Formé au Deportivo Saprissa, Yeltsin Tejeda a explosé avec sa sélection lors d’une Coupe du Monde brésilienne qui a fait du Costa Rica l’une des sensations de l’année. Cette nouvelle exposition lui ouvre alors les portes de l’Europe où il évolue encore. Rencontre avec un Tico qui se prépare à disputer sa deuxième Coupe du Monde avec ambition et humilité.

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À quel moment tu t’es dit que tu serais un footballeur professionnel ?

Depuis que je suis petit je joue partout, j’ai toujours un ballon aux pieds, je joue avec mes frères. Depuis tout petit j’aime bien mais jamais je ne pensais à devenir un joueur professionnel. Maintenant je le suis, je suis très content, je suis convaincu que c’est ça que je voulais faire.

À 15 ans, tu arrives au Deportivo Saprissa, tu y débutes avec les pros à 19 ans, tu en gardes quels souvenirs ?

Beaucoup. Quand j’étais petit je jouais dans de petites équipes à Limón, là où je suis né, mais quand j’arrive à Saprissa, c’était un grand club. C’est le club le plus important du Costa Rica. Quand j’arrive à 15 ans, j’avais l’objectif d’y faire mes débuts, de jouer avec l’équipe première. Quatre ans plus tard, j’étais trop content quand j’y ai fait mes débuts, face à Pérez Zeledón. Le club n’était pas dans un bon moment mais bon, j’y ai fait mon premier match et dès que le coach m’a donné cette opportunité, j’ai tout donné et je suis de suite devenu titulaire.

Et aujourd’hui, t’es plus attaché à Saprissa ou à Limón ?

(Rires). Ha, c’est difficile parce que maintenant mon petit frère joue à Limón. Je le suis beaucoup. J’aime bien Limón car j’y suis né, je le suis depuis que je suis tout petit. Mais je suis aussi Saprissa, car c’est le club qui m’a fait débuter, m’a donné l’opportunité de faire mes premières minutes en première division professionnelle. Je suis les deux pour mon frère et pour tout ce Saprissa représente pour moi.

Et depuis l’Europe, tu arrives encore à suivre les matchs de championnat ?

Ouais, je regarde beaucoup les matchs le samedi plus que le dimanche. Les matchs sont à 11 heures là-bas, ça fait 19-20 heures chez nous. J’aime bien lorsqu’on joue à 16 heures être chez moi et regarder les matchs, pas seulement Limón et Saprissa mais tous les matchs car j’aime beaucoup les matchs du championnat costaricain.

Quand j’ai la chance, je revois les vidéos et ça me donne envie de rejouer en Ligue 1. J’espère, c’est un objectif

Justement, en ce moment Alajuelense, l’un des grands clubs du pays, a de gros soucis de résultats. Tu en penses quoi ?

Ouais. Mais ça va passer. Je me rappelle quand j’ai fait mes débuts à Saprissa, on avait 4 ou 5 ans sans titres et c’était difficile. Je pense qu’il faut qu’ils restent calmes, ils font débuter de nombreux joueurs qui doivent profiter de cette chance, je regarde un peu quels joueurs ils mettent titulaires et ça peut changer la situation dans laquelle ils sont. Si les joueurs profitent de cette chance, ils reviendront.

Tu penses revenir au pays à l’avenir comme par exemple pour y terminer ta carrière ?

J’aimerais bien. Pour Saprissa ou pour Limón. Je serais très content de pouvoir finir dans l’un de ces deux clubs.

Abordons la France. Quel souvenir gardes-tu de ton passage en France ?

J’ai gardé de nombreuses choses car j’ai beaucoup appris avec Pascal Dupraz. J’ai fait une année en Ligue 1, une année difficile car j’arrivais en retard à cause de la Coupe du Monde. Quand j’arrive, la situation était déjà difficile. On essayait de tout faire pour sauver l’équipe mais c’était difficile. Je garde beaucoup de choses, beaucoup de matchs importants, le match au Parc des Princes... Mais bon, quand j’ai la chance, je revois les vidéos et ça me donne envie de rejouer en Ligue 1. J’espère, c’est un objectif.

Tu aimerais vraiment revenir ?

Oui, je l’aime bien, je la suis beaucoup. Maintenant la Ligue 1 a beaucoup changé avec des grosses stars dans le championnat, j’espère pouvoir arriver, dans 2-3 ans, à y revenir. Je travaille pour ça.

Qu’est qui a été le plus dur à ton arrivée ? Le manque de préparation à cause de la Coupe du Monde ou le fait d’arriver en Europe ?

Quand je jouais au Costa Rica, à mes débuts, je rêvais de venir en Europe. Quand j’y suis arrivé, j’étais trop content mais c’était très différent par rapport au Costa Rica. La culture, la langue… Le travail était différent, en Europe c’est plus physique, ça va plus vite. Il faut changer de nombreuses choses, j’ai beaucoup appris, les premières années c’est difficile mais maintenant je me sens bien.

