Pelé est indissociable de la Seleção, pour laquelle il a joué de 1957 à 1971. Surtout, Pelé a remporté trois fois la Coupe du monde alors que le Brésil peinait à se remettre du drame subi en 1950 et la défaite à domicile lors du match décisif de la Coupe du monde. De nombreux joueurs ont contribué à faire du Brésil le « pays du football » mais Pelé est très certainement le plus grand d'entre tous. Voici l’histoire jaune et verte d’Edson Arantes do Nascimento.

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Débuts réussis contre l'Argentine

Pelé débute sa carrière auriverde le 7 juillet 1957, lors de la Copa Roca, compétition organisée depuis 1914 entre le Brésil et l'Argentine. Convoqué par Sylvio Pirillo, ancienne gloire du Flamengo, Pelé n'a pas encore 17 ans lorsqu'il défend pour la première fois les couleurs brésiliennes, sur la pelouse du Maracanã. Il remplace Del Vecchio, son coéquipier en club, que Pelé pousse doucement vers la sortie. Bellini, Zito ou encore Mazzola, plus connu sous le nom de José Altafini en Europe et au Milan AC, assistent au début du futur Roi. L'Argentine ouvre le score mais seulement trois minutes plus tard, Pelé marque déjà son premier but avec la Seleção. L'Argentine finit par s'imposer et prend une option pour le match retour, au Pacaembu, trois jours plus tard. A São Paulo, Pelé ouvre le score et Mazzola double la mise à l'heure de jeu. Le règlement impose une prolongation, où l'Argentine doit marquer pour inverser la décision. Rien ne passe et le Brésil remporte la Copa Roca, qui n'avait plus été disputée depuis 1945. Pelé, qui a marqué lors de deux matchs, remporte déjà un titre avec la sélection nationale.

Sélectionné pour la coupe du monde à 17 ans

Après ces débuts réussis, le meilleur buteur du championnat Paulista 1957 fait partie du groupe des 31 joueurs présélectionnés pour la Coupe du monde en Suède. Il commence sur le banc lors du premier match de préparation, face au Paraguay. Pelé rentre à la place de Dida et marque son troisième but en trois sélections. La jeunesse et l'immaturité de Pelé inquiètent cependant de nombreuses personnes, dont le psychologue João Carvalhaes. Huit ans seulement après le drame du Maracanazo, la presse brésilienne se demande si Pelé, jeune Noir, pourra supporter la pression d'une Coupe du monde. Le gamin de Bauru doit attendre le quatrième match de préparation pour être titulaire et le célèbre avec un doublé contre la Bulgarie, où il est aligné pour la première fois aux côtés de Garrincha. Lors du match suivant, contre le Corinthians, les supporters mosqueteiros sifflent copieusement les Brésiliens car leur idole, Luiznho, n'a pas été appelée par Vicente Feola pour disputer la Coupe du monde. Pelé est blessé après une grosse faute d'Ari Clemente. De cet épisode, naîtra la légende d'une promesse de Pelé, qui aurait juré que le Corinthians ne remportera pas de titre tant qu'il jouera. Pelé marque 50 buts en 49 matchs contre le Corinthians, qui ne bat pas Santos dans le championnat paulista de 1957 à 1968, soit vingt-deux matchs sans victoire.

Même blessé et incertain pour le début de la Coupe du monde, Pelé est sélectionné par Vicente Feola parmi les vingt-deux joueurs qui se rendent en Suède. Deux semaines après sa blessure, Pelé, encore diminué, assiste du banc de touche au premier match du Brésil dans cette Coupe du monde, remporté 3-0 contre l'Autriche. Le match suivant, contre l'Angleterre, accouche du premier 0-0 de l'histoire de la Coupe du monde. Un résultat décevant qui force Vicente Feola à effectuer des changements. Vavá, Garrincha et Pelé font leurs débuts en Coupe du monde, contre les Soviétiques, dont le « football scientifique » inquiète. Pourtant, la magie brésilienne prend rapidement le dessus et Garrincha éclabousse le match de toute sa classe. Pelé effectue une passe décisive pour Vavá mais à 17 ans et 235 jours, le désormais plus jeune joueur de l'histoire de la Coupe du monde, est impressionné et ne parvient pas à montrer véritablement son football. Les cadres de l'équipe, comme Didi, Bellini ou Nílton Santos, de quinze ans son aîné, encouragent Pelé, de nouveau titulaire en quart de finale, contre le Pays de Galles.

