Alors que son championnat local est désormais l’objet de toutes les attentions mondiales, en coulisses, la Chine se prépare à passer la vitesse supérieure pour s’installer durablement dans le gotha mondial. C’est l’objectif d’un projet mis en place sur plus de trois décennies.

Depuis plusieurs semaines l’ambitieuse Chinese Super League n’a eu de cesse de faire se braquer les projecteurs mondiaux vers la Chine. Si l’attraction de nouvelles stars étrangères à coup de billets verts n’est pas la première tentative de l’histoire du football local (nous l’évoquions dans notre présentation de la saison 2016 – lire Chine - Chinese Super League 2016 : de nouveau dans la lumière), elle permet cependant d’offrir au pays une vitrine prestigieuse. Mais, la MLS vous le dira certainement, tout projet de développement du football dans un pays passe inévitablement par les bases, celles les moins visibles.

Trois étages d’une même fusée

C’est ainsi que la Chine, à travers les agences gouvernementales et sa fédération, a publié un document officiel qui précise le plan de développement de son football dont le but annoncé est simple : faire de la sélection chinoise une véritable puissance mondiale.

Tout part du constat de l’importance stratégique du football et, pour reprendre le terme employé par les différentes agences de presse locales, le plan mis en place est « d’une hauteur sans précédent ». Car la réforme ne concerne pas seulement son élite, elle se veut globale et touche tous les pans de la société, l’aspect développement social étant ainsi mis en valeur par ce projet. Ce programme va être déployé en trois étapes correspondant à trois objectifs à remplir dans les temps :

- Les objectifs à court terme fixés pour 2020

- La mission à moyen terme pour 2030

- Le but à long terme pour 2050

La première étape prévoit ainsi d’amener près de 50 millions de personnes au football d’ici 2020. Pour cela, près de 70 000 terrains de football supplémentaires vont être construits aux quatre coins du pays et l’accent va être porté sur la jeunesse. Le gouvernement va ainsi soutenir les écoles à se spécialiser dans le football. Près de 20 000 académies du football supplémentaires vont donc émerger d’ici 2020 et des formations seront également mises en place afin de former 10 000 entraîneurs, ce qui signifie que près de 30 millions de jeunes chinois vont avoir l’occasion de pratiquer régulièrement le football. Des chiffres qui donnent le tournis mais qui ne doivent surtout pas masquer le fait que la Chine n’a pas attendu 2016 pour commencer à développer son football de jeune, les académies existants déjà, plusieurs clubs européens ayant déjà jalonné certaines zones et les grands clubs professionnels locaux possédant d’impressionnantes installations (voir l’exemple de Guangzhou Evergrande, article en anglais). Ce premier étage de la fusée Chine 2050 n’a qu’un objectif : accélérer ce processus et ainsi viser à ce que d’ici 2020, près de 50 millions de personnes pratiquent le football de manière régulière.

Photo : WILLIAM WEST/AFP/Getty Images

Cet objectif rempli permettra alors de viser la deuxième étape, celle de devenir la meilleure nation d’Asie d’ici 2030. Les entreprises chinoises seront ainsi encouragées à créer des clubs de foot afin de devenir un leader en Asie et dans le monde sur le plan du football amateur. Le gouvernement chinois espère ainsi qu’en faisant en sorte qu’il y ait un terrain de football pour 10 000 habitants, le sport se développera d’autant plus et en installant une culture foot plus profonde, l’effet rejaillira sur les clubs et les sélections. C’est aussi l’une des forces de ce projet. Il ne concerne pas seulement les hommes mais aussi le football féminin dont le Chine a longtemps été l’une des grandes nations (rappelons que Roses d’Acier ont été quart de finaliste mondiales à quatre reprises, ont écrasé l’Asie pendant plus d’une décennie quand les sélections u20 ont été deux fois finalistes mondiales) mais aussi la société chinoise elle-même qui va devoir grandir en dévorant du football, à se nourrir de football.

Son football local développé, sa culture football ancrée et son football professionnel durablement installé dans les meilleurs du continent voire du monde, la troisième étape consistera ainsi à s’installer durablement dans le top mondial avec pour date butoir les années 2050.

