Présent en tant que joueur lors de la première Coupe du Monde de l’histoire du Costa Rica, Alexandre Guimarães a dirigé la Sele en Asie en 2002 et vibre désormais pour son fils, acteur de l’exploit de 2014 et présent en Russie en 2018. Il revient pour nous sur près de vingt ans d’histoire.

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Quel souvenir en gardez-vous des qualifications pour la Coupe du Monde 1990 ?

J’avais connu deux périodes avec la sélection. La première, lorsque j’en étais le capitaine sous la direction d’un coach uruguayen. Au milieu des qualifications, la fédération a licencié cet entraîneur et a fait appel à des coaches locaux qui ont décidé de m’écarter. Quand ces deux entraîneurs ont été licenciés trois mois avant la Coupe du Monde et que Bora Milutinović est arrivé, il m’a rappelé. Cela fait que j’ai eu une vision du groupe de l’intérieur et de l’extérieur. Nous avons connu des qualifications fantastiques, nous avions le bénéfice de la disqualification du Mexique, donc nous savions qu’il y aurait un spot ouvert bien plus accessible qu’auparavant. Lors de la deuxième partie des qualifications, mes coéquipiers ont fait un excellent travail et nous avons mérité notre qualification. Ces éliminatoires et la participation du Costa Rica à sa première Coupe du Monde a totalement changé le football ici.

Milutinović était un coach avec une grande expérience…

Oui, quand il est arrivé, il avait dirigé le Mexique à la CDM 86, il avait déjà une grande expérience en tant que sélectionneur lors d’une phase finale de Coupe du Monde. Mais il avait aussi une grande expérience de part sa carrière de joueur et pour nous, les vingt-trois élus pour l’Italie, il nous a montré la voie, nous a donné tant de confiance pour jouer notre football, être stricts sur le plan tactique pour bien jouer en Coupe du Monde lors de notre première apparition. Il a vraiment été un mentor pour nombre d’entre nous, spécialement pour moi. Nous avons compris que nous avions un coach qui avait une grande carrière, une grande expérience et qu’il allait nous permettre d’améliorer notre jeu collectif. Alors, nous avons fermé les yeux et suivi ce qu’il nous disait.

Comment l’équipe s’est préparée au premier match face à l’Écosse ?

Le groupe s’est préparé avec bien plus de confiance que lors des précédents matchs de préparation. On avait disputé différents matchs amicaux avant la Coupe du Monde et pas seulement les résultats mais surtout les performances étaient moyennes. Lorsque nous avons joué notre dernier match amical face au Pays de Galles à Cardiff, on a réalisé un grand match et par le style de match que c’était, un nul il me semble (NDLR : défaite 1-0, but de Dean Saunders), cela nous a donné une grande confiance. Parce que si nous pouvions contrôler le domaine aérien qu’ils avaient l’habitude d’utiliser, on pourrait faire un bon match. Bien sûr, Bora a choisi le bon onze pour ce match. Il y a eu deux choses importantes face à l’Écosse : nous avons été réalistes, on a marqué à chaque occasion et nous avions un ange dans les buts, Luis Gabelo Conejo qui nous a sauvé avec des arrêts fantastiques. Cela a commencé à nous donner davantage de confiance en nous et aussi à faire douter les Écossais. Lorsque vous avez autant d’opportunités, que vous frappez à la porte et que le gardien enchaîne les arrêts incroyables, vous devenez nerveux. C’était l’histoire ce match.

Ensuite, vous jouez le Brésil. Quel sentiment à ce moment ?

C’était incroyable, vraiment. Bora a commencé à me préparer à jouer ce match. Je n’étais pas dans le onze de départ face à l’Écosse. La veille du match face à l’Écosse, il m’avait invité à venir voir Suède – Brésil uniquement pour que je sois concerné, que je vois comment les supporters étaient et comment le Brésil jouait. Ce devait être la première fois dans l’histoire d’une Coupe du Monde qu’un joueur affronte son pays de naissance (NDLR : Alexandre Guimarães est né à Maceió, dans le Nord-Est du Brésil). Il a commencé à me préparer aux émotions que j’aurais probablement lorsque je les affronterai. Il a débuté avec le onze qui avait battu l’Écosse, puis il a vu que ce match était l’occasion idéale de me faire entrer. J’étais à l’échauffement depuis environ 30 minutes, j’attendais qu’il m’appelle. Quand je suis entré, c’était comme un rêve qui devenait réalité. Une occasion inespérée que la vie m’avait donnée. C’était incroyablement beau.