Il marque le seul but du match, après s'être subtilement joué d'un défenseur. Ce but libère Pelé avant d'affronter la France pour une demi-finale entre les deux plus belles attaques de la compétition. Vavá ouvre le score dès la 2e minute de jeu, mais la France réagit rapidement. Kopa lance en profondeur Fontaine, qui dribble Gilmar et fait trembler les filets du Brésil pour la première fois de la compétition. Peu avant la mi-temps, alors que Jonquet est déjà sorti sur blessure, Didi trouve la lucarne sur une magnifique frappe de trente mètres et permet au Brésil de prendre un but d'avance au moment de rentrer aux vestiaires. La seconde période appartient à Pelé. Trois buts en vingt-trois minutes. 52e minute, 64e minute, 75e minute, Pelé frappe toutes les dix minutes. Un premier but facile après une erreur de Claude Abbes, un autre but après un débordement de Garrincha, et le troisième de volée après un contrôle du genou. Aux côtés du Prince Éthiopien Didi et du dribbleur fou Garrincha, il faut désormais ajouter Pelé, dont le visage juvénile rappelle qu'il n'est pas encore majeur.

En finale, le Brésil affronte le pays hôte, la Suède. Nils Liedholm ouvre le score pour les Suédois avant la réponse de Vavá sur un centre de Garrincha. Après dix minutes de jeu, le score est déjà de 1-1. Vingt minutes plus tard, nouveau centre de Garrincha, nouveau but de Vavá. Le Brésil mène 2-1 en attendant le chef-d’œuvre de Pelé. Peu après le début de la seconde période, Didi centre pour Pelé, qui contrôle de la poitrine, réussit un coup du sombrero sur Gustavsson et reprend de volée pour marquer. Jamais les Suédois n'avaient vu un tel but, une telle habilité dans le dribble. Une telle émotion également, lorsqu'en toute fin de match, Pelé marque de la tête, devançant la sortie du gardien, et s'évanouit dans les buts après ce sacre désormais assuré. Pelé a honoré la promesse faite à son père Dondinho, il remporte la Coupe du monde et montre à tout un pays encore marqué par le Maracanazo qu'un jeune Noir est tout à fait capable de supporter la pression d'un tel tournoi. À 17 ans et 249 jours, il devient le plus jeune joueur à remporter la Coupe du monde, record qui tient toujours, et s'effondre dans les bras de Gilmar sous le coup de l'émotion. Les Brésiliens effectuent un tour d'honneur avec le drapeau de la Suède pour remercier les Suédois et leur hospitalité, des Suédois émerveillés par le jeu brésilien comme le confiera le défenseur chargé de marquer Pelé, Sigge Parling : « après le cinquième but, même moi j'avais envie de l'applaudir. » Pelé est en pleurs, Pelé est sacré, Pelé est le nouveau Roi du football.

 

Copa América et tournées en Europe

Pelé retrouve la Seleção en mars 1959 pour le championnat sud-américain organisé en Argentine. Avec huit buts en six matchs, il termine meilleur buteur de la compétition mais doit laisser le titre à l'Argentine pour la seule participation de Pelé à la Copa América. Un an plus tard, il participe à la tournée brésilienne en Égypte, en Suède, au Danemark puis en Italie où Pelé marque un doublé contre l'Inter Milan lors d'un match nul 2-2. Le Brésil termine la tournée au Portugal avant d'affronter l'Argentine dix jours plus tard à Buenos Aires. Pelé reste lui en Europe où il effectue une tournée avec Santos, longue d'un mois et demi. En une semaine seulement, du 25 mai au 1er juin 1960, Pelé joue cinq matchs, dans quatre pays différents (Pologne, Allemagne, Belgique, Italie), et marque dix buts. Dès son retour au Brésil, il affronte l'Uruguay, où le Brésil est défait 1-0, avant d'écraser l'Argentine 5-1, avec un but de Pelé.

