À quelques semaines d’un rendez-vous de CONCAChampions face à l’América, Juan Carlos Rojas, président du Deportivo Saprissa, se livre en exclusivité sur Lucarne Opposée. Il évoque ainsi la réalité d’un club costaricain, ses recettes et ses espoirs.

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Arrivée à la tête du Deportivo Saprissa en 2011 pour initier un nouveau projet, Juan Carlos Rojas a mené son club à quatre nouveaux titres de champion et stabilisé des finances dans le rouge alors que le contexte local laissait craindre le pire. Comment gère-t-on un club costaricain ? Comment lutter contre les géants de la zone ? En exclusivité pour Lucarne Opposée, Juan Carlos Rojas se confie et nous fait découvrir la réalité de la vie quotidienne et les grands défis d’un club costaricain.

Dans quel état financier était le club au départ de Jorge Vergara ?

Ça n’allait pas très bien. Je pense que Jorge Vergara a fait un travail extraordinaire au début, lorsqu’il a pris le club en 2002-2003, le club était au plus mal, il a aidé à le sauver, le club a remporté la CONCAChampions, a été à la Coupe du Monde des Clubs. Mais vers la fin, je pense qu’il a perdu de l’intérêt pour l’équipe et ça n’allait plus très bien. Notre groupe d’investisseurs, composé de fans de Saprissa et d’entrepreneurs locaux très investis dans notre pays, dans cette équipe, a été capable de mettre en place de bonnes pratiques entrepreneuriales pour stabiliser et développer les finances du club, car vous savez, c’est un business qui doit être durable, qui doit progresser pour qu’on puisse réinvestir, dans le stade, dans les structures, dans le développement et l’acquisition de talents. Aujourd’hui, nous avons une équipe dirigeante très solide. En six ans, nous avons réussi à consolider l’administration de l’équipe, les finances, la partie commerciale, les supports. Cette dernière était probablement la plus délicate. Nous avons remporté quatre championnats, et je crois que notre plan stratégique initial, Saprissa 2020, s’assemble parfaitement, dans chaque aire de développement. On a mis en place des professionnels de haut niveau, très compétitifs et bien préparés.

En octobre dernier, vous avez publié l’excellente santé financière du club (la meilleure de l’histoire). Comment avez-vous fait pour redresser le club ?

On a commencé à le diriger comme un vrai business, d’une manière professionnelle, en nous focalisant sur la planification, en mettant des talents dans tous les domaines. Chaque business dépend des gens, plus vous mettez les meilleurs aux bons postes, meilleurs sont vos résultats. Et je ne parle pas que sur le plan du terrain. C’était le point clé. L’autre point a été de ne pas nous préoccuper uniquement du court terme, ce qui est particulièrement difficile en football car les fans veulent gagner tout de suite et la pression est énorme sur un club comme Saprissa. Mais nous avions aussi besoin de penser au futur et donc investir sur des projets à long terme. C’est ainsi qu’un projet est viable. Nous avions un plan stratégique, une vision, nous avons observé ce que d’autres équipes ont fait de par le monde et tenté d’appliquer cela chez nous. Le mélange de tout ça a, je pense, été la clé dans le fait d’arriver à ce résultat : des finances solides et une équipe compétitive.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le projet Saprissa 2020 ?

C’est un projet financier et stratégique que nous avons mis en place en arrivant au club. Nous avons décidé de structurer ce plan autour de cinq axes principaux au sein desquels il y avait des sous-projets à court, moyen et long terme. Ces axes sont : premièrement le sportif, l’équipe première et notre académie, le programme de développement des jeunes. Deuxièmement les fans, nous avons de nombreuses activités impliquant nos fans, c’est notre principal atout, nous voulions vraiment nous connecter à nos fans, nous avons donc développé des initiatives pour que les fans se sentent identifiés au club. Troisièmement, l’axe commercial. Nous avons de nombreuses initiatives pour promouvoir l’équipe, la marque. Quatrièmement, le stade, nous avons plus investi dans le stade en cinq ans qu’il ne l’avait été fait lors des 15 années précédentes. Nous avons cherché à moderniser le stade et de grands projets sont initiés pour les prochaines années. Le dernier axe est la responsabilité sociale. Nous avons créé la Fondation Saprissa, un pourcentage de notre billetterie est reversé à la fondation, nous pensons qu’une équipe comme Saprissa a tellement d’influence sur les jeunes de ce pays que nous devons être actifs du point de vue social, c’est pour cela que cet axe est l’un des piliers de ce projet.

Saprissa 2020 peut-il être un modèle pour les autres clubs ?

