Retour de notre série « L’histoire d’un nom » avec aujourd’hui un voyage au Pérou, sur les traces d’un club qui vient de fêter ses 115 ans ce 15 février : Alianza Lima. Retour sur plus d’un centenaire d’histoires de légendes et de tragédies.
Le club du peuple
Dans Clubes y barras en Perú: Alianza Lima y Universitario de Deportes, Aldo Panfichi, Jorge Thieroldt résume la naissance de l’Alianza Lima : « Il y a trois facteurs sociaux et culturels qui vont concourir à le socle de l’identité de l’Alianza Lima : le sentiment communautaire du barrio, la culture urbaine de la population noire et métisse, l’appartenance à la classe ouvrière. »
Comme dans bien des pays du continent, le football arrive au Pérou apporté par les migrants britanniques à la fin du XIXème siècle (lire Des élites aux masses : les premiers pas du football au Pérou). D’abord propriété exclusive des élites péruviennes, le football se diffuse peu à peu et envahit les classes populaires, s’insinue au cœur des barrios des différentes villes du pays. Afin de pouvoir participer à ces affrontements entre quartiers, la 15 février 1901, un groupe de jeunes du calle Cotabambas en pleinbarrio de Chacaritas, soit à quelques encablures de Santa Sofia, le camp du Lima Cricket, l’un des premiers clubs du pays, propriété de la classe aristocratique de la ville, décident de fonder leur club, le Sport Alianza, du nom d’un cheval appartenant au Président de la République du Pérou, Augusto B. Leguía. Les membres fondateurs, pour la plupart fils d’immigrés italiens et chinois, tous âgés de 7 à 18 ans. Pendant ses premières années, le club se cherche des adversaires dans les différents quartiers de la ville et participe à la création de la Liga Peruana de Fútbol, première association de club au Pérou qui voit le jour début 1912 et dont il remportera deux titres à la fin de la décennie.
L’identité aliancista
Il faut attendre les deux décennies suivantes pour que le club trouve sa réelle identité. Devenu Alianza Lima dès 1920, le club blanquiazul va alors devenir le club de la population afro-péruvienne grâce aux ouvriers et au quartier populaire de La Victoria. Suite aux transformations industrielles qui touchent Lima, de nouveaux districts populaires voient le jour comme celui de La Victoria, mais aussi ceux des classes moyennes et aidées de San Isidro, Miraflores, Magdalena et Barranco. Dans ce contexte, le club n’est plus uniquement celui du barrio de Cotabambas mais s’étend jusqu’à être celui de La Victoria. Il devient alors le symbole des afro-péruviens, un lieu de construction et de prestige personnel et collectif pour une population noire jusqu’alors discriminée socialement grâce notamment à un homme qui change le club à tout jamais, Alejandro Villanueva.
Né en 1908 à Rimac, Alejandro Manguera Villanueva fait ses débuts avec les Blanquiazules en 1927 et s’impose immédiatement par son aisance technique. Le géant noir (près de 2 mètres) de l’Alianza Lima devient une icône pour toute une population jusqu’ici rejetée. Au sein d’une Alianza Lima dans laquelle d’autres afro-péruviens évoluent (José María Lavalle, les frères Rostaing, Alberto Montellanos, les frères García), son génie fait converger les foules, symbolise l’appropriation du football si anglais par les criollos. Villanueva popularise les petits ponts (huacha), les retournés acrobatiques (« chalaca » au Pérou), les passes aveugles. Il écrit alors ce qui sera l’ADN du club, la volonté de proposer un jeu basé sur virtuosité et technique hors du commun. Avec lui, le club écrase les championnats de l’époque. Champion en 1927, 1928, 1931, 1932, 1933, l’Alianza Lima est majoritaire dans l’équipe péruvienne qui va défendre ses chances aux Jeux Olympiques de Berlin où les péruviens se feront voler une place en demi-finale après avoir pourtant vaincu l’Autriche notamment grâce à l’association de Villanueva et de l’idole d’Universitario (et grand ami de Manguera), Lolo Fernández.