Pour aller plus loin : Copa América Centenario : 1959, l’unique chance du Roi Pelé

Pelé blessé en 1962 mais Pelé sacré

Ce match de juillet 1960 contre l'Argentine est le dernier match de Pelé avec la Seleção avant la préparation pour la Coupe du monde 1962. À 21 ans, Pelé est dans la forme de sa vie. Il remporte le Paulista 1961 en terminant meilleur buteur (47 buts en 26 matchs !!!) et durant la même période, il remporte la Taça Brasil, mini-championnat brésilien. Il termine meilleur buteur de cette compétition avec sept buts en cinq matchs et un triplé en finale retour. Début 1962, Santos se qualifie pour la demi-finale de la Copa Libertadores après une brillante phase de groupes (quatre matchs, trois victoires, un match nul, vingt buts marqués). Au joueur encore un peu frêle de 1958 s'est substitué un leader technique, une machine à marquer, du pied droit, du pied gauche ou de la tête. La préparation pour la Coupe du monde est réussie pour l'équipe brésilienne et Pelé : six matchs, six victoires, sept buts de Pelé. Seule mauvaise nouvelle, et comme un mauvais présage, ses deux meilleurs partenaires avec Santos, Pepe et Coutinho, se blessent avant le tournoi. Lors du premier match de la Coupe du monde au Chili, face au Mexique de Carbajal, le Brésil joue mal mais est sauvé par Pelé. O Rei envoie un coup franc sur la barre, puis en seconde période, Pelé dribble deux joueurs, bute sur le troisième, récupère le ballon et centre pour Zagallo qui ouvre le score. Pelé conclut son festival en marquant le seconde but de son équipe, au milieu de quatre défenseurs impuissants. Le Brésil s'impose 2-0 et affronte lors du match suivant la Tchécoslovaquie. Sur une frappe croisée, Pelé ressent une forte douleur à l'aine. Une déchirure qui le réduira à féliciter les Tchécoslovaques de ne pas avoir essayé de le blesser davantage. En effet, Pelé est incapable d’accélérer mais reste sur le terrain jusqu'à la fin du match, les changements n'étant pas encore autorisés. Le Brésil va devoir faire sans Pelé.

Amarildo, son remplaçant, tire le Brésil d'un mauvais pas lors du troisième match de poules, contre l'Espagne de Puskás. Mené 1-0, le Brésil s'impose finalement 2-1 avec un doublé d'Amarildo dans les vingt dernières minutes. Sans Pelé, Garrincha se transforme en leader et mène les siens vers la finale avec ses dribbles déroutants et deux doublés, en quart de finale contre l'Angleterre puis en demi-finale contre le pays organisateur, le Chili. Avant la finale, Pelé reprend l'entraînement pour tenter de disputer ce dernier match. Sur un corner, la déchirure s'aggrave et Pelé comprend instantanément que la finale se jouera sans lui. Après avoir enduré les nombreux tacles des défenseurs, Pelé se blesse, tout seul, peut-être aussi victime de l'enchaînement indécent des matchs avec Santos (74 matchs pour la seule année 1961). Pelé regarde du banc de touche ses coéquipiers conserver le trophée acquis en 1958. Une deuxième Coupe du monde au goût amer pour Pelé, au regard de son année 1961 et du premier match contre le Mexique.

