissait très bien pour avoir évolué avec lui.

Trezeguet débarque donc en France et le PSG le recale cinq jours avant la fin de la période des transferts.

Ce qu'il se passe c'est qu'en quelques semaines, sa maman décide de rester travailler en Argentine car elle avait déjà beaucoup d'ancienneté dans son entreprise alors que son père, qui était préparateur physique, croyait au potentiel de son fils. David débarque donc à Paris avec son père, les billets d'avions payés par Omar Da Fonseca et Rafael Santos, en quelque sorte un premier investissement. A son arrivée, Luis Fernandez intègre David Trezeguet dans le groupe pro avec les Djorkaeff, Cobos, Bravo, Rai etc. D'ailleurs pour la petite anecdote, Trezeguet est très impressionné par Rai, qui était le capitaine de la Seleção de 1994. Pendant trois semaines, David s'entraîne avec le groupe, participe tous les jours à l'entraînement et est logé non loin de Saint Germain chez Omar Da Fonseca. Le tournant sera un stage de présaison à Pouligny-Notre-Dame dans l'Indre où le PSG joue deux amicaux face à Saint-Etienne puis Châteauroux. Trezeguet joue deux bouts de match, mais à son retour à Paris, après une discussion avec Michel Denisot et Jean-Michel Moutier, il est écarté, sa demande étant jugée un peu excessive. En fait, il réclamait 15 000 francs et un appartement pour que sa famille puisse venir et pour qu'il subvienne à ses besoins. Denisot et Moutier voulaient l'envoyer au centre de formation avec un certain Nicolas Anelka. Luis Fernandez quant à lui maintient qu'il avait donné son avis favorable à ce que Trezeguet reste mais cela n'a donc pas pu se faire…

Fernandez l'avait d'ailleurs même comparé à un certain Delio Onnis à l'époque…

Tout à fait. Et du jour au lendemain les portes se ferment et là Omar Da Fonseca intervient en disant qu'il a aussi joué à Monaco et qu'il va faire son possible pour décrocher un autre essai à David. Je pense aussi que Luis Fernandez passe un autre coup de fil à Jean Tigana, à l'époque entraîneur de l’ASM. Ils partent donc à Monaco à cinq jours de la fin du mercato et là, Tigana qui revenait d'un match amical en Suisse le fait participer à un entraînement, en lui faisant notamment faire une opposition à 5 vs 5 avec justement Thierry Henry. Ce dernier préface « Bleu Ciel » et raconte dans cette dernière qu'il avait été impressionné par David la première fois qu'il l'a vu jouer. Tigana aussi. Et en fait, l'équipe dans laquelle David évoluait gagne 6-4 et il en plante cinq sur les six. A la fin de l'entraînement, Jean Tigana dit trois mots dont Trezeguet va se souvenir toute sa vie : « On te garde ». Le lendemain Tigana part voir Jean-Louis Campora, président de l'AS Monaco à l'époque, pour lui dire de prendre le petit jeune qui est venu à l'essai la veille et qu’il lui laisse gérer les détails du contrat.

A ce moment-là, David décide de rejoindre l’Équipe de France en jeune puis l’Équipe de France A, alors que certains affirment que José Perkerman l'aurait aussi appelé chez les jeunes en Argentine. Pourquoi ce choix ?

Au départ, c'est Gérard Houiller qui appelle Thierry Henry pour savoir si David avait le passeport français. Du côté de l’Argentine et de Pekerman, il y a effectivement eu une prise de renseignements, des adjoints de Pekerman ont même été le voir à Platense, mais il n'a jamais été véritablement appelé par l'Argentine. J'ai contacté l'AFA (NDLR : Asociación del Fútbol Argentino) pour savoir si des convocations avaient été envoyées à David Trezeguet et, après avoir cherché dans leurs fichiers, ils m'ont répondu que non. La légende qui s'est construite autour du refus de Trezeguet de jouer pour l'Argentine est totalement fausse. En plus de cela, la convocation pour l’Équipe de France arrive très vite. En juin, il fait son essai à Paris, en juillet à Monaco, en août il est convoqué en Équipe de France jeune face à la Slovaquie. Pour sa première sélection, il met deux buts et délivre deux passes décisives. A partir de ce moment-là tout est clair dans sa tête, il continuera avec les bleus.

