24 juin 1978, alors que l'Argentine se prépare à vivre son premier sacre mondial, la famille Riquelme accueille son premier garçon. Quelques années plus tard, passé des potreros à Argentinos Juniors puis à la Primera de Boca Juniors, Juan Román Riquelme devenait el Ultimo Diez. Voici son histoire.

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Buenos Aires, 25 juin 1978. Alors que le cri du Monumental vient noyer les hurlements des rues victimes d’une dictature aussi féroce dans l’ombre que souriante face caméra, dans les faubourgs de Buenos Aires, la famille Riquelme est tout à la joie de la naissance de son premier garçon, dont les premiers cris ont été poussés la veille. Loin du tumulte, le petit Juan Román vient ainsi de voir le jour.

Le petit génie des potreros

Très vite, le football entre dans sa vie. Dès le plus jeune âge, il court derrière ces ballons de fortune sur les différents potreros de San Fernando, terrains de terre sur lesquels les gosses jouent des matchs où l’enjeu est de rafler la mise afin de s’acheter à boire. Nous sommes en 1985, Riquelme a sept ans quand sa vie commence à changer. Le récit est rapporté dans la revue Don Julio.

« - C’est ici qu’il y a un petit qui joue très bien ? Son père s’occupe d’une équipe de foot me semble-t-il ?

- Ça doit être le fils de Cacho. C’est par ici. 

- C’est un petit c’est ça ?

- Oui, oui.

- Comment s’appelle-t-il ?

- Román »

Jorge Rodríguez, vingt-cinq ans, parcourt les potreros du coin après qu’un ami lui a conseillé de se rendre du côté de San José. Ce lundi soir, le soleil couchant, il retrouve le petit Román qu’il a brièvement aperçu la veille. « Ils étaient trois. La façon dont il se déplaçait, sa finesse. Mon Dieu ». Jorge Rodríguez est un découvreur de talents. Il cherche alors le père, le fameux Cacho. Un homme de vingt-sept/vingt-huit ans se tient assis au bord du terrain.

« Je cherche la maison de ce petit.

- Et pourquoi donc ?

- Je voudrais parler à son père. Je suis ici pour le Ferro. Je cherche des enfants pour les emmener jouer au baby fútbol. Tu es Román ?

- Oui.

- Et le père ?

- Quoi ?

- Cacho à ce qu’on m’a dit.

- Ernesto.

- Ernesto… vous pouvez m’indiquer sa maison ou lui dire que je veux lui parler ?

- C’est ce que vous êtes en train de faire ».

Jorge revient rendre visite à la maison des Riquelme, tâchant de gagner la confiance d’Ernesto, de l’aider à convaincre Román d’accepter de le suivre. Lorsqu’il arrive à Bella Vista, Juan Román reste collé à son père, entre timidement dans le vestiaire et ne parle à personne. Jorge se montre alors patient, apprivoise l’enfant. Il finit par l’emmener à La Carpita alors qu’il a dix ans, toujours accompagné de son entraîneur de père, le plus dur qu’il a connu : « Mon père était très dur avec moi. Toujours à me donner des ordres, me corriger, pointer mes défauts et me disant rarement que j’avais fait un grand match. Je me souviens avoir pleuré en plein match à cause de ses cris. Mais il le faisait pour que je reste dans le match, que je reste attentif, concentré. Il dira plus tard que s’il m’avait dressé des louanges comme tout le monde, j’aurais fini par y croire, ce qui est fatal pour un footballeur ».