Compétitions mineures et nouvelle tournée mondiale

Pelé retrouve la Seleção pour la Copa Roca 1963, compétition qui avait vu les débuts de Pelé avec le maillot jaune et vert. Au match aller, Pelé reste muet et le doublé de Pepe ne suffit pas, l'Argentine s'impose 3-2. Au match retour, sept joueurs titulaires du Brésil jouent pour Santos, dont Pelé, qui avec un triplé, mène le Brésil vers la victoire 5-2 et le trophée Roca. Les Brésiliens s'envolent directement pour l'Europe où ils passeront par sept pays avant de se diriger vers l’Égypte puis Israël. Pelé ne joue que cinq matchs avec le Brésil, où il bat notamment la France à lui tout seul avec un triplé lors de la victoire brésilienne 3-2 à Colombes.

Comme en 1960, ses coéquipiers de Santos le rejoignent pour de nouveaux matchs d'exhibition en Allemagne, en Espagne et en Italie. Pelé participe en 1964 à la Coupe des Nations, organisée par la CBD pour son cinquantième anniversaire. Pelé marque contre l'Angleterre et le Portugal mais c'est finalement l'Argentine qui s'impose avec trois victoires en trois matchs. Le tournoi se dispute en neuf jours, Pelé participe aux trois matchs et prend le temps entre la défaite contre l'Argentine et la victoire contre le Portugal, de revenir à Santos pour disputer le premier match du championnat Paulista, où Santos s'incline 2-1 malgré un but de Pelé. Le Roi Pelé, bien occupé avec Santos où il dispute régulièrement quatre compétitions par an, porte de nouveau le maillot brésilien en juin 1965. Cette fois-ci, le Brésil reçoit, au Maracanã. La Belgique est humiliée 5-0 avec un triplé de Pelé, qui atteint la barre des 50 buts en 47 matchs avec le Brésil. En comptant seulement les matchs officiels, le chiffre « tombe » à 46 buts en 43 matchs. Toujours au Maracanã, l'Allemagne de l'Ouest s'incline 2-0, Pelé marquant le dernier but, et l'Argentine tient le match nul 0-0. Le Brésil s'envole ensuite pour l'Algérie, où le pays hôte est battu 3-0 avec l'ouverture du score par Pelé. Muet contre le Portugal, Pelé marque de nouveau à Solna, en Suède, où la sélection suédoise est battue 2-1. Les Brésiliens traversent ensuite le rideau de fer, où l'URSS est défaite 3-0 avec deux buts de Pelé. Dix jours plus tard, Pelé est de retour au Brésil, où il inscrit un quintuplé avec son club de Santos. Cet enchaînement de matchs avec Santos ou la sélection nationale aux quatre coins du globe use Pelé, qui se blesse au début de l'année 1966 et ne revient que pour la préparation à la Coupe du monde en Angleterre.

 

Le fiasco du Brésil lors de la Coupe du monde 1966

La préparation pour la Coupe du monde anglaise commence près de trois mois avant le début de la compétition avec un groupe de quarante-sept joueurs. Le Brésil vient de basculer dans une dictature militaire et la junte au pouvoir compte sur la Coupe du monde et la performance des joueurs pour servir d'exemple à la nation. Le grand nombre de joueurs sélectionnés ne permet pas à Vicente Feola, de retour à la tête de la Seleção après le sacre de 1958, de définir une équipe-type. Les changements sont permanents et les joueurs n'apprennent pas à jouer ensemble. Symbole du n'importe quoi brésilien, la sélection de Ditão, de son vrai nom Gilberto Freitas Nascimento. Cette sélection surprend tout le monde, le joueur lui-même y compris, Ditão étant en délicatesse au Flamengo à cette époque. L'explication est simple, la CBD voulait sélectionner Geraldo Freitas Nascimento, défenseur du Corinthians, frère de Ditão et également surnommé Ditão ! Pour éviter d'être dans l'embarras, la CBD préfère ne pas corriger son erreur et aucun des deux Ditão ne sera du voyage en Angleterre. Au cours de la préparation, Pelé dispute dix matchs (huit victoires et deux matchs nuls) et marque onze buts. Le groupe définitif des vingt-deux joueurs n'offre pas plus de stabilité. Vicente Feola sélectionne seulement deux gardiens de but et offre un mélange douteux entre des joueurs qui ne sont plus au niveau mais qui sont présents pour services rendus en 1958 et 1962 et de jeunes joueurs qui manquent d'expérience. Djalma Santos (37 ans à l'époque) n'était plus en forme physiquement selon son propre aveu, tout comme Garrincha, dont le dernier coup d'éclat remonte au championnat Carioca 1962 ou encore Zito (33 ans) et Bellini (36 ans). À l'inverse, Edu, seulement 16 ans, est également convoqué, et sera le seul joueur avec Zito parmi les vingt-deux sélectionnés à ne participer à aucun match de la phase de groupes, Vicente Feola ne parvenant toujours pas à dessiner une équipe-type.

