Tout amateur de foot qui s’est déjà penché sur les noms des clubs arabes – surtout en période de transferts – a dû éprouver des migraines en essayant de comprendre qui joue dans quelle ville et dans quel pays. Les noms se répètent et se ressemblent, entraînant le lecteur dans un labyrinthe aux multiples sorties. Lucarne Opposée vous propose un tour d’horizon des noms des différents clubs et ce à quoi ils se rapportent.

banlomag

Découvrir ces noms, c’est réembobiner l’Histoire jusqu’au début du XXe siècle, où Anglais et Français se partagèrent les lambeaux de l’Empire ottoman en prenant possession des territoires du Proche-Orient et du Levant, après avoir déjà pris pied en Algérie et en Égypte. Les premiers clubs sont fondés majoritairement pour la population allochtone et ceux dévolus aux indigènes portent donc des consonnances anglophones et francophones pour éviter de stimuler le nationalisme local. Parallèlement, les autorités coloniales reconnaissent le besoin de promouvoir la culture du sport au sein des territoires occupés. Ainsi, les premières structures sportives se calquent sur les modèles anglais et français. Les Anglais inaugurent le « club », mot-élastique englobant de multiples disciplines et repris par les locaux. Ce sont souvent des structures multisports où l’on pratique tant le football que l’athlétisme, l’aviron, le tennis ou encore les échecs.

Le fameux « Nadi Ryadhi » (club sportif-) est né et tous les clubs qui seront plus tard créés seront officiellement enregistrés sous ce nom. Mais, selon les pays, les clubs adopteront des noms et des formes différentes. Ainsi, au Maghreb, nombreux sont les clubs que l’on nomme dans leurs versions françaises et surtout basé sur les structures sportives en vigueur en France (Stade Tunisien, Union Sportive Oujda, Jeunesse sportive de Kabylie...), malgré le fait que leur nom officiel soit en arabe. Les équipes aux noms anglophones, quant à elles, ont souvent perdu leur nom d’origine, voire ont disparu, selon les aléas de l’histoire des pays dans lesquels elles se trouvaient. On assiste depuis peu au retour en force de nom anglais, mais cette tendance s’inscrit plutôt dans une logique marketing (comme par exemple le Pyramids FC), qui ne représente pas l’ancrage local et concerne des structures montées de toute pièce.

Découvrir ces histoires, c’est également assister à la résistance de peuples pris en étau entre les ambitions débordantes de régimes lointains, où chaque nom enregistré par les autorités coloniales équivaut à une victoire sur le terrain. C’est découvrir les différentes orientations politiques prises par les gouvernements lors d’une deuxième partie de XXe siècle bouillonnante et dont les conséquences résonnent encore aujourd’hui. Il n’est bien sûr pas possible de donner une signification à chaque nom de club, certains appartenant au secret de ses fondateurs, nous avons donc décidé de nous pencher sur les noms les plus répandus. Après les avoir passé en revue, nous pourrons nous pencher sur les particularités de chaque pays.

ahly

Al-Ahli : les gens, au sens élargi la famille, la communauté, le peuple, la nation

Villes : Le Caire (Égypte), Sanaa (Yemen), Sidab (Oman), Manama (Bahreïn), Amman (Jordanie), Qalqiliya et Hebron (Palestine), Nabatieh, Saïda et Jounieh (Liban), Doha (Qatar), Jedda (Arabie saoudite), Benghazi et Tripoli (Libye), Atbara, Khartoum, Shendy et Wad Madani (Soudan).

À tout seigneur, tout honneur. Le plus grand club arabe et africain est né dans la lutte contre l’occupant britannique au début du XXe siècle, en voulant rassembler autour de lui le peuple égyptien en une grande famille. Souvent, il s’agit de clubs populaires, à vocation unificatrice qui font appel au concept de communauté au sens larges. Les plus populaires sont celui du Caire (bien sûr), ceux de Libye, de Sanaa et de Manama.

Al-Ansar : les Auxiliaires, compagnons du Prophète à Médine (également traduisible en « les partisans »)

Villes : Beyrouth et Howara (Liban), Médine (Arabie saoudite), Bayda (Libye).

Les Ansars sont les compagnons du Prophète Mohammed qui l’ont accueilli à Médine après son départ de la Mecque (l’Hégire) en opposition aux Émigrants (Al-Muhajiroun). Si cela fait sens pour l’équipe de Médine, celle de Beyrouth est historiquement soutenue par les sunnites libanais et sponsorisée depuis début 2000 par la famille Hariri, leaders de la communauté sunnite au Liban. Elle est également l’équipe la plus connue.