Je l’espère. De la même manière que nous avons observé ce que les grandes équipes au Mexique, aux USA faisaient et nous avons essayé de l’appliquer à Saprissa, cela ne me dérangera pas si les autres équipes du Costa Rica ou d’Amérique Centrale viennent nous observer et tente d’imiter les bonnes choses. Je pense que certaines équipes ont déjà fait certaines choses que nous développons et que nous avons eu de bonnes idées que d’autres ont copiées. C’est une bonne chose. Si le championnat va bien, c’est bon pour Saprissa.

Comment les clubs costaricains parviennent-ils à lutter contre les puissances économiques de la zone que sont Mexique et USA ?

Comme vous le dites, il y a une grande différence sur le plan financier, il nous est impossible de lutter sur le plan économique, nos budgets sont largement inférieurs aux Mexicains et même à la MLS. Alors comment rivaliser ? Par le talent. En acquérant et en développant des talents et en recrutant des personnes qui travaillent très dur pour aligner une équipe compétitive sur le terrain. On sait que nous ne pouvons pas rivaliser en achetant des talents sur le marché international alors nous consacrons énormément de temps, de ressources et d’efforts à développer les talents du Costa Rica au sein de Saprissa. Je pense que c’est notre force.

Quels sont les sources de revenu pour un club costaricain ?

Notre groupe a acheté Saprissa en 2011 à Jorge Vergara et depuis, nous sommes parvenus à augmenter nos entrées d’argent de manière significative en les diversifiant. Nous avons désormais plusieurs sources : la billetterie, au sein de laquelle il y a les billets au match et les abonnements, qui ont progressé ces dernières années jusqu’à être supérieurs au nombre de billets vendus par match. Nous avons aussi les sponsors qui progressent, les droits TV, les transferts, et nous avons mis en place de nouvelles sources via du merchandising, des boutiques. Nous avons désormais cinq boutiques, propriétés du club, ce qui nous a permis d’avoir de nouveaux moyens de générer des revenus et cela représente désormais 10% de nos entrées totales. Nous avons aussi mis en place des académies aux quatre coins du pays qui génèrent des revenus. Ce sont nos pistes de travail actuelles.

Vous évoquez ce point, quelle est la place des droits TV dans les revenus d’un club comme Saprissa ?

Nous avons d’excellentes relations avec nos sponsors télé, qui datent de plus de 30 ans. Nous avons récemment signé un long contrat sur 30 ans dont nous sommes satisfaits. Mais nous sommes un petit pays, les droits TV ne représentent pas une source aussi importante que dans d’autres grands pays en termes de pourcentage. Nos ressources principales viennent vraiment des autres éléments que j’ai cités auparavant.

Il est possible pour le Costa Rica d’envisager exporter son championnat à l’étranger ? Ailleurs dans la zone CONCACAF par exemple ?

C’est très difficile car même si Saprissa est l’équipe la plus célèbre d’Amérique Centrale, les prix des droits internationaux n’est pas significatif pour nous. Je pense qu’avec des droits sur le digital, ce pourrait être une piste de développement dans le futur. Exporter nos droits TV n’est pas un objectif à court terme. Pour l’instant, nous nous focalisons sur le développement de notre marché local, nos efforts se concentrent cet axe. Nous sommes ravis que partout dans le monde, il soit possible de voir les matchs de Saprissa en ligne. Il y a quelques marchés en particulier chez nos voisins, au Nicaragua par exemple, on apprécie qu’ils puissent nous voir, mais imaginer le monétiser n’est pas un objectif à court terme.

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Le fait de voir de jeunes talents partir si tôt, c’est une conséquence de ce manque de puissance financière ?

Oui. Cela a un effet. Les grandes différences de salaires entre un club au Costa Rica et des ligues comme la MLS ou même certains championnats européens, qui ne sont pourtant pas des top ligues, rendent difficile pour nous de retenir nos talents. Nous savons qu’il est parfois mieux pour les joueurs de partir et nous devons comprendre que c’est notre business model et que nous devons faire avec. Nous savons qu’ils vont partir, il faut donc être capable de nous adapter en les remplaçant par de nouveaux talents. Plus nous nous développerons, plus nos revenus progresseront, plus nous pourrons peut-être les retenir une année de plus en leur offrant de meilleurs salaires et ce sera alors positif. C’est pour cela que nous essayons de nous développer le plus possible.

La meilleure publicité reste donc la sélection. Les clubs ont-ils bénéficiés de 2014 ? Quels sont vos espoirs pour 2018 ?