Le Brésil fait illusion lors du premier match, face à la Bulgarie, grâce au talent de ses deux génies. Pelé ouvre le score sur coup franc, un « banana shot » selon la presse anglaise, et Garrincha double la mise, également sur coup franc, permettant la victoire du Brésil 2-0. C'est le dernier match du Brésil où Pelé et Garrincha, les deux monstres sacrés, si différents mais si géniaux, évoluent ensemble. Comme lors du premier match, l'adversaire est le même, la Bulgarie. Comme lors du premier, le Brésil ne perd pas, la Seleção s'était en effet imposé 3-1 en 1958. Et pour cause, Pelé et Garrincha n'ont jamais perdu lorsqu'ils évoluaient ensemble, un fait qu'ils ont ignoré tout au long de leur carrière. En 49 matchs avec Pelé et Garrincha sur le terrain, le Brésil gagne 42 matchs pour 7 matchs nuls. Ce match contre la Bulgarie est le dernier car celui-ci a laissé des traces, en particulier sur les jambes de Pelé, qui a dû subir le traitement de choc des Bulgares, notamment Dimitar Yakimov et Dobromir Zhechev. Les joueurs bulgares n'hésitent pas à tacler Pelé, même par-derrière, dès qu'il a le ballon. Pelé déclare forfait pour le match suivant, contre la Hongrie, finalement perdu 3-1 par le Brésil. Pour le dernier match, où le Brésil doit battre le Portugal par deux buts d'écart pour se qualifier, Garrincha est sur le banc après deux matchs où il a été transparent. Pelé est de retour, bien que toujours diminué. Hélas, les Portugais appliquent la tactique des Bulgares et font rapidement faute sur Pelé. Morais tacle une première fois Pelé au niveau de la cheville, Pelé se relève pour continuer son action, Morais se relève pour faire un nouveau tacle, Pelé ne se relève pas, l'arbitre anglais George McCabe ne siffle rien. Les changements ne sont pas encore autorisés à l'époque et Pelé reste sur le terrain jusqu'à la fin du match, sur une jambe. S'il réussit toutes ses passes de son seul pied valide, le gauche, Pelé n'a plus aucune influence sur le jeu de son équipe, contraint de courir en boitant pour tenter de récupérer un ballon qui vient désespérément mourir derrière la ligne de touche. Les bouchers sont satisfaits comme le confirmera le Bulgare Dobromir Zhechev : « j'ai commencé le boulot et Morais l'a terminé. » Après l'émotion de 1958, la blessure musculaire de 1962, Pelé quitte une nouvelle fois la Coupe du monde en pleurs, et en colère contre la FIFA et les arbitres, incapables de protéger les artistes face aux tacles. Pelé annonce qu'il ne disputera plus jamais la Coupe du monde.