Al-Arabi : l’Arabe, le bédouin

Villes : Manama (Bahreïn), Koweït City (Koweït), Irbid (Jordanie), Sweida (Syrie), Doha (Qatar), Umm al-Qaywain (E.A.U), Unaiza (Arabie saoudite).

La région du Golfe est bel et bien la région originelle des Arabes et, par extenso, des bédouins (au sens noble, par opposition aux sédentaires) et ceux-ci ne se privent pas pour cultiver ce particularisme. Dans le cas de la Syrie et de la Jordanie, outre une importante population bédouine, il y a également des liens historiques (le parti Baath syrien est le chantre du nationalisme arabe, surtout que Sweida est une ville à majorité druze, et la Jordanie est dirigée par la famille hachémite, originaire d’Arabie). Le plus connu des clubs est celui de Doha où évoluent Wilfried Bony, Victor Vázquez ou, il y a une décennie de ça, un certain Gabriel Batistuta...

hilal

Al-Hilal : le croissant de lune

Villes : Omdurman, Obeid, Port-Soudan et Kadougli (Soudan), Jerusalem (Al-Maqdisi et Al- Quds), Gaza et Jericho (Palestine), Hudayda (Yemen), Ryadh (Arabie saoudite), Benghazi (Libye), Nador (Maroc).

Contrairement à la croyance populaire, le croissant n’est pas originellement islamique malgré sa présence sur de nombreux drapeaux de pays musulmans. C’est lors du XIIe siècle que les Turcs empruntèrent ce symbole aux Byzantins et le propagèrent lors de leurs conquêtes. Cependant, le calendrier musulman est lunaire et nombreuses sont les nuits considérées comme spéciales. Le créateur du géant soudanais d’Omdurman, lorsqu’on lui demanda quel nom choisir pour le nouveau club, leva les yeux au ciel et y vit un beau croissant de lune nacrée lors du mois sacré de Rajab. Il fut adopté séance tenante. Outre le club soudanais, son homologue saoudien est également une référence, ayant gagné de multiples titres nationaux et internationaux au point d’être élu « club asiatique du 20e siècle » par la Fédération Internationale des Statistiques (IFFHS).

Al-Horrya : la liberté

Villes: Alep (Syrie), Mersa Matruh (Égypte), Kerbala (Baghdad).

Il est libre, Max.

Al-Ittihad : l’union

Villes : Jedda (Arabie saoudite), Ibb (Yemen), Salala (Oman), Manama (Bahreïn), Ramtha et Zarqa (Jordanie), Naplouse, Khan Younes et Shujaya (Palestine), Alep (Syrie), Kalba (E.A.U), Tripoli, Misrata et Gheryan (Libye), Wad Medani (Soudan), Basra (Irak), Tanger, Khemisset et Fkih ben Salah (Maroc), Alexandrie et Nabarouh (Égypte).

Terme générique pour exprimer l’unité. Souvent, il s’agissait du premier club de la ville, ce qui permit de fédérer les habitants autour du projet. Il y a également de nombreux clubs du Maghreb portant le titre d’Union Sportive mais nous ne les avons pas mentionnés ici, car ils sont plutôt connus par leurs noms français. Les plus connus sont ceux de Jedda et Alexandrie.

Al-Jazeera : l’île

Villes : Amman (Jordanie), Hasake (Syrie), Abou Dhabi (E.A.U), Zuwara (Libye), Mersa Matruh (Égypte), Qadsiya anciennement (Koweït).

Bien que le mot signifie l’île, il faut plutôt le voir comme un îlot de vie dans un océan de sable (l’essentiel de la Péninsule étant bien sûr composé de désert). Si ce n’est Amman, toutes les autres villes sont cernées par le désert. Mention spéciale pour le club de Hasake qui se trouve dans une région désertique qu’on appelle justement la Jezireh (région au Nord-Est frontalière avec l’Irak). Le plus connu est celui d’Abou Dhabi, champion en 2017.

Al-Jeish : l’armée

Villes : Damas (Syrie), Baghdad (Irak), Al-Duhail anciennement (Qatar).

L’instauration de régimes militaires dans le monde arabe a eu des répercussions sur les sociétés respectives. Leur influence va plus loin que la simple défense de la patrie et rares sont les pays n’ayant pas été sous la coupole de l’armée (Golfe exclus). Leur parrainage de clubs n’est pas sans rappeler le modèle soviétique et ses nombreux satellites (Legia Varsovie, CSKA, Steaua Bucarest...).

Bonus : Haras el-Hodoud (Alexandrie), Al-Tersana (Gizeh), Talaa al-Geish et El-Entag El-Harbi (Le Caire) : littéralement « les gardes-frontières », « l’arsenal », « les vétérans de l’armée » et « la production militaire ». L’Égypte est peut-être le cas d’implication le plus fameux...