Comment tu expliques qu’il y ait trop peu de costaricains qui arrivent en Europe et surtout qui s’y adaptent ?

Ce serait bien pour le pays, pour la sélection, mais je pense qu’il serait possible que plus de costaricains viennent en Europe car on a les qualités pour, on a la grinta que les coaches d’ici aiment mais il faut beaucoup travailler pour venir ici. Je pense vraiment qu’on peut être plus nombreux.

Tu as un exemple d’une chose qui change significativement le quotidien ?

Maintenant je me sens bien en Suisse, c’est ma quatrième année, mais au début quand je suis arrivé, c’était difficile d’acheter des choses, je ne savais pas quoi dire. Maintenant que je connais la langue, que je connais un peu la culture, c’est plus facile. Mais au début c’était différent.

Du coup tu penses qu’il est plus facile d’aller par exemple en Espagne comme le fait Celso Borges ?

Peut-être que ça aide oui. Mais bon, si on a la chance d’arriver directement en Espagne, c’est bien pour nous, mais un joueur comme Borges, il a beaucoup souffert. Il a fait Suède, Norvège, beaucoup de choses avant d’arriver là-bas. Je crois que c’est une caractéristique des costaricains, on doit travailler dur pour décrocher ce qu’on désire. Tous les costaricains d’Europe aimeraient bien être en Espagne, en Angleterre, en Italie. Mais on doit travailler pour ça.

La Coupe du Monde 2014 a changé les choses car depuis les équipes adverses regardent le Costa Rica.

La disparition de l’ETG, ça t’inspire quoi ?

Un peu triste car quand je suis arrivé au club, il y avait de nombreux objectifs, d’une année à l’autre les objectifs changeaient. Je pense que tout a changé quand le club est descendu en Ligue 2, tout a changé par rapport à l’année précédente. En Ligue 2, on se disait que ça pouvait passer. Je suis triste pour cela car c’est le club qui m’a ouvert les bras pour venir en Europe et j’aurais aimé qu’il reste minimum en Ligue 2. C’est un peu difficile pour moi.

A titre personnel, quel est le meilleur moment de ta carrière ?

La Coupe du Monde. C’est un truc incroyable, c’est un truc dont j’avais beaucoup rêvé. J’y suis arrivé grâce à un énorme travail. J’ai dû énormément travailler pour cela. Au début je n’étais pas en sélection, puis je n’étais pas titulaire et quand le coach m’a donné ma chance, j’ai joué tous les matchs de la Coupe du Monde et ça m’a fait arriver à Evian. Je n’oublierai jamais.

On va parler des Ticos, vous vous êtes qualifiés pour la Coupe du Monde 2018 lors d’un match fou face au Honduras. Tu peux nous raconter cette soirée ?

C’était un peu incroyable parce qu’on a fait de bons matchs, on gagne 2-0 aux Etats-Unis, on égalise à la fin contre le Mexique, on a besoin d’un point en deux matchs. Face au Honduras, on doit jouer un jour mais la situation avec l’ouragan, déplace le match, ça a changé un peu les choses. Le Honduras a fait un bon match mais à la fin c’est devenu un moment historique pour le Costa Rica. Je n’oublierai jamais quand Kendal Waston marque le but, on était très contents. C’est ma deuxième qualification pour une Coupe du Monde. On aurait aimé gagner deux ou trois à zéro mais Dieu l’a voulu ainsi. On espère maintenant faire de bonnes choses à la Coupe du Monde.

Justement, tu disputeras ta deuxième Coupe du Monde avec ce groupe. Quelles sont les attentes ? Faire aussi bien que 2014 ou le simple fait d’y être est déjà énorme ?

Depuis que la Coupe du Monde 2014 est terminée, je n’ai cessé de me dire que je voulais en jouer une autre et faire plus que ce que j’ai fait au Brésil. Maintenant qu’on est qualifiés, je vais travailler beaucoup pour être dans la liste finale,  jouer des matchs et faire de bonnes choses pour aider la sélection parce que ce serait bien pour moi, pour la sélection, pour le pays, pour l’équipe. La Coupe du Monde 2014 a changé les choses car depuis les équipes adverses regardent le Costa Rica. Keylor Navas est au Real Madrid, Celso Borges fait de bonnes choses à La Corogne, on a Bryan Ruiz, beaucoup de joueurs importants. On a une bonne base, c’est une grosse opportunité de montrer que le Costa Rica peut faire de bonnes choses.

Ton plus beau souvenir de la Coupe du Monde 2014 ?

Je me souviens du match contre la Grèce, lorsqu’on passe aux penalties, le moment où Michael Umaña marque, le moment où on court jusqu’à Keylor Navas qui a rejoint Michael. Je n’oublierai jamais et je n’ai qu’une envie, le revivre encore une fois.