Le retour du Roi

Pelé met plus de deux ans avant de revenir en Seleção où il affronte le Paraguay lors de la Taça Oswaldo Cruz, tournoi amical entre les deux pays. Le Brésil s'impose 4-0, Pelé marque les deux premiers buts, et la Seleção remporte le tournoi malgré la défaite 1-0 au match retour. Après quelques matchs amicaux au Brésil, Pelé participe aux éliminatoires de la Coupe du monde 1970, une première pour la Seleção depuis 1957. L'équipe est très critiquée par la presse depuis la Coupe du monde en Angleterre et le sélectionneur est João Saldanha, ancien journaliste, dont la plume saillante énerve autant qu'elle plaît. Ancien membre du Parti Communiste et opposant au régime militaire, il est nommé par João Havelange, le tout puissant président de la CBD. Le Brésil compte de nombreux joueurs de grande classe, en particulier au poste de meneur de jeu avec Rivelino (Corinthians), Gérson (Botafogo), Tostão (Cruzeiro) et bien sûr Pelé (Santos), sans oublier Jairzinho, l'ailier du Botafogo, qui a également besoin du ballon pour déborder. Pour la presse, il faut faire des choix, il n'y a qu'un seul ballon et tous ne peuvent pas jouer. Même la place de Pelé est discutée au sein de l'équipe nationale. Saldanha fait le pari de faire jouer presque tout le monde, en plaçant Gérson plus bas et Tostão en position de « faux neuf ». Rivelino devient le remplaçant de Gérson. Sur les côtés, Jairzinho, Edu, le partenaire de Pelé à Santos, ou encore Paulo César Lima. La campagne de qualification du Brésil est particulièrement réussie. Placé dans le groupe de la Colombie, du Venezuela et du Paraguay, le Brésil remporte ses six matchs en marquant vingt-trois buts pour seulement deux buts encaissés. Pelé marque six buts, Tostão en ajoute dix. Malgré ses résultats, Saldanha est critiqué par une partie de la presse et rejette les recommandations du président Médici, qui souhaite voir dans l'équipe l'attaquant Dada Maravilha. Saldanha subit également les critiques de Yustrich, l'entraîneur du Flamengo, qui souhaite le poste de sélectionneur. João Saldanha se présente au centre d'entraînement du Flamengo avec un revolver pour s'expliquer avec Yustrich. João Saldanha est finalement démis de ses fonctions, et Zagallo, vainqueur de deux Coupes du monde avec Pelé, est appelé pour le remplacer.

Au Mexique, la Coupe du monde est organisée pour la première fois hors de l'axe Europe – Amérique du Sud et bascule dans l'ère moderne. Les matchs sont retransmis en couleurs, et après le désastre de la précédente Coupe du monde, les joueurs sont davantage protégés avec l'apparition des cartons jaunes et des changements en cours de match. Zagallo reprend les principes de João Saldanha et aligne Rivelino sur le côté gauche à la place d'Edu. Lors du premier match de la Coupe du monde, face à la Tchécoslovaquie, le Brésil domine totalement la partie malgré l'ouverture du score Tchécoslovaque. Rivelino égalise sur un coup franc puissant. Sur une passe de Gerson, Pelé enchaîne contrôle de la poitrine et frappe pour permettre au Brésil de prendre l'avantage. Jairzinho ajoute ensuite deux buts, permettant au Brésil de s'imposer 4-1. L'action la plus marquante de ce match est le lob tenté par Pelé depuis sa moitié de terrain. Il observe la position du gardien Viktor, très avancé, et tente avec une facilité déconcertante un magnifique lob qui échoue de peu à côté du but. Lors du match suivant, entre les deux derniers champions du monde, le Brésil et l'Angleterre, Pelé se distingue une nouvelle fois par une action de génie, sans parvenir à marquer, sauf si l'on en croit sa déclaration après le match : « j'ai marqué un but mais Banks l'a arrêté. » Sur un centre de Jairzinho, Pelé plane pour frapper le ballon de la tête. Une tête puissante qui redescend dans le coin du but de Banks. Les spectateurs se lèvent déjà mais Banks parvient à détourner miraculeusement le ballon en corner. En seconde période, Tostão dribble trois joueurs et s'offre même un petit pont sur la légende Bobby Moore avant de centrer pour Pelé. Le Roi réussit son contrôle et décale Jairzinho, qui frappe en force pour marquer le seul but du match. Le Brésil vient d'assurer sa qualification pour les quarts de finale.