El Tándem de Oro et la Tragedia de Ventanilla
Le club va ensuite alterner le bon et le moins bon. D’une descente en 1938 aux titres des années 40 et aux premiers succès après l’arrivée du professionnalisme, l’Alianza Lima attend les années 70 pour retrouver son lustre de l’époque de Villanueva grâce à un nouveau gamin, future idole nationale, un certain Teófilo Cubillas. El Nene débute avec l’Alianza Lima alors qu’il n’a que 17 ans, empile les buts et lors de son retour d’Europe en 1977, associé à Hugo Cholo Sottil, fait de l’Alianza Lima un des meilleurs clubs du continent, renoue avec sa longue tradition de beau jeu. Les Blanquiazules sortent des années 70 sur trois titres nationaux (1975, 1977, 1978) et deux demi-finales de Libertadores. L’avenir semble joyeux, dans les pas d’el Nene, une nouvelle génération s’annonce encore plus forte Los Postrillos et leur nouveau symbole noir, Luís Antonio Escobar.
7 décembre 1987, un but signé Pacho Bustamante permet aux Aliancistas de prendre les commandes du Campeonato Nacional. De ce succès ne reste qu’une image floue, la dernière avant l’obscurité éternelle.
Le lendemain, l’équipe est à bord du Fokker F27-400M, un vol charter qui doit les ramener à Lima. A 19h56, Edilberto Villar, pilote lieutenant de la marine péruvienne, aborde les manœuvres d’atterrissage. Mais les signaux indiquant que les trains d’atterrissage sont baissés ne s’allument pas. Le pilote du charter souhaite alors effectuer une boucle au-dessus de l’aéroport Jorge Chávez afin que la tour lui confirme que tout est en ordre. Malheureusement, au moment d’effectuer la boucle finale qui va le ramener sur la piste, Villar ne se rend pas compte qu’il est trop bas. Il est 20h13, le Fokker F27-400M vient de s’écraser en mer. Certains membres de l’équipe décèdent sur le coup, d’autres, comme Rafael Ponce, tenteront de rejoindre la côte à la nage sans jamais y parvenir. Les secours n’arrivent que le lendemain matin, le temps de trouver de l’essence. Edilberto Villar sera le seul rescapé, retrouvé accroché à l’aile de l’avion qu’Alfredo Tomasini venait de lâcher. Certains corps seront repêchés, d’autre ne seront jamais rendus par la mer. Les vieilles légendes Teófilo Cubillas et José Velásquez viendront permettre au club, également renforcé par les frères chiliens de Colo-Colo (lire Alejandro Riveros : « au-delà du sportif, les Incas del Sur ont un rôle social »), de terminer sa saison mais rien ne sera plus jamais comme avant. L’Alianza Lima vient de perdre une de ses générations les plus prometteuses et, traumatisé, ne cesse depuis de courir après le temps perdu. Champion en 1997 après près de 20 ans d’attente, les Blanquiazules ne font depuis qu’alterner joies et peines, remportant notamment quatre titres de champion du Pérou dans les années 2000 dont le plus symbolique, celui de 2001, l’année du Centenaire, grâce notamment à un but d’un autre afro-péruvien, Roberto Farfán, oncle de Jefferson et après un ultime tir au but d'une de ses légendes Waldir Sáenz.
Depuis 115 ans, l’Alianza Lima écrit ainsi les plus belles pages de l’histoire du football péruvien. Club de quartier devenu légende au cours d’une histoire marquée par les plus grands exploits footballistiques et les pires tragédies humaines, les Blanquiazules restent fiers représentants d'une communauté afro-péruvienne qui a œuvré à l’appropriation du football par les criollos et dont les derniers joyaux Jefferson Farfán, André Carillo ou encore Yordi Reyna, tous Aliancistas, sont les derniers héritiers.