La presse mondiale n’a de cesse de relayer l’information : Usain Bolt a marqué ses deux premiers buts sous le maillot des Central Coast Mariners. Derrière le buzz se cache cependant une grande question : l’ancien sprinter jamaïcain peut-il croire à un futur statut de joueur professionnel ? Une question qui ressemble surtout à une équation à plusieurs inconnues où sportif et économique se percutent.
Usain Bolt aura donc eu l’opportunité de tenter une nouvelle fois sa chance de devenir joueur professionnel de football, un de ses rêves, après celui de jouer pour le club anglais de Manchester United à la suite d’essais non-concluant au Borussia Dortmund ou encore en Norvège, au Strømsgodset Toppfotball. Le natif de Sherwood Content a accepté de rejoindre le club du Central Coast Mariners (CCM), le club de la région du New South Wales lui ouvrant les portes de son centre d’entraînement pour un essai à durée indéterminé en août dernier. Une arrivée qui a donc pris une autre dimension avec ses premiers buts chez les professionnels pour la légende de l’athlétisme.
Rêve ou réalité ?
L’arrivée de Bolt chez le plus petit budget du championnat d’Australie n’a pas été sans effet. Le premier : faire se braquer toutes les caméras du pays et du monde sur un club qui n’en finissait plus de sombrer dans les profondeurs de la A-League quitte à tomber au mieux dans l’indifférence. Sept jours après son arrivée sur le pays-continent, le numéro 95 du CCM faisait déjà ses grands débuts en jouant un peu plus d’un quart d’heure contre une sélection de joueurs amateurs de la région, le Central Coast Select. Une rencontre suivie dans le monde entier grâce à la chaîne cryptée Fox Sports Australia qui en avait acquis les droits. Le club en profitait pour commencer sa campagne marketing en nommant cette rencontre « The Trial », louait les services d’un disque-jockey, un jeu de lumière était programmé pour l’entrée en jeu du Jamaïcain : le tout pour faire vendre le match à d’éventuels chaînes à travers le monde. Mike Mulvey, nouvel entraîneur du club, lui accordait quinze minutes au Central Coast Stadium, la belle histoire semblait commencer. Elle subissait un premier coup d’arrêt lorsque le coach du CCM déclarait : « Bolt n’est pas encore un joueur de football ». Un constat partagé par Mark Bosnich ou encore de Ray Gatt (journaliste à The Australian et fervent supporter du CCM). Il est vrai qu’avant la rencontre, l’état global de Bolt n’inspirait pas une grande confiance. Ses premières séances d’entraînement avec le groupe révélaient un joueur fatigué et essoufflé en comparaison des autres joueurs même les plus jeunes du groupe. Contre le Central Coast Select, le bilan était équivalent à ses séances d’entraînement, Bolt n’avait pas les ressources physiques nécessaires pour faire plus de vingt minutes. Ajouté à cela le fait que placé ailier droit, Bolt n’avait pas donné plus d’assurance dans son football avec une palette de jeu très limitée et une possibilité de jouer uniquement sur son pied gauche. À sa décharge, et Mulvey n’a eu de cesse de le rappeler, le Jamaïcain restait sur un an d’inactivité depuis son retrait des pistes, il manquait donc de rythme mais surtout devait apprendre les exigences physiques du métier de footballeur. Passer d’un travail sur l’explosivité à un travail plus complet, le football étant fait de répétition, d’efforts, de multiples gestes (de la course rapide au replacement en passant par les changements de direction, le travail aérien), de développement du jeu de corps, de synchronisation avec ses coéquipiers. C’est sur ces aspects que le travail a ensuite été mené par le staff, enchaînant les séances supplémentaires avec Nick Montgomery, l’adjoint de Mike Mulvey, et Ray Junna, préparateur physique.
Bolt était ensuite indisponible pour l’amical contre le Western Sydney Wanderers, club de A-League, l’élite du football australien (Bolt était en France pour représenter une marque de champagne dont il est l’ambassadeur), puis contre Central Coast United, club de cinquième division. Bolt restait sur le banc lors du match opposant le CCM aux Wollongong Wolves FC (club de seconde division). Restait alors deux chances d’apparaître de nouveau sur le terrain : Sydney FC ou Macarthur South West United. Deux matchs bien différents, le Sydney FC étant candidat au titre dans l’élite australienne quand Macarthur South West est une formation qui aspire à se porter candidate à l’expansion en A-League et qui, pour l’occasion, était composée de joueurs évoluant de la NPL (National Premier League, sorte de deuxième échelon au pays) aux divisions inférieures – quatre joueurs ayant cependant déjà évolué en A-League. Le choix était fait, Bolt allait jouer face à ses derniers, il était même titulaire en pointe, un nouveau poste pour lui. Ainsi, le match amical ressemblait une nouvelle fois à un match de gala contre des joueurs, qui pour la plupart, n’avaient jamais joué ensemble auparavant et sortaient tous de leur saison avec leurs clubs respectifs.