Ensuite vous êtes passeur décisif lors de la victoire face à la Suède.

On a abordé ce match en sachant que l’Écosse aurait un match difficile face au Brésil et donc qu’en décrochant un nul, on aurait la possibilité de nous qualifier. Là encore, l’organisation de notre équipe était la même que lors de deux premiers matchs, puis la Suède a marqué et là, Bora a commencé à comprendre qu’il devrait procéder à des changements offensifs pour égaliser ou aller chercher la victoire. En seconde période, Hernan Medford est entré. C’était un ailier droit très rapide et ils ne savaient pas comment le gérer. Bora a vu qu’il y avait une opportunité à saisir, leur arrière gauche perdait ses duels avec Medford. Alors, il m’a fait entrer pour mettre des ballons dans le dos des défenseurs et utiliser la vitesse de Medford. Pour moi, c’était idéal. Lorsque j’entre en jeu, on avait un coup franc et on égalise sur celui-ci. Alors toute l’équipe a senti que la qualification était à portée et nous voulions gagner le match. Ce n’était pas forcément ce que voulait Bora, mais l’équipe a gagné en confiance et c’est alors qu’est venue cette passe pour Medford. J’ai gagné le duel dans les airs et j’ai vu le trou entre les deux défenseurs centraux et je savais que si je mettais le ballon dans leur dos, Medford l’aurait. Il a commencé à courir sur vingt-cinq / trente mètres, à s’approcher du gardien et on s’est tous arrêtés. Il n’y avait plus qu’un gars qui courrait vers le gardien, on se demandait ce qu’il allait faire. Et à notre plus grande joie, Medford a choisi le bon côté, l’a mise au fond et alors on savait qu’on avait écrit l’histoire.

À la fin de ce match, vous étiez conscients d’avoir marqué l’histoire

Oui, on savait parce qu’avant cette Coupe du Monde, nous avions toujours joué en sachant que le Costa Rica n’avait jamais atteint une phase finale, que cette place était réservée au Mexique. Jouer notre première Coupe du Monde, en Europe, et nous qualifier pour le tour suivant n’était pas commun. Les matchs avançant, après la victoire face à l’Écosse, la courte défaite face au Brésil, tu commences à sentir que l’histoire t’attend.

Ensuite vous perdez face à la Tchécoslovaquie (1-4). Quel a été le sentiment à la fin du match, de la fierté ?

C’était un mélange d’émotions pour la plupart des joueurs, moi y compris, Óscar Ramírez, l’actuel sélectionneur aussi. Il y avait une part de colère parce que nous savions que nous n’avions pas faits le match qu’il fallait alors que nous l’avions fait auparavant. Mais l’autre moitié était de se dire que c’était une fantastique épopée, que nous devions être fiers, le pays était très fier de nous, nous savions qu’il n’y aurait aucune critique de la part du pays à notre retour.

Italie 90 : la naissance du Costa Rica

Yeltsin Tejada nous a expliqué qu’à la fin du match face aux Pays-Bas, son seul désir était de revenir à la Coupe du Monde…

La plupart d’entre nous était âgé entre 28 et 31 ans, donc nous savions que c’était l’une de nos dernières chances de jouer une Coupe du Monde. Yeltsin a raison sur l’aspect que le fait de jouer un tel évènement tous les quatre ans – en quatre ans tout peut arriver – fait que tu veux revenir. Après cela, notre groupe était si fort, si uni. Nous avons toujours ce fort lien. Nous savons que nous avons participé au développement du football au Costa Rica par notre résultat. J’ai disputé la Coupe du Monde alors que j’avais trente ans. Je savais que ma carrière était proche de la fin après cela. Dans mon cas, lorsque nous sommes rentrés d’Italie, dans ma tête, je savais que ce serait difficile de connaître de nouveau une telle expérience mais je voulais la revivre et je savais que si je voulais participer à une nouvelle Coupe du Monde, ce serait en tant qu’entraîneur. Cet objectif, je l’ai atteint en Corée du Sud et Japon en 2002. C’était incroyable.

Ce Costa Rica de 2002, celui de la génération Wanchope, était plus talentueux que celui de 90 ?