Après un essai non concluant à Platense, qui le juge trop frêle, Juan Román débarque à Argentinos. Persuadé du talent du pibe, le Bicho n’hésite pas. Juan Román a douze ans, il intègre les inferiores du club et poursuit sa formation aux côtés des Lobo Ledesma et autres Nicolás Cambiasso. Lorsqu’il joue, Riquelme goûte à tous les postes, son talent compense alors ses lacunes physiques. Mais il joue peu. Maddoni, entraîneur de la Prenovena, et José Morales avec la Novena (U14) l’année suivante ne peuvant se résoudre à donner les clés du camion à un gamin si fragile. Lorsque Riquelme décroche son premier titre, celui de la Prenovena face à River, les festivités sont emplies de doutes. Début 93, alors en Octava (U15), les doutes ne sont pas encore levés. A-t-il fait le bon choix ? Faut-il rester à Argentinos ? Voyant son fils ne jouer que des bouts de matchs, Cacho va voir l’entraîneur de la catégorie, Carlos Balcaza, lui demandant de le libérer pour qu’il aille s’exprimer dans un autre club. Mais Balcaza refuse, il a une idée : faire reculer Riquelme. C’est donc en cinco que Juan Román gagne du temps de jeu, s’affirme, gagne son style en même temps qu'il prend du physique. À chaque match, Román devient de plus en plus Riquelme, à chaque partie, son leadership s’affirme, s’affine. En 1995, son Argentinos débarque en Italie pour y disputer le Tournoi International de la ville de Gradisca. L’année précédente, Riquelme et sa bande avaient été battus en finale pour la troisième place par le FC Barcelone de Carles Puyol. Mais cette année-là, le Bicho se hisse en finale, il affronte la Roma. Balcaza, l’homme qui a formé Borghi, Redondo et Cambiasso, fait de Román son joueur clé. El Lobo Ledesma à droite, et Sebastián Arbo doivent compenser en phase défensive, les clés sont données au frêle Riquelme et sa vision hors du commun. Le trio des 78 est au cœur de cet Argentinos catégorie 79. Alors que ses coéquipiers sont impressionnés par le professionnalisme affiché par les jeunes Loups romains, Riquelme leur dit « soyez tranquilles, nous allons les battre ». Et Argentinos s’impose. Et Román d’éclabousser par son talent et son sens du football. Après dix minutes de jeu, il demande à son coach s’il peut reprendre sa place de cinco (il avait été placé en pur enganche (meneur de jeu) au coup d’envoi). Balcaza le laisse faire. Román marche sur les quatre-vingts minutes restantes, rentre en Argentine avec le tournoi et un titre de meilleur joueur en poche (titre qu’il conserve l’année suivante en battant le Borussia Dortmund en finale). En peu de temps, Riquelme est devenu l’un des cadres de l’Octava (U15), de la Septima (U16), de la Sexta (U17) puis de la Quinta (U18). En 1995, au lendemain de ses dix-sept ans, il débute avec la réserve du Bicho. Il effectue neuf apparitions. Pas une de plus. Jamais il ne jouera avec la Primera. Car 1996, année de la Quinta, est sa dernière année à La Paternal.

Bilardo, Pekerman, Bianchi

Il fallait un homme d’exception pour permettre son envol définitif. Dix ans après avoir bâtie une Argentine au sein de laquelle le génie de Diego pouvait s’exprimer, Carlos Bilardo prépare l’Apertura 96 d’un Boca alors en crise avec une volonté claire : aller chercher les pibes qu’il voit évoluer à La Paternal, où il réside. C’est ainsi qu’il parvient à attirer l’hincha Riquelme. « Quand je suis arrivé à Boca, je pensais jouer avec la réserve. Mais j’ai vu Pumpido venir à moi pour me dire que Carlos Bilardo voulait me parler. Il m’a dit "tu joues avec nous". Carlos m’a sauvé la vie. Il m’a demandé à quel poste je voulais jouer, je lui ai répondu que mise à part gardien ou défenseur, je pouvais jouer n’importe où ». Il faut dire qu’à cette époque, le petit Riquelme n’a pas encore l’ambition de se lancer dans le grand bain. Appelé en sélection de jeunes par José Pekerman, qui construit patiemment un groupe en vue du Sudamericano de 1997 depuis les U18 avec qui il avait remporté la Copa Punta del Este en 1995, ses préoccupations sont ailleurs. Mais en ce mois de novembre 1996, le temps s’accélère. Le 10 novembre, pour la douzième journée de l’Apertura, Boca est en pleine débâcle avec ses quatre petites victoires. C’est le moment choisi par Bilardo pour lancer le pibe d’Argentinos. Pour la réception d’Unión, Boca joue avec deux dix, Riquelme s’installant aux côtés de Diego Latorre. Et face à Unión, le pibe de dix-huit ans reste fidèle à lui-même. Le buste droit, il enchaîne les dribbles, les décalages, les transversales, comme sur les potreros, comme lors de son enfance rouge bicho. Dans ses pas, Boca s’impose, Riquelme délivre sa première passe décisive à Cáceres. Déjà la Bombonera n’a d’yeux que pour lui, l’ovationne, scande son nom. Boca attendait son D10S, il se trouve un Diez.