Que retenir du match d’Usain Bolt ? Ses deux premiers buts, qui ont évidemment fait le tour du monde, mais aussi et surtout, des signes plus intéressants dans son football en comparaison de sa toute première rencontre. Si Bosnich doutait toujours, se montrant particulièrement dur avec le Jamaïcain à la pause, ne voyant par exemple aucune amélioration, le fait est que Bolt a évidemment encore du chemin à parcourir s’il veut prétendre à évoluer en A-League, mais a montré de vrais signes de progression. Mike Mulvey l’a rappelé en conférence de presse d’après-match : « Si on remonte le temps, on avait dit qu’il faudrait un an. Nous restons focalisés sur janvier. Tout dépend de lui mais je suis heureux de sa prestation, on a vu ses progrès. Nous avions un plan avec lui. Bolt est probablement le plus grand athlète de l’histoire. Nous avions un athlète que nous devions transformer en footballeur. Après douze mois d’inactivité, nous devions d’abord le remettre en forme avant d’envisager en faire un footballeur. Il avait énormément à apprendre et il faut le mettre à son crédit, il a énormément appris. Il a progressé ». Lucide, Bolt a aussi livré une véritable analyse de sa performance sur le bord du terrain et en conférence de presse : « Mon positionnement est meilleur, je me déplace mieux dans les espaces mais je pense que contrôler le ballon et améliorer ma vision du jeu sont les deux points clés sur lesquels je dois progresser. Je suis là pour devenir footballeur, pour voir jusqu’à quelle limite de performance je peux aller. Je manque d’expérience sur le terrain, cela viendra avec les matchs. J’ai besoin de m’améliorer dans tous les domaines ».
Course contre la montre
« Pour faire un bon livre, il faut un temps prodigieux et la patience d’un saint », écrivait Voltaire. Pour le paraphraser, il en est de même avec les footballeurs. Reste qu’avec la A-League qui débute la semaine prochaine, sachant qu’il est évidemment impensable d’imaginer Bolt dans le groupe face à Brisbane en ouverture de la saison, le temps se présente comme un ennemi de taille. Mike Mulvey a d’ailleurs insisté sur ce point : la première mission est de faire renaître des Mariners devenus jouet des autres clubs du pays. Le recrutement a d’ailleurs été à la mesure du défi, l’international australien, Tommy Oar, passé par le Brisbane Roar et riche d’une carrière de cinq ans au FC Utrecht est arrivé avec l’attaquant Ross McCormack. Arrivé en prêt pour une saison d’Aston Villa, l’international écossais avait dynamité la A-League lorsqu’il avait été également prêté par le club anglais au Melbourne City FC. Des recrutements qui barrent tout espoir de voir Bolt attaquant numéro un, sachant que la concurrence est sévère (et voulue par Mulvey) dans le groupe du Central Coast si on ajoute des joueurs tels que Matt Simon, Kalifa Cisse, Corey Gameiro et les deux espoirs Jordan Murray et Josh MacDonald. En l’état, Bolt n’est pas en mesure de concurrencer ces joueurs, mais Mulvey a une fois encore rappelé que l’objectif pour le Jamaïcain était janvier prochain. Cela pose donc la question de la situation d’Usain Bolt au club d’ici là.
Sachant qu’Usain Bolt a 32 ans et qu’il est compliqué de lui faire signer prématurément un contrat professionnel en l’état, le temps joue contre tout le monde. Autre souci, en cas de signature, Bolt n’étant pas prêt, il ne pourra être aligné en A-League. Se posera alors la question de savoir comment il pourra prendre du temps de compétition, une question abordée auprès de Mulvey qui ne semble pas avoir véritablement de réponse. Un point central comme Bolt l’a lui-même rappelé : « Si j’ai du temps sur le terrain, je connaîtrai mieux les joueurs, le jeu. Je saurais ce que j’ai à travailler pour m’améliorer. Tu peux t’entraîner autant que tu veux mais tu as besoin de match. C’est comme en athlétisme, tu peux t’entraîner autant que tu veux mais tu dois faire des courses pour être plus tranchant et efficace ». Reste à trouver comment jouer de vrais matchs.