Avant chaque match à River, David se regardait dans le miroir avec ce maillot à la bande rouge sur le torse

Avec les bleus, après ce titre de Champion du Monde en 1998, il inscrit le but en Or lors de l'Euro 2000 en finale face à l'Italie. Autant d’aboutissements dans une carrière. Et pourtant, quand il arrive à River Plate, au soir de la remontée en première division, il déclare « Ce que je viens de vivre est encore plus intense que mon but en or face à l'Italie »…

Là- dessus, je pense qu'il y a un manque de recul parce qu'il le dit en zone mixte juste après la rencontre et donc juste après la remontée de River Plate en première division. Concernant l'Euro 2000, pour lui quand il marque ce but en or, il a l'impression d'avoir remis les pendules à l’heure. Car dans ce Championnat d'Europe, il ne joue quasiment pas, il marque ce petit but face aux Pays-Bas dans le troisième match de groupe. Au final, il est frustré. Ce but en finale est une occasion de se dire qu'il aura servi à quelque chose pour l’Équipe de France et qu'il aura apporté sa pierre à l'édifice. Cela peut paraître surprenant, mais quand David fait le bilan de cet Euro 2000, ça ne reste pas un souvenir positif car il n'était pas titulaire ce qui était son objectif principal. Après en 2002 il le sera mais les bleus passent à la trappe au premier tour, en 2006, il y a ce penalty contre l'Italie en finale de Coupe du Monde. Il y a comme une petite frustration en Bleu. David est quelqu'un de très pragmatique.

Cela a toujours été ou ce sont les événements qui l’ont façonné ? Car la suite de sa carrière est une alternance de joies et de déceptions. La relégation de la Juventus de Turin en Serie B,  son départ douloureux de River Plate après avoir contribué à sa remontée…

Concernant la Juventus, il n'a pas hésité une seconde pour y rester. C'était aussi une façon de rendre tout ce que le club lui avait donné. Pour River, l'histoire résume bien la carrière de David, c'est à dire une immense joie avec des succès et derrière tout s'effondre. Quand Trezeguet est revenu à River Plate, ce fut une des plus grandes joies de sa carrière. L’intendant du club m'a même confié qu'avant chaque match David se regardait dans le miroir avec ce maillot à la bande rouge sur le torse et qu'il n'en revenait pas. C'est un rêve de gosse qui s'est réalisé. Après, il est un peu triste d’avoir terminé dans ses conditions parce que l’entraîneur (NDLR : Ramón Díaz) ne voulait plus de lui. Il a trouvé cela injuste pour le coup.

 

Avant ce retour en Argentine, il y a deux piges, une à Alicante en Espagne avec Hercules et une autre aux Emirats Arabes Unis à Abou Dabi avec le Baniyas SC. Tu penses qu'il n'a jamais triché ?

Jamais. Alicante il y va parce qu'il a toujours voulu découvrir la Liga, avoir l'occasion de jouer contre le Barça, le Real Madrid etc. Après ça reste un compétiteur et il regrette un petit peu de ne pas avoir eu les armes pour jouer le milieu de tableau voire mieux. Son passage là-bas n'est pas forcément un grand souvenir. De plus, c'était le bordel, les joueurs n'étaient pas payés en temps et en heure mais bon…il a exaucé un de ses rêves qui était de jouer en Liga. Concernant, Abou Dabi…bon… Au final il rompt son contrat et rend au club une grande partie de ce qu'il lui avait déjà été versé. Ce qui s'est passé aux Emirats, c'est qu'il s'est rendu compte que ce n'était pas lui. David n'est pas un mec vénal et jouer dans des stades où il y a 300 personnes ça ne l’intéressait pas. On en parle dans le livre, mais un jour, il revient passer cinq jours en Argentine, invité par Velez à assister à un match. Il faut savoir que Velez lui faisait les yeux doux et il a répondu à l'invitation. Ce match, c'était Velez – Boca. Quand David est allé au stade, il s'est dit que c'était ça le football, que c'était ça qui lui manquait. Il a eu un déclic, il s’est dit qu'il ne pouvait pas ne pas terminer sa carrière là-bas. L’Argentine a ravivé sa flamme.