Malheureusement, le Boca de Bilardo ne fonctionne pas. L’entraîneur champion du monde quitte le club en 97, remplacé par Héctor Veira forcé de composé avec un duo Maradona – Riquelme et trois offensifs, Guillermo Barros Schelotto, Martín Palermo et Diego Latorre qu’il ne veut pas sortir. Repoussé côté gauche, Román déprime quelque peu, peine à s’épanouir. Mais son heure arrive bientôt. Entre temps, après avoir remporté un Sudamericano U20 avec l’Argentine, une première depuis trente ans, Sudamericano au cours duquel il fait partie de l’équipe type, Riquelme s’envole pour la Malaisie pour y disputer la Coupe du Monde de la catégorie. Le 3-5-2 sauce Pekerman et son incroyable milieu Cambiasso, Markic, Riquelme, Aimar, marche sur l’épreuve, tout juste perturbé par la défaite surprise lors de la dernière journée du groupes face à l’Australie, sortant notamment le grand rival brésilien et son attaque de feu qui venait d’en passer dix à la Belgique et à la Corée du Sud et s’imposant face au voisin uruguayen.

Là encore, le temps s’accélère. Joueur clé des U20, Riquelme tape dans l’œil de Passarella qui l’appelle en A fin 1997 lors de l’ultime journée de la phase de qualification pour la Coupe du Monde française. Comme un symbole, ce match face à la Colombie se dispute chez lui, dans sa Bombonera. Román joue dix minutes, entre en jeu à la place de Marcelo Gallardo. L’heure des succès avec Boca ne se fait pas attendre bien longtemps. Elle n’a besoin que d’un homme : Carlos Bianchi. Idole de Vélez qu’il a ensuite emmené sur le toit du monde au milieu des années quatre-vingt-dix (lire Décembre 1994 : Vélez devient un géant), Carlos Bianchi débarque à Boca en 1998 et transforme l’équipe en machine à gagner. Désireux de rénover les structures du club, Bianchi donne les clés à Riquelme, devenu enganche dans un redoutable trident que Guillermo Barros Schelotto et Martín Palermo complètent. La mayonnaise prend immédiatement, Boca met fin à six années de disette en remportant l’Apertura 98, premier titre en jaune et bleu pour Román, puis en décrochant le Clausura 99. Ne reste alors plus qu’à régner sur le continent puis le monde. Première étape, la Libertadores 2000. Battu en ouverture du groupe 2 à Santa Cruz, Boca accélère alors le rythme et écarte tour à tour Peñarol, l’Universidad Católica puis Blooming à la Bombonera. Premiers de leur groupe, les Xeneizes écartent El Nacional en huitièmes avant de croiser leur ennemi de toujours, River Plate. Battu au Monumental, Riquelme ayant sauvé l’honneur sur coup franc, Boca retourne le match au retour dans sa Bombonera. River verrouille le premier acte, espère piéger Boca en contre, emmené par le trio Aimar – Saviola – Ángel. L’affaire tient une heure, jusqu’à une inspiration de Riquelme. Román déboule côté gauche et décroche une merveille de caviar pour Delgado. Boca a pris les commandes de ce quart, il ne les lâche plus. Riquelme plie l’affaire sur penalty, humilie Yepes d’un caño devenu légende. Boca file en demies, sort de justesse du piège América et croise le Palmeiras de Scolari. Accroché chez lui, Boca s’en va chercher un titre au Morumbi au terme d’une séance de tirs au but et retrouve un lustre continental perdu depuis vingt-deux  ans.