Aucun chiffre n’est donné concernant le montant du budget alloué mais le document publié donne les objectifs visés : « Le but est de chercher à devenir une grande puissance du football, réussir le développement du football chinois, réaliser le rêve de millions de chinois et chinoises et de respecter nos obligations envers le monde du football. » Ce qui est désormais certains c’est que la récente émergence du football chinois dans le paysage de club n’a pas l’air d’être une idée sans lendemain. Rarement une nation n’a ainsi mis en place un processus de développement sur près de trois décennies visant à réformer non seulement son sport mais aussi toute sa société.

Photo : Atsushi Tomura/Getty Images

La réalité du terrain, le principal obstacle

Si l'arrivée massive de joueurs étrangers a et va continuer de sensiblement augmenter la qualité des matches du championnat local et devrait donc permettre du même coup d’améliorer le niveau du championnat local, la mise en place de quotas de joueurs étrangers a aussi pour but d’améliorer rapidement les compétences footballistiques des joueurs chinois devenus professionnels (ou accédant au professionnalisme) et donc, à terme devrait apporter à la sélection cette aide supplémentaire. L’association formation de la jeunesse, ancrage du football au sein de la population et développement de l’élite locale a tout pour fonctionner. Reste que le chantier est encore important, surtout chez les hommes. Car si, à travers ce document, le président Xi Jinping ne fait que réitérer son envie de faire du football une priorité pour tout un peuple, nul doute qu'il attendra impérativement des résultats et les objectifs fixés devront être remplis à chaque date butoir. C'est sur ce dernier point que se situent les véritables interrogations. La patience et la pression politique sont-elles compatibles.  

Avec de telles sommes dépensées et une volonté dévorante de devenir une grande nation du football, comment le gouvernement chinois réagira-t-il si une embûche venait à se présenter ? Car outre la glorieuse incertitude du sport, le fait est que la Chine accuse encore un retard important sur ses voisins continentaux qui, eux-mêmes, ont pris du retard sur le reste du Monde. Si le pays connaît de nombreux succès dans d'autres sports, notamment lors des Jeux Olympiques ou bien lors des compétitions mondiales, son football n'a jamais été performant au niveau international. Pour preuve, la sélection n'est parvenue qu'une seule fois à se qualifier pour une compétition majeure (lors de la Coupe du monde 2002) et peine à exister ne serait-ce qu’au sein de sa confédération. Sa qualification pour le tour final de la phase de qualification pour la Coupe du Monde 2018, fut-elle arrachée au prix d’un miracle (lire Coupe du Monde 2018 : le miracle chinois), reste un signe encourageant même si le groupe réservé à la Team Dragon s’annonce des plus compliqués (lire Tirage dangereux pour les ambitieux). Ainsi, tous ces beaux projets vont rapidement se confronter à la dure réalité des résultats. Malgré les encouragements du gouvernement, les analystes s'inquiètent et se demandent si les parents seront enclins à laisser leur enfant passer plus de temps sur leur programme sportif au détriment de leurs études si les perspectives d’avenir demeurent encore floues. Une telle révolution culturelle ajoutée à une pression politique engendre forcément des doutes que seuls des résultats rapides peuvent contribuer à effacer.

Mais, en misant sur un projet portant sur plus de 30 ans, la patience semble être le maître mot, si on y ajoute la volonté et un travail appuyé par une puissance économique sans limite, la Chine possède tous les ingrédients indispensables pour développer son football et en faire l’un des meilleurs au monde. Le fait d’appuyer sur le développement non seulement des pratiques sportives mais surtout de vouloir installer la culture football dans tous les pans de sa société est aussi la démonstration d’un projet patiemment construit et parfaitement réfléchi. Si dans le même temps, les clubs et la sélection venaient à avoir rapidement des résultats sur le continent (les performances récentes de Guangzhou en AFC Champions League ou lors des Coupes du Monde des Clubs vont dans le bon sens) alors la démocratisation football chinois sera rendue plus aisée. Et alors la Chine pourra ambitionner d’être une grande nation mondiale. 

Par JC Abeddou et Nicolas Cougot

Photo une : Quinn Rooney/Getty Images

JC Abeddou