Un derby centrasiatique, un stade aux trois-quarts vides, un local de l’épreuve et un parfum de Route de la Soie, c’est le match Turkménistan-Ouzbékistan auquel nous avons assisté.

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Dubaï la luxueuse, Dubaï la technologique, Dubaï la mégalopole sortie des sables. Et en ce mois de janvier, Dubaï l’épicentre de tous les amoureux du football asiatique, réunis pour savoir qui soulèvera le trophée de meilleure équipe du continent. Suivant ses confrères européen et africain, le tournoi a fait peau neuve et s’est élargi à 24 équipes afin de donner leurs chances aux nations émergentes de progresser. Vingt-quatre billets, c’était assez que pour voir les nations centrasiatiques composter le leur, là où seul l’Ouzbékistan fait figure de régulier de l’épreuve. Ainsi, le Turkménistan retrouve la grande messe asiatique pour la deuxième fois seulement (après son aventure de 2004) alors que le Kirghizstan débarque dans ses souliers de petit nouveau, laissant dévoiler au grand jour les progrès effectués depuis une dizaine d’années. Seul le Tadjikistan est resté bloqué à quai, incapable de s’extirper d’un groupe dans lequel figurait le Yémen, les Philippines et le Népal.

Si le Kirghizstan hérite d’un groupe fort compliqué compte tenu de sa maigre expérience (Corée du Sud et Chine en épouvantail, ainsi que les Philippins en outsider), le sort a décidé de placer Ouzbeks et Turkmènes au sein d’un groupe assez ouvert avec Oman et le Japon, où seul le dernier fait figure de favori absolu. Dans cette compétition où les meilleurs troisièmes se qualifient pour les huitièmes de finale, la chance de voir les deux voisins sortir ensemble pour batailler contre les autres nations asiatiques n’était pas mince.

Entre Ouzbeks et Turkmènes, ce sont des retrouvailles entre vieux frères, parfois ennemis, parfois cousins proches, étoiles dans la constellation de tribus turques qui essaimèrent en Asie centrale durant des siècles. Les Ouzbeks, qui tirent leur nom du légendaire fondateur des nations turques Oghuz Bek, avaient plutôt un style de vie sédentaire, ce qui donna lieu à une architecture éblouissante comme le démontrent encore aujourd’hui les joyaux que sont Samarcande ou Boukhara. Les Turkmènes, quant à eux, professaient d’avantage un mode de vie nomade, ce qui entraina de nombreuses confrontations entre les deux clans. Pour compléter le tableau, les relations actuelles entre les deux pays s’est assez refroidit suite à une sévère crise économique au Turkménistan, où nationalisme et démagogie ont donné lieu à des actes anti-ouzbeks. Sur le terrain, l’avantage initial est clairement du côté ouzbek. L’historique des matchs parlent en faveur des Oq Bo’rilar (les loups blancs) avec six victoires pour seulement un nul et une défaite. Ironie du sort, la dernière fois que les deux équipes s’étaient rencontrées, c’était… lors de la Coupe d’Asie 2004 et les Ouzbeks avaient déjà pris l’ascendant sur les Turkmènes grâce à un but de la légende Kasimov.

Pour cette édition émiratie, l’Ouzbékistan a décidé de confier les rênes de son équipe à l’Argentin Héctor Cúper, ancien faiseur de miracles du côté de Valence et globe-trotter depuis près de quinze ans. Les vieilles gloires ouzbeks disparaissent peu à peu du paysage footballistique tel Kasimov, Shatskih, Djeparov et certains trentenaires feront plus que probablement leurs adieux à la sélection après le tournoi : Marat Bikmaev, Ignatiy Nesterov, Anzur Ismailov ou encore le génial Odil Ahmedov. Pour se repérer dans le coin, ils pourront toujours compter sur Otabek Shukurov, qui monnaie son talent au club émirati de Sharjah FC. Du côté des Akhal-Teke (un cheval très prisé et symbole du Turkménistan), la sélection se base sur des joueurs provenant quasi exclusivement de deux clubs, le Altyn Asir et le Ahal ! Une sélection qui se connait donc parfaitement (l’entraineur est d’ailleurs également le coach du Altyn Asir), bien organisée physiquement et qui se base sur le talent de Annadurdiyyew et Mingazow son Européen (il joue au Slavia Prague). Lors de la première journée, l'Ouzbékistan a fait le dos rond pour surprendre Oman (2-1) après avoir été acculé en défense tout le match. Le Turkménistan, quant à lui, a failli faire vaciller le Japon après un bijou de Amanow. Mais les Samurai Blue se sont repris après la pause pour s'offrir un succès étriqué (3-2) laissant augurer d'une partie serrée entre voisins pour la deuxième journée.

Dans le stade Al-Maktoum, les plus belles couleurs sont turkmènes mais les tribunes sont ouzbeks. Les Verts sont organisés en 5-4-1, histoire de contenir les assauts adverses. D'entrée de jeu le rythme grimpe et le Turkménistan est proche de gratter un coup franc. Ahmedov ratisse, écarte et distribue proprement. Le Turkménistan est agressif sur le ballon et bien discipliné mais les Ouzbeks nous gratifient d'un jeu technique loin du style Cúper. Et quand ils augmentent le rythme, les Turkmènes tirent la langue. Sur une merveille de jeu en trois touches, Sidikov ouvre le score sur un service de Khamadov à la 16e minute. Le calvaire des Turkmènes ne fait que commencer. Six minutes plus tard, Shomurodov lancé en profondeur crucifie le gardien pour le 2-0. À la 40e Masharipov fusille de près pour le 3-0 avant que Shomudorov s'offre un doublé deux minutes plus tard. Suite à cette première mi-temps pyrotechnique, le rythme retombe en deuxième. Les Ouzbeks nous offrent des moments de grandes qualités et mettent au supplice leurs pauvres voisins mais sans réussir à marquer un cinquième but. Côté turkmène, des frappes dévissées qui n'inquiètent pas Nesterov.

Le coup de sifflet final envoie l'Ouzbékistan en huitièmes alors que le Turkménistan se frotte à la dure réalité du haut niveau. Le groupe ne manque ni de talent ni de discipline mais doit continuer à progresser en se frottant à plus fort que lui. Ils pourront au moins se consoler en se disant qu'ils ont le plus beau drapeau de la compétition (voire du monde?). L'Ouzbékistan, lui, nous a séduit, rappelant par séquence le fameux gegenpressing cher à Jürgen Klopp. On espère en tout cas les voir au plus haut dans la compétition, eux et leurs sympathiques supporters !

Résumé

Boris Ghanem
Boris Ghanem
Chroniques d'un ballon rond au Moyen-Orient, de Beyrouth à Baghdad, de Manama à Sanaa, football sous 40 degrés à l'ombre d'un palmier.