Six mois plus tard, Boca est au Japon pour y défier un autre géant, le Real Madrid de Vicente del Bosque et son formidable armada offensive composée de Figo, Guti et autre Raúl. Libéré par un doublé de Palermo, Boca fait la course en tête. Román danse, régale, distille. Menace constante, il permet à son Boca de se hisser sur le toit du monde. Là encore, vingt-deux années de disette sont lavées. L’année suivante est celle de la confirmation continentale. Boca survole son groupe, laissant filer le dernier match à Cali, écarte Junior puis Vasco avant de retrouver Palmeiras en demi-finale. Accroché à la Bombonera, Boca s’en remet à Riquelme pour passer, avant d’aller chercher la victoire finale, une fois encore après une intense séance de tirs au but, quelques semaines plus tard face à Cruz Azul. Une fois encore, Riquelme est nommé joueur de l’épreuve. Comme vingt-deux ans plus tôt, Boca conserve son titre, mais ne parvient pas à conserver son Intercontinentale, battu en finale par le Bayern. Cette défaite marque la fin d’un cycle, celui de Carlos Bianchi à la tête du club. Entre temps, le jour de l’anniversaire de ses débuts professionnels, Román est adoubé à la Bombonera par D10S en personne qui dispute son jubilé avec un maillot Boca floqué Riquelme. Son premier cycle arrive à son terme. À l’été 2002, le FC Barcelone, qui l’avait déjà observé quand il n’était qu’un enfant, décide de recruter la nouvelle star argentine. Après six titres décrochés en sept ans, Román débarque en Europe.

Le jaune lui va si bien

Malheureusement pour lui, Riquelme ne sait pas encore qu’il va devoir affronter un mur d’incompréhension. Alors que Rivaldo vient de quitter le club, refusant de jouer sur le côté gauche comme lui imposait Van Gaal, Riquelme doit affronter le même souci. Car le coach néerlandais ne sait pas gérer les artistes. Son football n’est pas un football destiné aux poètes, il est contraint par la discipline, lui seul étant décideur. Mais on ne contraint pas un poète. Surtout quand, comme le raconte Román plus tard, on lui indique dès le départ qu’on ne voulait pas de lui. Alors Riquelme profite du peu de temps qui lui est donné. S’offre quelques bouffées d’oxygène, comme face à Bruges en Champions League ou encore un récital face au Real dans un Clásico au cours duquel son remplacement par Saviola provoque l’ire du peuple blaugrana. Le divorce est consommé entre le club et Van Gaal, l’histoire du néerlandais au Barça touche à son terme. Le 28 janvier, Radomir Antić vient pour remettre la maison catalane dans le bon sens. Riquelme retrouve l’axe, brille lors de la fin de saison mais ne reste pas. Car l’été suivant est celui de la révolution au club. Rijkaard pose ses valises, Ronaldinho suit ses pas, devant libérer une place d’extracommunautaire, le Barça envoie Román à Villarreal. Sans le savoir, le club catalan vient de relancer l’astre argentin.

Car du côté du sous-marin jaune, le président Fernando Roig sait à quel point Riquelme n’est pas qu’un simple joueur de foot. Il veut lui offrir une équipe rien qu’à lui. La première saison, alors que le club avait terminé la précédente à la quinzième place, modeste anonyme de la Liga espagnole, les treize buts et quinze passes décisives de Riquelme l’emmène à la huitième place et mieux, font de Villarreal un demi-finaliste de la Coupe de l’UEFA, sorti d’un tout petit but par le futur vainqueur et champion d’Espagne, le Valencia de Rafa Benitez. Mais 2003/04 n’est qu’une ébauche, une esquisse d’un futur tableau de maître. L’année suivante, Manuel Pellegrini s'installe sur le banc, Diego Forlán arrive au club, le duo létal se met en place, il va tout renverser. Il y a ses dix-sept buts et vingt-deux passes décisives, ce trophée de meilleur joueur d’une saison que Villarreal termine à la troisième place, Forlán meilleur buteur. Il y a surtout ces moments de pure grâce, où son talent explose, danse, s’amuse d’adversaires devenus spectateurs ébahis comme soufflés par la beauté de la toile d’un grand maître. Le plus beau ? Une revanche éclatante face au Barça. Riquelme n’est plus Riquelme, il est le Román des potreros, le Román de Boca, celui qui force ses adversaires à se coucher. Deux passes décisives, des régalades techniques, il est l’homme du match d’une leçon de foot donnée par son sous-marin à son ancien club, devant les yeux médusés d’un Rijkaard qui n’aura jamais pu l’utiliser. La troisième saison est la plus folle. Si Villarreal ne parvient pas à reproduire la même saison en Liga, c’est parce que la bande à Pellegrini est engagée dans un projet encore plus fou, marcher sur le continent. Après avoir sorti Everton en barrages, Villarreal remporte son groupe, sortant au passage Manchester United qui tente quelques mois plus tard de l’attirer, et, emmené par un énorme Riquelme, sort les Rangers en huitièmes avant de s’offrir le scalp de l’Inter sur un amour de coup franc de Román déposé sur la tête d’el Vasco Arruabarrena, comme au temps de la Libertadores avec Boca. Mais il était dit que les belles histoires doivent se terminer par de grandes blessures : ce penalty sorti par Lehmann en demi-finale face à un Arsenal qui ne prenait plus de buts depuis neuf matchs, laisse Román figé à onze mètres, paralysé par l’échec le plus retentissant de sa carrière et l’espoir fou d’une finale de Champions League envolée. Il y a ensuite le drame de la sélection. 2006 devait être l’apogée de la carrière de Riquelme, elle sera l’année la plus douloureuse.