Nous espérons. La sélection est notre principal pourvoyeur en termes d’image. Ce qu’il s’est passé en 2014 a été incroyable. C’est grâce à cela que Keylor Navas est allé au Real Madrid et d’autres joueurs ont aussi été excellents. Je ne sais pas si nous parviendrons à reproduire cela, mais évidemment, ce que la sélection fait est positif non seulement pour les joueurs mais aussi notre football, notre ligue, nos équipes. Grâce à la sélection, les autres pays peuvent voir que le pays dispose de talents et s’intéresser à nos clubs pour y dénicher des talents.

Cette année, vous avez réussi à attirer des internationaux comme Bolaños, Venegas, Rodriguez. Comment avez-vous fait ?

C’est un point important. Je pense que la raison principale à leur retour est la Coupe du Monde. Ils veulent être en forme pour aller à la Coupe du Monde, faire en sorte que le sélectionneur national les voit et qu’ils jouent. Nous pouvions leur offrir cela et aussi de leur proposer des offres compétitives pour qu’ils combinent leur désir de jouer et de se mettre d’accord avec leurs clubs. Notre solidité financière nous autorisait à dépasser quelque peu notre budget et les attirer. Plusieurs d’entre eux comme Bolaños ou Rodriguez étaient des anciens de Saprissa et aiment vraiment le club. Ils voulaient revenir. Venegas, c’était quelque peu différent car avant d’aller en MLS, il était chez notre rival Alajuelense. Mais il a aimé notre projet et a accepté de venir.

Venegas et Rodriguez sont d’excellents joueurs mais le plus excitant reste tout de même le retour de Bolaños

Clairement. Il est adoré par nos fans, il était troisième meilleur joueur lors de la Coupe du Monde 2014, Liverpool le voulait. Il était l’un des titulaires de l’équipe de la Coupe du Monde au Brésil. Il y a deux ans, il était là et a joué trois mois avec l’équipe championnat avant de retourner à Vancouver. Il est aimé, c’est un grand joueur.

Ce recrutement, c’est aussi une réponse à l’échec que fut l’Apertura ?

Je ne pense pas. On voulait avoir une équipe forte. Nous n’avons pas réussi à décrocher l’Apertura, mais nous voulions vraiment assembler une équipe très forte. Les opportunités d’avoir Bolaños et Rodriguez sont aussi un compromis : elles nous permettent de jouer pour gagner le tournoi et d’aller défier l’América en CONCACAF tandis qu’elles leur donnent la possibilité d’être proche de la sélection.

Vous avez des nouvelles concernant la santé de Carlos Watson ?

Il a été notre entraîneur pour deux ans, a remporté deux titres, il est l’un des entraîneurs les plus respectés au pays et il a de grandes qualités de formateur et c’est aussi un gentleman. Après le dernier match, il nous a informé qu’il avait des soucis de santé au niveau de la tension artérielle des yeux et il pensait que le meilleur pour lui était de se mettre de côté et de se retirer.

Saprissa est le dernier vainqueur de la CONCAChampions autre qu’un Mexicain. Vous allez croiser l’América en huitièmes de finale de l’édition 2018, la CONCAChampions est-elle un objectif ?

Oui. Même si nous savons que sur la dernière décennie, comme vous l’avez dit, nous sommes le dernier non-Mexicain à l’avoir remportée, durant ces 12 dernières années, l’écart financier entre la ligue mexicaine et les autres ligues, à l’exception de la MLS, s’est creusé. Quand vous voyez des équipes au Mexique qui peuvent avoir entre huit et dix joueurs étrangers et qu’ils achètent des joueurs pour plusieurs millions de dollars, c’est inimaginable pour nous. Cela rend les choses encore plus difficiles pour lutter, c’est la réalité. Évidemment nous voulons retourner à la Coupe du Monde des Clubs et je pense que le Costa Rica possède des talents, notre équipe qui mélange de jeunes joueurs mais a aussi rapatrié des talents que nous avions exportés comme Bolaños, Rodriguez, Venegas, je pense que nous allons pouvoir nous battre. Nous serons les outsiders et ce sera très difficile. Mais remporter des championnats est notre ADN. Saprissa a été nommée Équipe CONCACAF du XXe siècle et nous allons toujours y aller pour gagner la CONCACAF Champions League.

Être outsider face aux Mexicains ou autre, c’est habituel pour le Costa Rica.

Exactement. C’est notre histoire. C’était le cas au Brésil, nous étions dans le groupe de la mort avec trois anciens champions du monde, nous étions les petits et nous sommes sortis premiers du groupe. On aime être les outsiders. Je pense qu’un jour nous retournerons à la Coupe du Monde des Clubs.

 

Propos recueillis par Grégory Chaboche pour Lucarne Opposée

Grégory Chaboche
Grégory Chaboche
Fan de foot jusqu'au bout des orteils. Animateur radio dans FootStation sur DoHitRadio. " La modestie dieu m'en préserve " (J.Mourinho)