Avant le match, je me disais qu'il était en chair et en os comme moi. J'ai ensuite compris que je m'étais trompé.

Le Brésil confirme lors du troisième match de poules en battant la Roumanie 3-2. Pelé, qui subit une nouvelle fois le marquage strict de ses adversaires, ouvre le score sur un coup franc puissant. Il marque une nouvelle fois après une aile de pigeon de Tostão. Le Brésil avance en quart de finale, face au Pérou, entraîné par la légende Didi, ancien coéquipier de Pelé et double vainqueur de la Coupe du monde. Pelé donne une première alerte dès la 5e minute en trouvant le poteau. Le trio magique du Brésil, Pelé, Rivelino et Tostão se met rapidement en marche. Le Pérou propose une belle opposition, mais ce Brésil est trop fort, beaucoup trop fort. Deux buts et une passe décisive pour Tostão, un but et deux passes pour Rivelino, une passe pour Pelé, qui touche également deux fois le poteau. Le Brésil s'impose 4-2 et file en demi-finale pour retrouver un vieil ennemi, l'Uruguay. Vingt ans après le Maracanazo, les Brésiliens ont enfin l'occasion de se venger. Mais cette coupe du monde est aussi celle du business. Pelé demande à l'arbitre de retarder le coup d'envoi pour faire ses lacets. Ses nouvelles chaussures, avec le signe Puma bien visible, sont exposées aux yeux du monde entier. L'Uruguay démarre mieux le match et ouvre le score grâce à Cubilla. Malgré l'historique, le Brésil ne panique pas et impose son jeu de passes courtes et rapides alors que les Uruguayens durcissent le jeu. Pelé répond aux provocations en envoyant un coup de coude violent au visage de Dagoberto Fontes et obtient même la faute. Clodoaldo égalise juste avant la mi-temps sur une passe lumineuse de Tostão. Le Brésil respire et prend ensuite l'avantage avec une action de Pelé et Tostão, conclue par Jairzinho. À la 90e minute, Pelé décale Rivelino qui marque du gauche. 3-1. Rideau. Pas tout à fait, car Pelé a encore un tour dans son sac. Sur une passe en profondeur de Tostão, Pelé se présente face au gardien Mazurkiewicz et fait semblant de partir à gauche. Il ne touche pas le ballon, qui file à droite, laissant Mazurkiewicz désarticulé. Pelé récupère le ballon de l'autre côté mais croise trop sa frappe qui passe d'un rien à côté du cadre. Une nouvelle fois dans cette Coupe du monde mexicaine, Pelé réalise une action d'éclat, sans parvenir à marquer. Suffisant toutefois pour s'attirer les louanges et l'émerveillement du franco-brésilien Michel Laurence, qui commente le match à la télévision brésilienne et qui voit « un geste merveilleux, génial, incroyable. Il a attiré le gardien d'un côté et est passé de l'autre côté. C'est incroyable, vraiment incroyable, l'une des plus belles actions du football mondial. »