Al-Nahda : la renaissance

Villes : Al-Buraimi (Oman), Barelias et Beyrouth (Liban), Dammam (Arabie saoudite), Berkane et Settat (Maroc), anciennement Mesaimeer (Qatar) et Ismailia (Égypte).

S’il implique l’idée toute simple d’une renaissance, d’un effort à produire, la Nahda fait également référence à un courant qui secoua le monde arabo-musulman de sa léthargie à partir du XIXe siècle. Il s’agissait pour les Arabes de rattraper leur retard sur l’Occident en matière de technologie, d’avancées sociales et de s’émanciper du joug des Turcs. Pour les musulmans, il fallait également revitaliser la religion et, pour les chrétiens, tendre vers une société laïque où ils seraient égaux en droit avec leurs compatriotes musulmans. Ceux-ci furent particulièrement actifs, en témoignent les Boustani, Zaydan et autres Khalil Gibran. Si la majorité des clubs ne font pas référence à cet épisode de l’Histoire, il est un club à Beyrouth, aujourd’hui disparu, qui fut nommé en cet honneur. Supporté par la communauté orthodoxe du Liban (et grands fournisseurs de nationalistes arabes), le club s’est éteint dans la seconde partie du XXe siècle.

Al-Najma (+ variantes al-Nojoom, al-Najm) : l’étoile

Villes: Manama (Bahreïn), Beyrouth (Liban), Al-Hasa et Unaiza (Arabie saoudite), Benghazi, Ajdabiya et Baaza (Libye), Sousse et Metlaoui (Tunisie), Marrakech.

Un peu comme Al-Hilal, le choix du nom s’est fait en regardant le ciel constellé d’étoiles. Dans le cas des équipes de Tunisie, c’était un hommage au drapeau tunisien sur lequel figure une étoile.

nasr

Al-Nasr : la victoire

Villes : Dubaï (E.A.U), Ryadh (Arabie saoudite), Salala (Oman), Manama (Bahreïn), Al- Farwaniya (Koweït), Barelias (Liban), Benghazi (Libye), Omdurman (Soudan), Le Caire et Abu Qirqas (Égypte), Shahania anciennement (Qatar).

Le but premier du football, la victoire, tout simplement. Le plus célèbre est celui de Ryadh.

Al-Oruba : l’arabité

Villes : Sanaa (Yemen), Sur (Oman), Alep (Syrie), Qidfa (E.A.U), Sakaka (Arabie saoudite), Ajaylat (Libye), Qatar SC anciennement.

Même concept que Al-Arabi, encore une fois présent dans le Golfe, berceau de l’arabité, et en Syrie.

Al-Qadsiya : évoque l’idée de sainteté, par extension Al-Quds, Jérusalem

Villes : Koweït City (Koweït), Khobar (Arabie saoudite), Al-Sailiya anciennement (Qatar)

La racine arabe Q-D-S est relative au concept de sainteté, également appliqué à Jérusalem (Al- Quds), la troisième ville sainte de l’Islam.

Al-Sahel : la côte, le littoral

Villes : Abu Halifa (Koweït), Tartous (Syrie), Misrata (Libye), Qatif (Arabie saoudite) et Sousse (Tunisie)

Comme son nom l’indique, les clubs portant ce sobriquet sont tous situés sur la côte et sont d’importants ports dans leurs pays respectifs. Le plus connu est le grand club tunisien de l’Etoile Sportive du Sahel.

Al-Salam : la paix

Villes : Sohar (Oman), Zgharta (Liban), Tyr (Liban).

Un peu de paix dans ce monde de brutes.

Al-Saqr : le faucon

Villes: Taiz (Yémen), Tobruk (Libye), Tabuk (Arabie saoudite).

Le faucon est un animal extrêmement prisé dans la Péninsule arabique, au point où l’on organise des compétitions de dressage. Il est considéré comme le totem des Arabes, peu étonnant donc de le retrouver au Yémen et en Arabie. La Libye et son programme kadhafiste nationaliste-arabe ont donc suivi le mouvement.

shabab

Al-Shabab : les jeunes

Villes : Barka (Oman), Manama (Bahreïn), Al-Ahmadi (Koweït), Al-Aqaba, Amman ([Al-Ordon et al-Hussein] Jordanie), Al-Bireh, Hebron (Dhahiriyya, Al-Khalil et Al-Samu’) et Rafah (Palestine), Ghazieh, Beyrouth (Haret-Hreik, Bourj el-Barajneh) et Mazraa (Liban), Raqqa (Syrie), Muaither (Qatar), Dubaï (E.A.U), Ryadh (Arabie saoudite), Belouizdad, Tizi-Ouzou, Meridja et Bejaïa (Algérie), Baghdad (Irak), Kairouan (Tunisie), Khenifra, Houara, Larache, Al- Hoceima et Mohammedia (Maroc).