Trezeguet fait le choix de rejoindre River Plate en Primera B Nacional avec donc cette joie de la remontée, une moitié de saison en première division dont un Superclasico face à Boca Juniors, mais surtout cette cassure avec son entraîneur Ramón Díaz qui va le faire atterrir à Newell's, un club avec lequel il n'a pas forcément d'attaches au départ…

Il ne s'attendait pas trop être évincé par Ramón Díaz après cette superbe saison en deuxième division qui permet à River Plate de retrouver l'élite. Ensuite il se blesse, mais revient en inscrivant quelques buts en première division. Il y aussi effectivement cette anecdote où l'on voit que Trezeguet est avant tout un passionné quand il rentre le sourire jusqu'aux oreilles lors du Superclasico face à Boca Juniors. Après le destin l'envoie à Rosario. Un crève-cœur quand on sait qu'il a toujours déclaré vouloir terminer à River Plate. Même après son aventure aux Newell's, il tentera de nouveau un retour à River Plate d'ailleurs. Mais là, entre Francescoli, Gallardo et Donofrio on ne sait pas trop ce qu'il s'est passé car ils se renvoient tous la balle. Pour en revenir à Rosario, il apprend ça du jour au lendemain, il ne sait pas trop comment réagir et son avocat, qui est un ancien entraîneur des gardiens à Platense, lui trouve cet accord avec les Newell's Old Boys car Topper qui est le sponsor des Leproso et aussi le sponsor de David Trezeguet. Voilà comment cela s'est fait. Le projet des Newell's le séduit, il sait que Rosario est une ville à part, une ville de football et cela lui plaît. Il arrive à l'Estadio Marcelo Bielsa, il trouve que l'ambiance est extraordinaire, il fait de bons matchs et rentre dans l'histoire en étant le premier français à inscrire un but en Copa Libertadores face au Nacional Montevideo. Cela reste une fierté pour lui, d'autant plus qu'il inscrit ce but au Centenario, le stade où s’était déroulée la première finale de la Coupe du Monde de l'histoire. L'aventure aux Newell's, champion en titre à l'époque, reste donc un très bon souvenir. Il aura évolué avec des joueurs comme Lucas Bernardi, Gabriel Heinze, Maxi Rodriguez et créé un lien avec le club et la hinchada qu'il n'oubliera pas. D'ailleurs dans ce chapitre du livre, c'est Ezequiel Ponce qui intervient disant qu'il avait un an quand Trezeguet a remporté la Coupe du Monde. Trezeguet a vu l'émergence de Ponce qui l’idolâtrait au point de regarder comment David remontait ses chaussettes. Cela donne une passation de flambeau assez sympa.

Tu nous as parlé de Thierry Henry pour la préface, Ezequiel Ponce à l'instant, quels sont les autres intervenants dans cette autobiographie ?

Il y a un ou deux grands témoins par chapitre qui reviennent sur des moments clés de sa carrière. Gérard Gili, sa maman Loly, son père Jorge, Tomaso, Luis Fernandez, Daniel Bravo, Jean Tigana, Fabien Barthez, Gérard Houiller, Christian Damiano, Zinedine Zidane, Didier Deschamps, Marcelo Gallardo, Robert Pires, Thierry Henry, Alessandro Del Piero, Willy Sagnol, Manu Petit, Mauro Camoranesi, Gigi Buffon, Abel Aguilar, Daniel Passarella, Mathias Almeyda, Ezequiel Ponce, Paolo Montero… ils sont présents au rendez-vous !

Ne manque plus qu’une traduction en espagnol ou en italien…

C’est un souhait et personnellement j’aimerais beaucoup que le livre soit diffusé un maximum. A Turin, il y a une vraie demande car il ne faut pas oublier que David Trezeguet reste le troisième meilleur buteur et le meilleur buteur étranger de l’histoire de la Juventus. Il a passé dix ans au club, c’est aussi l’étranger qui y a passé le plus de temps donc il y a forcément un vrai amour dans cette ville qu’il nomme son « Lugar del Mundo ». En Argentine il y aussi un intérêt donc ça reste dans les tuyaux.

Bleu Ciel, David Trezeguet, préface de Thierry Henry co-écrit avec Florent Torchut, chez Hugo Sport, 17 euros.

Propos recueillis par Bastien Poupat à Buenos Aires

Bastien Poupat