Mais le principal obstacle est que le club n’est pas capable de prendre en charge la totalité de son salaire qui, selon le Daily Telegraph se monte à trois millions de dollars australiens par an (à titre de comparaison, Alessandro Del Piero touchait quatre millions de dollars lors de son passage au Sydney FC et Keisuke Honda, joueur le mieux payé de la saison au Melbourne Victory touche la somme de 2,9 millions de dollars. Ainsi, en cas de contrat signé sur ces termes, Bolt serait le joueur le mieux payé de la A-League), mais ne peut qu’assurer 70% de celui-ci. Il faudrait ainsi l’aide de la fédération de football australien qui aux dernières nouvelles n’y est pas favorable. Une grande partie de l’avenir de Bolt repose sur les décisions du propriétaire Mike Charlesworth qui doit ainsi se poser la question de son désir de faire de Bolt un footballeur professionnel capable d’évoluer en A-League tout en mesurant le temps nécessaire à cela et ainsi se demander si le pari est de l’ordre de réalisable. D’autant que la position de Charlesworth, connu pour être un homme proche de ses sous, reste sujette à questionnements. Comment peut-il d’un côté laisser partir ses deux meilleurs joueurs, Daniel De Silva et Trent Buhagiar au Sydney FC, pour de l’autre, faire venir Usain Bolt qui n’est pas (encore) un joueur de football quitte à débourser des sommes pharaoniques ? La réponse pourrait être ailleurs.

Un apport double
Dans une interview donnée à SBS, Charlesworth expliquait que les deux gros recrutements que sont Oar et McCormack étaient déjà liés à l’arrivée de Bolt. Habitué à dépenser le strict minimum accordé au salary cap, le club vient pourtant de changer son image en recrutant les deux internationaux au salaire conséquent. Il faut dire qu’alors qu’il n’est pas encore véritablement un joueur de l’effectif, Usain Bolt a déjà permis de renflouer les caisses du club grâce à une affluence de dix mille spectateurs pour ses matchs avec l’éclair de Jamaïque (quand le club a terminé la saison dernière sur une affluence moyenne de 7 194 spectateurs), des droits télé venant de chaînes privées se bagarrant pour récupérer les images de ses prestations et des offres de divers sponsors dont il aurait été « inondé » selon son interview dans Forbes. Dans SBS, Charlesworth expliquait même que ce recrutement pouvait rapporter jusqu’à seize millions de dollars à Gosford, la ville du Central Coast. L’apport de Bolt en termes de visibilités est une évidence, Mike Mulvey le rappelait encore en conférence de presse d’après doublé. Mais l’apport de l’octuple champion olympique ne se limite pas aux simples termes économiques et marketing sur lesquels le CCM pourrait surfer.
Il est aussi un apport plus sportif apporté par la machine à gagner sur les pistes qu’était Bolt : sa capacité à gagner. Une démonstration apportée une fois de plus par son entraîneur, Mike Mulvey : « C’est l’un des grands apports de Bolt à l’équipe. C’est un garçon extrêmement humble mais c’est aussi quelqu’un qui a une grande confiance en lui. Il y a une limite entre confiance en soi et arrogance, Usain est toujours entre les deux. Il transpire la confiance mais surtout apporte la foi. Il passe des heures à parler avec les jeunes après l’entraînement, il transmet ses connaissances, son ADN d’années de compétiteur. C’est un apport considérable. C’est l’une des raisons qui font que nous sommes heureux de l’avoir avec nous. Vous savez, s’il ne s’était pas intégré dans l’équipe, il n’aurait pas tenu deux jours. Parce que nous avons un travail à faire : pendant quatre ans, les Mariners ont été à la dérive, nous devons reconstruire. C’est aussi ce qu’Usain nous permet de faire. On est dans une situation gagnant-gagnant ». Un facteur X supplémentaire pour une équipe en proie au doute et qui surtout va jouer gros sur cette saison. Depuis le départ de Graham Arnold, aujourd’hui sélectionneur national de l’Australie, et de celui de Lawrie McKinna, le club va d’échec en échec, a récolté deux places de lanterne rouge en championnat sur les quatre dernières saisons, et n’arrive plus à être en play-offs depuis quatre ans. En cas de poursuite sur cette pente, le club de Mike Charlesworth pourrait se voir retirer sa licence faute de compétitivité et d’affluence, menace qui pèse également sur le Wellington Phoenix, une action déjà entreprise par le passé avec Gold Coast United et North Queensland Fury, deux franchises sacrifiées notamment sur l’autel des résultats.
À une semaine de la reprise de la A-League, le Central Coast Mariners se retrouve ainsi devant un véritable dilemme. Plus le Jamaïcain restera associé au club, plus le club bénéficiera de l’image du joueur et pourra engranger vis-à-vis des sponsors ou des droits télévisuels. Cependant, le club ne peut se permettre la moindre folie ou le moindre pari hasardeux sur le plan sportif une année ou sa survie en dépend. Devant l’urgence de devoir décider, le club se retrouve à devoir parier sur une progression future en devant miser gros. Pendant ce temps, pour les supporters, la question de la présence de Bolt dans le groupe ne compte pas. Avec ou sans lui, une seule chose va compter cette saison : le CCM doit obtenir des résultats.