Boca pour panser les blessures

Car l’histoire de Román en sélection semblait écrite d’avance avec José Pekerman comme principal architecte. L’homme qui l’avait appelé en Juveniles dès 1996, l’homme qui en avait fait son enganche en 1997 lors des deux titres U20, en 1998 lors de la victoire dans un tournoi de Toulon que Román avait décroché en même temps que le prix de meilleur joueur de la compétition, l’homme qui enfin l’avait appelé en U23 pour tenter le pari olympique de Sydney, pari perdu dès les qualifications sud-américaines. José Pekerman prend les rênes de la sélection majeure en 2004, il offre alors le numéro 10 à son Riquelme, lui qui évoluait alors jusqu’ici avec le 8. Cette Argentine est une machine de guerre dirigée par des artistes. Deuxième de sa phase de qualification, perdant la tête lors de l’ultime journée à Montevideo, elle déroule un football collectif rarement vu jusqu’ici lors de la phase de groupes de la phase finale, la démonstration face à la Serbie-et-Monténégro et le but aux vingt-cinq passes venant l’illustrer à la perfection. En Allemagne, l’Albiceleste conjugue talent et poésie, football et art et parvient à se sortir des situations les plus délicates sur des coups de génies, comme celui de Maxi Rodríguez face au Mexique en huitièmes. Face au pays hôte en quarts, Riquelme a glissé une lettre d’amour pour Roberto Ayala en début de seconde période, l’Argentine gère son match, les demies s’offrent à elle en même temps que les rêves de titre, un retour dans l’histoire après vingt ans d’absence. Puis tout bascule. Pato Abbondanzieri sort blessé, Riquelme à son tour pour verrouiller l’entrejeu. Erreur éternelle de Pekerman. Sans son guide, l’Argentine se replie, subit. Klose ramène l’Allemagne, l’histoire se joue lors d’une séance de tirs au but de laquelle un certain Jens Lehmann sort héros. La cicatrice ne se refermera pas. Profondément marqué, Román n’est plus le même, quelques semaines plus tard, une correction reçue face au Brésil avec Riquelme capitaine du nouveau sélectionneur Alfio Basile font s’abattre une pluie de critiques. Román décide alors de renoncer à la sélection.

L’histoire avec Villarreal touche aussi à son terme. Quelques mois plus tard, Mauricio Macri réussit le tour de force de rappeler sa légende au club. Román rentre chez lui, à Boca. Il y retrouve le sourire. Riquelme retrouve petit à petit ses marques, il redevient Román en Libertadores. Qualifié sur le fil pour les huitièmes de finale, le Boca de Miguel Ángel Russo retourne les situations tour après tour, avec Riquelme dans le rôle principal. Il y a ces deux buts inscrits face à Vélez en huitièmes dont ce corner direct au retour, il y a ce slalom imparable face à Libertad en quarts, ce coup franc qui nettoie la lucarne face à Cúcuta Deportivo, but qu’il juge comme étant le plus beau de sa carrière, il y a enfin le double chef d’œuvre de la finale face à Grêmio, un coup franc à l’aller, un doublé au retour, pour aller chercher la septième couronne de Boca, la dernière à ce jour. Élu meilleur joueur de la finale, Riquelme redevenu Román et ses huit buts en onze matchs décroche sa troisième Libertadores, entre définitivement dans l’histoire du club. Il revient alors en sélection.

