Assurés de participer aux huitièmes de finale, les voisins Iran et Irak jouaient la première place du groupe mais aussi se retrouvaient quatre ans après un match fou qui avait souri aux Lions.

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Tout au long de leur 6000 ans d’histoire, l’Iran et l’Irak ont tissé de nombreux liens, s’influençant l’un l’autre malgré leurs cultures différentes, tantôt fusionnant, tantôt se méprisant, s’engloutissant l’un l’autre au sein d’empires vastes et puissants (Achéménides, Babyloniens, Assyriens, Séleucides, Sassanides, Abbassides, Safavides…), participant à l’essor tant de l’islam sunnite et chiite que du christianisme, avant de prendre leur indépendance respective au XXe siècle. L’arrivée au pouvoir de Saddam Hussein couplée à celle de Khomeyni dans les années soixante-dix sera suivi d’une guerre absurde et tragique longue de huit ans (les chiffres parlent d’un à un million et demi de personnes tuées durant le conflit), transformant les frères siamois d’hier en ennemis irréconciliables. La chute de Saddam et l’arrivée progressive des chiites au pouvoir permettra de réchauffer petit à petit les relations entre les deux pays, Ahmadinejad visitant même le pays en 2008, réamorçant ainsi les relations diplomatiques et économiques. Sur le terrain, par contre, la rivalité est toujours aussi féroce !

Puissance continentale du ballon rond, l’Iran sort d’une Coupe du Monde réussie, où il s’en est fallu de peu pour qu’il sorte d’un groupe dans lequel on leur promettait déculottées sur déculottées. Fort de ce parcours où la Team Melli a conquis les cœurs de par sa bravoure et sa discipline, l’Iran n’abordait cependant pas le tournoi de la meilleure des manières. De nombreux problèmes financiers ont émaillé la préparation des Iraniens, ceux-ci n’ayant disputé que quatre pauvres matchs amicaux de septembre à novembre, sans compter les prises de bec du sélectionner Queiroz avec la fédération et les médias, et les blessures du milieu Saed Ezatolahi (Reading) – clé de voute du milieu perse – et Ali Gholizadeh (Charleroi). Le pays tout entier attend un titre qu’il leur échappe depuis 1976 et il faut espérer que cette pression populaire écrasante ne tétanise pas les joueurs dans leur quête vers le Graal. Malgré tout, l’Iran possède une organisation redoutable sur le terrain, et nombreux sont les joueurs capables de faire basculer le match en leur faveur : le Messi iranien Sardar Azmoun (Rubin Kazan), revenu de sa retraite internationale ; Alireza Jahanbakhsh (Brighton), le gardien Beiravand (Persépolis) ou encore Saman Ghoddos l’Amiénois. D’ailleurs les deux premiers matchs remportés aisément face au Yémen (5-0) et au Vietnam (2-0) confirment la montée en puissance des Iraniens, Azmoun se battant déjà pour la couronne de meilleur buteur avec 3 buts.

Mais sur sa route se dresse l’Irak, bourreau de la Team Melli en 2015 dans un Canberra Stadium en fusion avec un scénario déconseillé aux cardiaques. Et pas qu’un peu ! Un 3-3 dont 4 buts sont marqués dans la prolongation (dont l’égalisation iranienne à la 118e) avant que l’Irak ne l’emporte finalement aux tirs au but. Battus en demi-finale avec les honneurs, les Lions ont les crocs depuis lors et ne seraient pas contre réitérer l’exploit de leur victoire surprise en 2007. Avec le Slovène Srecko Katanec aux commandes, l’Irak compte sur une large majorité de joueurs évoluant au pays ou dans la région (cinq au Qatar, deux en Iran) pour seulement deux Européens. Parmi eux, la star Ali Adnan (Atalanta), qui avait fait les gros titres lorsque, alors joueur du club turc Caykur Rizespor, il se joignit à l’armée irakienne pour combattre l’avancée de Daesh en Irak. Il faudra aussi compter sur l’expérience de Ahmed Yasin (Al-Khor) pour encadrer une jeunesse dorée (Humam Tariq, Mohanad Ali, Mohamed Dawoud ou Alaa Abbas) qui émerge à 23 ans de moyenne. Et par-dessus tout, les Irakiens puisent leurs ressources dans l’interminable tragédie dans laquelle est plongé leur pays. Ces mêmes ressources qui leur avaient permis d’atteindre les demi-finales des JO d’Athènes alors que le pays se déchirait suite à l’invasion américaine, ou de remporter l’édition asiatique 2007 en Indonésie (et dont on vous raconte l’histoire dans le LO magazine numéro 1). Eux aussi ont gagné leurs premiers matchs contre le Vietnam, plus difficilement (3-2), avant de monter en puissance contre le Yémen (3-0) et de laisser entrevoir une débauche d'énergie et un jeu offensif plaisant et toujours porté vers l'avant. Le jeune Mohanad Ali éclabousse le tournoi de sa classe avec déjà deux buts magnifiques en autant de sorties.

Pour ce dernier match du groupe D, la première place du groupe est en jeu et permettrait au vainqueur de rencontrer un troisième de poule tandis que le second devrait affronter l’Arabie saoudite ou le Qatar, autre paire de manches. Le Maktoum Stadium sonne complet, les tribunes dégueulent de supporters excités deux heures avant le coup d'envoi, la tension monte petit à petit. Les joueurs font leur entrée sous les hurlements de la foule. Pour ce match qui s'annonce comme un combat des plus ardus, Queiroz reconduit son 4-5-1 et son trident offensif Jahanbakhsh - Azmoun - Ghoddos. De son côté, Katanec mise sur Mohanad Ali soutenu par Humam Tariq et Abdallah Yasin. Et les hostilités commencent dès le coup d'envoi, on sent bien qu'on n’assistera pas à des déclamations de poésie. Le terrain est une véritable scierie, tout ce qui bouge se fait découper. Chaque tacle est accueilli par des grondements des tribunes et il est dès lors impossible de construire un semblant de jeu. Les occasions sont rares et les défenseurs se jettent au péril de leurs vies. De leurs côtés, Hassan et Beiravand captent tous les ballons qui traînent dans leurs surfaces. Les tribunes sont toujours aussi animées et frémissent à chaque déboulé de leurs équipes mais la précision fait défaut. La mi-temps est sifflée et tout le monde reprend son souffle même si le rythme imposé par les supporters ne faiblit pas. La deuxième tranche reprend sur les mêmes bases: tacles et coups d'épaule. Azmoun et Ali ne parviennent pas à se mettre en évidence et les seules occasions pour les supporters de hurler sont lors de fautes. Les Iraniens réclament deux penalties mais rien n'y fait. Beiravand s'envole dans le ciel pour détourner la tête de Humam et Hassan frémit lorsqu'une frappe iranienne lèche son montant.

Le match s'achève sur un 0-0 tout sauf nul tant le rythme imprimé par les tribunes a déteint sur les joueurs, soucieux de s'adjuger la suprématie régionale. Pour l'Iran c'est une excellente opération, qui lui offre un huitième abordable alors que l'Irak se frottera à l'un de ses voisins du Golfe. On quitte le match avec le sentiment d'avoir assisté à la plus belle des ambiances et qu'un petit but aurait rendu incandescent un stade déjà bouillant.

Boris Ghanem
Boris Ghanem
Chroniques d'un ballon rond au Moyen-Orient, de Beyrouth à Baghdad, de Manama à Sanaa, football sous 40 degrés à l'ombre d'un palmier.