LE gros morceau, LE nom qui fut choisi le plus souvent. La vigueur éclatante de la jeunesse et sa fougue doivent éclabousser le club de ses bienfaits et le mener à la victoire. Voilà en substance le message passé lors de la création des clubs. Bien souvent, il s’agit de centres de loisirs pour jeunes (surtout en Palestine) ou d’équipes créées par des étudiants. Après tout, la tranche des 15-30 ans représentent 30% de la population arabe, autant qu’elle soit représentée dignement.

Al-Shoala : le flambeau

Villes : Aden (Yemen), Deraa (Syrie), Al-Kharj (Arabie saoudite), Baghdad (Irak), Mesaimeer anciennement (Qatar).

N’oubliez pas d’éteindre en sortant.

Al-Shorta : la police

Villes : Damas et Alep (Syrie), Al-Amn Tripoli (Libye), Baghdad (Irak), Al-Duhail anciennement (Qatar).

Dans le même moule que Al-Jaish et les ramifications de gouvernements socialistes dans les structures sportives, Al-Shorta représente les corps de police comme les Dynamo qui essaimèrent lors de la période soviétique. La Syrie, la Libye et l’Irak ayant été sous régime socialiste (Baath et kadhafisme), rien d’étonnant à ce qu’ils représentent l’entièreté des effectifs, bien que les clubs aient été créés avant l’arrivée au pouvoir du Baath.

Al Sikak El Hadidia : les chemins de fer

Villes : Le Caire (Égypte), Beyrouth (Liban), Al-Zawraa anciennement (Irak).

Ces clubs ont été créés au début ou dans le premier tiers du 20e siècle, souvent à l’initiative d’étrangers, alors que tout était encore à faire dans les pays concernés en matière de transport ferroviaire et de liaison entre les villes.

Al-Taawon : la coopération

Villes : Ras al-Khayma (E.A.U), Buraida (Arabie saoudite), Ajdabya (Libye), Al-Khor anciennement (Qatar).

Toujours se serrer les coudes dans les moments compliqués.

Al-Tadamon : la solidarité

Villes : Al-Farwaniya (Koweït), Tyr (Liban), Latakieh (Syrie), Umm Salal anciennement (Qatar)

Pareil que Al-Taawon.

Al-Taraji : l’espérance

Villes : Wadi al-Nas (Palestine), Mostaganem (Algérie), Qatif (Arabie saoudite), Zarzis et Tunis (Tunisie).

À ne pas confondre avec l’espoir. L’Espérance Tunis en est bien sûr le plus grand représentant.

Al-Wahda : l’unité

Villes : Aden et Sanaa (Yemen), Sur (Oman), Amman (Jordanie), Damas (Syrie), Abou Dhabi (E.A.U), La Mecque (Arabie saoudite), Tripoli (Libye).

À l’instar des nombreux clubs anglais (Manchester, Leeds, Newcastle, West Ham...), l’unité est un concept pris très au sérieux dans le monde du foot.

Al-Yarmouk : la bataille de Yarmouk

Villes : Sanaa (Yemen), Mishref (Koweït), Amman (Jordanie), Alep (Syrie), Janzour (Libye).

Rivière faisant office de frontière entre la Syrie et la Jordanie (d’où les clubs des deux pays), elle fait également référence à la bataille de Yarmouk entre les armées des premiers califes de l’islam et l’empire byzantin. Cette bataille est considérée comme un tournant dans l’histoire de l’Islam car elle expulse les Byzantins du territoire syrien ô combien stratégique et marque également le début des grandes conquêtes (Al-Futuh) islamiques.

MAIS AUSSI

Al-Adala, la justice (Al-Ahsa, Arabie saoudite – Baghdad, Irak) ; Al Amal,  l’espoir (Djerba et Hammam-Sousse, Tunisie) ; Al-Ittifaq, l’accord (Damam, Arabie saoudite – Duraz, Bahreïn) ; Al-Taliya, le pionner (Sur, Oman – Hama, Syrie) ; Al-Wifaq, l’entente (Sétif, Algérie – Sabratha, Libye), Al Moustakbal, l’avenir (La Marsa, Gabès, Kasserine, Tunisie-Jumayl, Libye).

Boris Ghanem
Boris Ghanem
Chroniques d'un ballon rond au Moyen-Orient, de Beyrouth à Baghdad, de Manama à Sanaa, football sous 40 degrés à l'ombre d'un palmier.