Étincelant lors de la Copa América, il se heurte encore au Brésil en finale ne parvenant à décrocher un titre majeur en sélection, seul manque à son palmarès. Riquelme rentre un temps à Villarreal mais n’y joue plus. Après plusieurs mois de négociations, il parvient à faire son grand retour à Boca lors du Clausura, son premier match face à Central voyant un Riquelme redevenu presque le cinco des juveniles, moins rapide mais plus créateur de jeu. Malgré la déception d’une demi-finale de Libertadores perdue face à Fluminense, malgré un doublé inscrit à l’aller, Román décroche un titre majeur en sélection, les Jeux Olympiques de Pékin puis un nouveau titre continental, la Recopa Sudamericana face à Arsenal quatre jours plus tard. Quatre mois plus tard, Boca est de nouveau champion d’Argentine au terme d’une triangulaire de folie pure. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est que ce titre est l’un des derniers. En 2009, fâché avec D10S, el Diez renonce définitivement à la sélection. L’année suivante, il prolonge, non sans difficultés, avec Boca pour quatre années de plus, annonçant qu’il terminera sa carrière au club. Après une période sans résultats, Boca retrouve un dernier éclat avec un Román revenu au niveau, décroche l’Apertura 2011 et la Copa Argentina 2012, année de la dernière blessure en bleu et jaune, la finale de la Libertadores perdue face au Corinthians, laissant Riquelme en larmes annonçant qu’il renonce, qu’il quitte Boca. Il revient faire une pige en 2013/14 avant de mettre fin à son histoire d’amour avec son club de toujours.

L’héritage

Mais l’histoire de Riquelme avec le football n’est pas encore terminée. Alors que l’on pense ne plus jamais revoir la moindre déclaration d’amour au football, Riquelme n’oublie pas qu’il est Román, l’enfant des potreros sorti baby fútbol par Argentinos. Alors que le club vient de glisser dans l’enfer de la Primera B, il fait alors appel à ses anciens comme el Lobo Ledesma. La génération 78 est de retour au club pour un dernier tour de piste et surtout pour ramener le Bicho à sa place dans l’élite. Alors Riquelme revient, décide de porter un maillot qu’il n’a jamais défendu avec l’équipe première, décide d’aller se frotter à l’intraitable antichambre du football argentin, la redoutable Primera B et ses guet-apens hebdomadaires. La mission est simple sur le papier, d’une incroyable difficulté sur le terrain. Mais Riquelme reste Román, qu’importe les lieux, qu’importe les terrains, qu’importe l’âge. Il continue de distiller sa magie, de déployer son aura. Il lance la saison d’une mine de l’entrée de la surface face à Boca Unidos, au bout d’un terrible marathon, Argentinos retrouve l’élite. Riquelme peut alors définitivement se retirer du football, laissant un vide immense.

Car l’histoire de Juan Román Riquelme ne peut se résumer en ligne d’un palmarès parmi les plus importants au monde, ne peut se décrire par des statistiques individuelles des plus impressionnantes. Évoquer Juan Román Riquelme c’est évoquer un football qui se veut non pas un jeu mais un art. Riquelme était un enganche comme il n’en existe plus, comme seule l’Argentine était capable d’en créer. Inclassable, unique. Riquelme n’était pas le joueur le plus rapide ni le plus puissant. Mais Riquelme voyait et offrait du beau. Lorsque Zinédine Zidane met fin à sa carrière, il attend Riquelme pour échanger son maillot avec lui. Riquelme est le dernier représentant d’un football qui ne s’explique pas, d’un football où la data n’a pas lieu d’être. Il est l’ultime représentant d’un football qui émeut, qui n’accepte que le beau, il est le dernier grand meneur argentin, el ultimo diez. La plus belle définition de ce qu’est Riquelme est donnée par Jorge Valdano. « Si vous devez aller d’un point A à un point B, vous prendrez toujours l’autoroute pour arriver le plus rapidement possible. Pas Riquelme. Il choisira la route sinueuse de montagne qui prend 6 heures, mais qui remplit vos yeux d’images de merveilleux paysages. » Ainsi était el Último Diez. Celui qui sera célébré ce dimanche soir, au lendemain de son quarante-cinquième anniversaire.

 

Article initialement publié le 24 juin 2018, dernière mise à jour le 25 juin 2023

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.