En effet. Cette génération Corée du Sud/Japon était l’une des plus talentueuses de l’histoire du football costaricain. Mais parfois, pour avancer, il faut un peu de chance. Nous n’avons pas eu cette chance, la Turquie s’est qualifiée pour le tour suivant à nos dépens pour un but. Nous avions joué de superbes matchs face à la Chine, au Brésil et à la Turquie mais nous savions que ce n’était pas suffisant, j’étais triste pour cette génération qui méritait bien mieux.

D’autant que la Turquie termine troisième, le Brésil est champion

Exactement. La Turquie termine deuxième du groupe et ont eu un parcours quelque peu chanceux puisqu’ils n’ont jamais croisé de grands noms pour accéder aux demi-finales. Ils étaient excellents bien sûr, nous les avons affrontés, nous avons été meilleurs qu’eux sur ce match, nous sommes créés plus d’occasions qu’eux mais nous avons fait match nul. Puis ils font un meilleur résultat que nous face à la Chine et cela suffit (NDLR : le Costa Rica souffre aussi d’une plus lourde défaite face au Brésil (2-5) alors que la Turquie s’était inclinée 1-2, mais le but concédé face au futur médaillé de bronze aura fini par faire pencher la balance en sa faveur).

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En 2014, c’est au tour de votre fils, Celso Borges, de jouer une Coupe du Monde et d’atteindre les quarts de finale.

Oh oui ! Cette génération de 2014 était plus ou moins dans la même situation que celle que j’ai entraînée en 2002. Quatre ans plus tôt, ils avaient manqué l’occasion d’aller en France et ils savaient que la fois d’après, ils ne pouvaient pas échouer. En 2014 leur cas était similaire :  ils avaient manqué l’Afrique du Sud, donc ils savaient qu’ils ne pouvaient pas se permettre de manquer une autre Coupe du Monde. Toute la campagne de qualification a été excellente et leur performance au Brésil est incroyable. En 2014, ils ont évidemment surpassé notre performance de 1990. Le monde entier était surpris par ce qu’il se passait.

Surtout que leur groupe était incroyablement difficile, c’était le groupe de la mort.

Oui, mais l’histoire était comme pour nous en 1990. Ils ont fait un super match en ouverture face à l’Uruguay (NDLR : victoire 3-1) et ils ont acquis une grande confiance pour leur deuxième match face à l’Italie. Quand tu es entraîneur, tu rêves de voir tes joueurs faire le match parfait. La façon dont ils ont joué face à l’Italie est probablement la meilleure performance d’une sélection nationale sans grande histoire, comme le Costa Rica, face à une grande nation comme l’était l’Italie. C’était un jour parfait. Chaque action...les joueurs ont joué juste, leur discipline tactique…c’était incroyable.

Et pour 2018, que pensez-vous de ce groupe ?

Déjà, ce que les joueurs costaricains ont fait lors de la dernière Coupe du Monde, par rapport à leur confiance est important. Ils savent comment faire pour être compétitifs. Ce sera encore un groupe très difficile car la Suisse a une belle équipe avec de bonnes individualités, la Serbie est aussi une équipe composée de fortes individualités et le Brésil est candidat au titre. Je pense que comme d’habitude, pour le Costa Rica va dépendre du premier match. S’ils obtiennent un bon résultat au premier match, ils ne joueront pas le Brésil avec une grande pression parce qu’il leur restera une chance. Il faut prendre des points au premier match, ensuite si tu as la chance de battre le Brésil, il faut la saisir, mais surtout, le plus important est de rester en vie avant le dernier match.

Que pensez-vous de la façon dont ce Costa Rica joue ? On leur reproche d’être trop défensif.

Ils ont eu des succès ainsi. Ils se sont qualifiés à un ou deux matchs de la fin des éliminatoires. Les joueurs sont confiants en leur approche des matchs, le coach connait le style de jeu familier du Costa Rica, donc il ne va pas non plus procéder à de profonds changements. Il a confiance en ce style, les joueurs l’apprécient. L’heure est à la préparation, à emmener les joueurs clé en bonne forme et attendre que les matchs débutent. (en français) « Les jeux sont faits ! ».

Grégory Chaboche
Grégory Chaboche
Fan de foot jusqu'au bout des orteils. Animateur radio dans FootStation sur DoHitRadio. " La modestie dieu m'en préserve " (J.Mourinho)