Arrivés en masse cet hiver, les brésiliens de la Chinese Super League font partie des raisons principales des lumières médiatiques venues éclairer le football chinois en 2016. Mais leur arrivée n’est pas qu’une question de paillettes.

Ürümqi, Chine Occidentale. « Je ne sais pas si c'est à cause de ma couleur de peau mais quand je marche dans la rue les gens ne font que me regarder, c'est comme si ils ne pouvaient pas en croire leurs yeux. » Tout fraîchement transféré d’Avaí, le brésilien Rudnei Da Rosa vient rejoindre ses compatriotes Vicente, arrivé au Xinjiang Tianshan en 2013 et Itaparica, arrivé quelques semaines auparavant de Hong Kong, livre ses premières impressions sur The Guardian (article en anglais). Ces trois brésiliens vont donc tenter d’aider le club, qui évolue en China League One (Division 2), à poursuivre sa progression. Créé en 2011 dans la province de Hubei sous le nom d’Hubei Huakaier, promu en League One en 2013 et déplacé dans le Xinjiang en 2014 à Ürümqi, l’une des villes réputées pour être les plus enclavées du monde, les Léopards sont passés du petit Huagnshi Stadium (15 000 places) à l’imposant Ninomiya Stadium et ses 50 000 places, symbole d’un développement du football à tous les étages de la pyramide chinoise. L’arrivée d’un nouveau brésilien dans le club est aussi un symbole, celui du rôle central que les joueurs venus du Brésil sont appelés à jouer au sein de l’Empire du milieu.

Rudnei époque Russe. Photo : Mike Kireev/Epsilon/Getty Image

Car Rudnei n'est qu'une des dernières additions à l'arrivée massive de footballeurs brésiliens en Chine, une stratégie qui vise à améliorer le niveau de compétition du championnat local et reste aussi un possible atout qui pourrait jouer en faveur de Xi Jinping dans l'optique d'organiser la coupe du monde 2026. L'amour des chinois envers les footballeurs brésiliens ne date pas d'aujourd'hui, rappelons que le premier brésilien à débarquer en Chine fût Marcelo Marmelo Da Silva qui avait rejoint le club de Sichuan en 1995 et qui a été adopté par tout un peuple, au point de devenir le 'papillon noir' de Chine.

 

Toucher l’imaginaire, travailler en coulisses

Mais depuis, et avec les nouveaux pouvoirs économiques du pays, l’immigration brésilienne explose. Selon la fédération brésilienne, 31 joueurs brésiliens ont été transférés en Chine en 2014 et 2015. Dans l’ombre des Alex Teixeira et autres Ramires, le Brésil envahit toutes les divisions. Malgré la politique de quotas de joueurs étrangers mise en place, 21 joueurs brésiliens évoluent en Chinese Super League, 14 en League One, le Tianjin Quanjian de Luxemburgo ayant même offert ses trois places à Luis Fabiano, Geuvânio et Jádson. Les entraîneurs brésiliens ont également la côte, parmi eux, Scolari, Menezes ou bien Luxemburgo entraînent en Chinese Super League et aux niveaux inférieurs ont découvert ce que l’ancien vice-président de São Paulo disait même « une mine d'or » en référence au salaire de Luxemburgo qui émerge à 300 000 dollars par mois pour entraîner Tianjin en seconde division. L'aspect financier est bien évidemment l’élément principal d’attractivité, la plupart des brésiliens rejoignent la Chine pour éviter la pauvreté et mettre à l'abri leur famille comme l'explique Rudnei : « Soyons honnête, c'est pour l'argent. Le football se développe ici et qu'on le veuille ou non c'est bien rémunéré. Voilà pourquoi tout le monde veut venir.» Reste que ce désir d’attirer principalement du joueur brésilien repose sur un deal gagnant – gagnant.

Photo : China Photo/Getty Images

Au début du mois précédent l’arrivée de Rudnei, le club de la ville d’Ürümqi, métropole d'environ 3 millions d'habitants qui est au pied des montagnes enneigées de Tianshan, a dévoilé ses plans pour révolutionner le football chinois. Sun Aijun le président du club de Xinjiang Tianshan a déclaré qu'il est convaincu que les joueurs brésiliens propulseront au sommet la China League One, la Chinese Super League et qu'ils transformeront le niveau du football local. « Je pense que le Brésil peut aider le football chinois, plus que les autres pays, il suffit de regarder mon équipe, nous avons trois brésiliens » a ainsi déclaré le magnat chinois, qui a d'ores et déjà prévu un voyage pour l'Amérique du Sud cette année. Interrogé pour évoquer son amour envers les joueurs brésiliens le président Sun Aijun répond avec un léger sourire : « Pour autant que je sache, le Brésil a une population de 200 millions d'habitants, 100 millions d'entre eux jouent au football et les 100 autres millions sont des managers de football.  Tout le monde aime le football au Brésil. »