Avant le tirage au sort de cette Coupe du Monde, tu avais des envies ? Jouer la France, le Brésil ?

Oui, j’aurais aimé jouer contre la France car je pense qu’ils ont de quoi la gagner ou être en finale alors j’aimerais les croiser. Je suis beaucoup le foot français, la Ligue 1. La Suisse c’est pareil, maintenant que je suis ici, je connais leur niveau. Je sais que dans la sélection il n’y a pas beaucoup de joueurs qui évoluent au pays, mais je les connais et je serais très content de jouer contre la Suisse.

Le tirage a en partie exaucé de vœux puisque le Costa Rica affrontera le Brésil, la Serbie et la Suisse. Un avis sur ce groupe ? Confiant ?

Pas confiant non, c’est un groupe difficile. Je pense que dans le foot, il n’y a rien d’impossible mais le Brésil est favori. Suisse et Serbie sont de bonnes sélections aussi.

Le fait d’avoir Óscar Ramírez, qui a disputé une Coupe du Monde 90, ajouté à votre vécu de 2014, c’est un plus ?

Oui c’est ça. C’est un coach du pays, il a fait de bonnes choses avec Alajuelense, il connait beaucoup de joueurs. Il sait comment parler aux joueurs car il a fait une Coupe du Monde. Il nous raconte des histoires qu’il a eues lors de cette Coupe du Monde 90. Il a fait beaucoup de bonnes choses, il nous a qualifiés pour la Coupe du Monde 2018 assez facilement quand on compare aux autres fois où on souffrait jusqu’à la fin. Il est là, je l’écoute, il aimerait faire de bonne chose.

Il y a eu la Gold Cup aussi. Tu en retiens quoi ?

C’est une déception parce qu’en demi-finale contre les USA, on pensait pouvoir faire plus. Ils marquent dans un moment difficile et ils gagnent. Mais je pense que ça nous a servi ensuite. Le 2-0 chez eux en qualification, sans la Gold Cup…. Si tu me demandes de choisir entre gagner le match de la Gold Cup et celui de la qualification, je choisis la qualification, c’est un match qui nous a quasiment donné la Coupe du Monde. Je suis content d’avoir joué la Gold Cup, je manquais de temps de jeu en sélection mais je suis plus heureux d’être à la Coupe du Monde.

La presse costaricaine est très critique sur le jeu jugé défensif de la sélection. Ça t’inspire quoi ?

On ne veut pas toujours jouer défensifs. Mais c’est normal surtout après les matchs contre l’Espagne ou la Hongrie. On doit rester tranquilles, travailler et continuer à progresser. Pour la Coupe du Monde 2014, on avait perdu des matchs amicaux, on avait pris 4-0 contre le Japon. On doit savoir qu’il nous faut beaucoup travailler pour cette Coupe du Monde mais avec la tranquillité donnée par ce qu’on a fait en qualifications.

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Tu l’as évoqué un peu tout à l’heure, mais est-ce que finalement, le Costa Rica n’a pas changé de statut depuis 2014 ?

Ouais tout a changé. On sent que les équipes veulent encore plus nous battre. On a fait l’histoire en 2014, mais on ne doit pas rester là-dessus. Chaque équipe nous observe, ils regardent les vidéos de ce qu’on a fait en 2014. À nous de travailler davantage.

Et du coup, tu ressens plus de pression autour de la sélection pour 2018 ?

Pas de pression mais tout le monde attend beaucoup de nous. On doit travailler comme je disais pour faire de bonnes choses et surtout pour que les gens ne soient pas déçus.

On peut dire un petit mot du capitaine Keylor Navas. Quelle est sa place dans le vestiaire ?

C’est un grand leader. Il est dans la meilleure équipe du monde, il est très respecté mais il reste comme il l’était auparavant, il n’a pas changé. Il a gagné deux Champions League, il a fait d’excellentes choses à la Coupe du Monde. Il se sert de son expérience pour le bien de l’équipe, pas pour lui. Il continue à travailler normalement, comme d’habitude. Il gagne la Champions League et deux jours après, il arrive au Costa Rica pour jouer la qualification. Normalement, ça n’arrive pas. Je ne pense pas que d’autres personnes se comporteraient comme lui.

Tu le placerais où dans l’histoire du football costaricain ?

Maintenant on peut dire qu’il est le meilleur, le premier. Il a gagné deux Champions League, il est titulaire, il a le respect. Au Costa Rica, il est comme un dieu. Je pense qu’il est le joueur le plus important de l’histoire.

 

Propos recueillis par Grégory Chaboche pour Lucarne Opposée

Grégory Chaboche
Grégory Chaboche
Fan de foot jusqu'au bout des orteils. Animateur radio dans FootStation sur DoHitRadio. " La modestie dieu m'en préserve " (J.Mourinho)