Le Brésil s'offre une nouvelle finale, face à l'Italie, qui a remporté en prolongation le « match du siècle » contre l'Allemagne dans l'autre demi-finale, match aussi beau qu'éprouvant. Enjeu supplémentaire de cette finale, l'attribution définitive du trophée Jules Rimet, offert à l'équipe qui remportera trois fois la Coupe du monde. À la 18e minute, Rivelino envoie un ballon aérien dans la surface, à destination de Pelé. La suite est racontée par son adversaire, la légende Giacinto Facchetti : « on a sauté en même temps, j'étais plus haut et j'avais plus d'impulsion. Quand je suis retombé au sol, j'ai regardé en l'air, incrédule. Pelé était encore là, tout en haut, en train de faire une tête. On aurait dit qu'il pouvait rester en l'air le temps qu'il voulait. » Pelé retombe au sol en même temps qu'il fait trembler les filets italiens. Il vient de marquer le 100e but du Brésil en Coupe du monde. De la tête, les yeux bien ouverts comme son père lui a appris, à une altitude que seul un don de Dieu peut autoriser. Le travail et le talent. Pelé. L'Italie égalise avant la mi-temps avant de subir une avalanche d'occasions en deuxième période. Gérson marque le but du 2-1 et Jairzinho marque un nouveau but, son septième en six matchs, sur une remise de la tête de Pelé. Tarcisio Burgnich, le défenseur chargé de marquer Pelé, est impuissant : « avant le match, je me disais qu'il était en chair et en os comme moi. J'ai ensuite compris que je m'étais trompé. » Le Brésil va remporter la Coupe du monde mais veut offrir au monde entier un dernier bijou collectif. Pelé pour Gérson pour Clodoaldo. Une série de crochets pour éliminer quatre joueurs dans son camp. Rivelino pour Jairzinho, côté gauche. Le ballon revient vers Pelé, au centre, qui sent venir dans son dos le capitaine Carlos Alberto. Parfaitement décalé côté droit, Carlos Alberto frappe en force et transperce les filets italiens. Le Brésil est sur le toit du monde et se place dans le débat de la meilleure équipe de tous les temps. Pelé a réussi son pari et signe le plus beau des retours, quatre ans après la déception en Angleterre. Quatre buts, cinq passes décisives et des actions de légende passées à la postérité. Pelé devient le premier et seul joueur à remporter trois fois la Coupe du monde.

Une retraite bien méritée

Fatigué par les nombreux matchs, Pelé décide de prendre sa retraite internationale après avoir réussi son plus beau défi, revenir et remporter une nouvelle fois la Coupe du monde. Il dispute son jubilé contre la Yougoslavie. Au Maracanã évidemment. Plus de 140 000 personnes viennent voir jouer une dernière fois le Roi Pelé sous le maillot de la Seleção. Les deux équipes se quittent sur un match nul 2-2, Pelé ne marque pas, laissant ses statistiques à 77 buts en 92 matchs pour le Brésil et 95 buts en 112 matchs en comptant les matchs non-officiels. C'est un record brésilien évidemment et Pelé est même proche du record mondial, appartenant à Ferenc Puskás et ses 84 buts. Pelé est le deuxième joueur à marquer lors de quatre éditions de la Coupe du monde (seulement cinq minutes après Uwe Seeler, le 3 juin 1970). Avec douze buts en Coupe du monde, il est alors le deuxième meilleur buteur de l'histoire de la Coupe du monde, derrière Just Fontaine, avant d'être battu par Gerd Müller, en 1974. Une Coupe du monde à laquelle aurait pu participer Pelé. Déjà privée de Carlos Alberto, Gérson et Tostão, la CBD rêve d'emmener Pelé en Allemagne pour disputer une cinquième Coupe du monde. Pelé fait face à l'insistance du président de la CBD et élu président de la FIFA cette même année, João Havelange, ainsi que du président de la République du Brésil, Ernesto Geisel. Mais Pelé a déjà réussi son retour en 1970, il veut profiter de sa famille et refuse l'appel du général Geisel, protestation discrète au régime militaire brésilien et ses excès. Pelé dispute pourtant un dernier match avec la Seleção et s'offre une dernière photo mythique sous le maillot de la Seleção. Nous sommes en 1976, Flamengo affronte le Brésil au Maracanã en hommage à Geraldo, espoir du Flamengo et mort à 22 ans sur la table d'opération. Le Flamengo de Zico s'impose 2-0 et Pelé apparaît sur un cliché, le buste droit, la main tendue, la transpiration formant un cœur sur sa poitrine. La photo de Pelé, qui a souvent répété qu'il avait trois cœurs pour être originaire de Três Corações, dans le Minas Gerais, symbolise son amour pour le football, depuis son équipe du 7 de setembro à Bauru au Cosmos de New York, en passant bien sûr par Santos et la Seleção. Ses tournées à travers le monde, en particulier en Afrique, et ses performances en Coupe du monde, permettent à Pelé de devenir l'une des premières icônes planétaires du sport, et au football de devenir le sport le plus populaire du monde.

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.