Arrivé en Chine en 2004, à l’époque où il n’y avait que trois brésiliens en Chine, Vicente mesure les progrès récents : « C'était difficile, il n'y avait pratiquement rien. Aujourd'hui, il y a plus de 30 brésiliens si on mélange les deux divisions. Dieu merci le marché est en pleine croissance et il y aura sans doute encore plus de brésiliens pour donner une nouvelle impulsion au football chinois ». Après un match de championnat en plein mois de novembre le joueur brésilien avait jeté son maillot, short, ses chaussettes et ses crampons dans la foule de supporters, son président en garde de bons souvenirs « Tout ce qu'il a gardé c'était ses sous-vêtements, il faisait très froid ! Avez-vous vu ça ici auparavant ? Tout le monde l'aime. La passion brésilienne est une véritable source d'inspiration pour nous. »

Photo : STR/AFP/Getty Images

Le footballeur brésilien est ainsi recherché pour sa capacité à apporter cette touche de mythologie, réveiller les imaginaires des actuels et futurs passionnés de foot. Mais pas que. Vicente estime que les joueurs locaux apprendront énormément du talent de ces nouveaux arrivants : « Rien n'est comparable à la technique brésilienne, la ruse, je pense que cela est vraiment précieux pour les joueurs chinois. Ils sont rapides, certains d'entre eux sont habiles, mais il y a encore des choses qu’ils ont besoin d'apprendre pour évoluer au haut niveau. » Ce volet de l’apprentissage sauce carioca est illustré par la présence au pays de nombreuses écoles de foot ouvertes par certaines stars. C’est le cas de Ronaldo. Le 17 novembre dernier l’ancienne star planétaire était à Beijing pour l’ouverture d’une des écoles de football qu’il compte faire naître au pays (article en anglais). Les « Ronaldo Academy » ont pour but de prendre en charge l’éducation footballistiques de jeunes chinois âgés de 6 à 18 ans. « Je suis prêt à aider la Chine à réaliser son rêve de football. Je pense que la Chine peut être un acteur majeur à l’échelle mondiale un jour » a ainsi déclaré l’idole brésilienne. « Outre l’aspect financier, la raison principale à ma venue ici repose sur le fait qu’il y a de nombreux fans de foot et de joueurs dans ce pays et que le gouvernement chinois se focalise désormais sur le développement de ce football, » rajoute le champion du monde (article en anglais). Derrière les paillettes, le footballeur brésilien est donc venu travailler dans l’ombre.

Reste une inconnue, la capacité d’adaptation des joueurs brésiliens à ce nouvel environnement. Diego Tardelli, l'avant-centre qui vit dans la capitale du Shandong, à Jinan, se plaignait des options de loisirs limitées dans sa nouvelle maison « Il n'y a que deux centres commerciaux, c'est tout » et a admis être encore dérouté par certains aspects de la vie en Chine. Rudnei, qui vit dans un hôtel trois étoiles situé dans le centre-ville de Ürümqi, n’a pas caché sa nervosité à l’idée de passer la frontière occidentale de la Chine après avoir lu sur la situation de la sécurité de la région, célèbre pour les émeutes ethniques et ses attentats meurtriers (à l’image de celui de mai 2014 faisant 43 morts et 90 blessés). « J'ai vu des chars dans la rue, à proximité du centre commercial, près de l'hôtel où nous sommes. » Fort heureusement pour lui, le football permet d’oublier ces peurs. Dans le Ninomiya Stadium, les supporters des Léopards arborent déjà des drapeaux brésiliens et font tout ce qu’il faut pour que leurs stars venues d’ailleurs se sentent chez elles. Il en est de même dans l’ensemble des clubs du pays.

La passion du public chinois pour le football n'est pas chose nouvelle, même dans les plus basses divisions, elle est de plus en plus dévorante et ce sera sans nul doute un atout supplémentaire pour attirer les footballeurs étrangers et retenir ses brésiliens dans un championnat en plein développement et plein de promesses. S'ils y parviennent, le deal gagnant - gagnant prendra toute sa dimension.

Photo une : STR/AFP/Getty Images

JC Abeddou