L'Argentine est en délicatesse avec une cinquième place aux éliminatoires de la Coupe du monde et des soupçons de corruption qui pèsent sur la direction nouvellement nommée. Pour sa part, le Brésil est le premier pays qualifié pour la Coupe du monde en Russie, faisant le bonheur des supporters et de la presse. Tout va bien. Vraiment ? Alors que le Brésil s'imposait largement au Centenario face à l'Uruguay, Marco Polo Del Nero, président de la CBF, modifiait discrètement les statuts de la confédération.

La loi Profut

Le 4 août 2015, la loi Profut est promulguée par Dilma Rousseff après avoir été débattue au Sénat. La loi permet notamment, pour les clubs qui y adhèrent, une aide financière en échange d'un nouveau modèle de gestion, plus transparent. profutCette loi est soutenue par de nombreux clubs – Flamengo et Atlético-MG en tête – et a pour but de réduire la dette abyssale des clubs. Elle prévoit également une possibilité de relégation pour les clubs qui ne payent pas les salaires dans les temps et prévoit de limiter les droits à l'image concernant les joueurs. La loi modifie également l'élection du président de la CBF. Auparavant, les présidents de 27 fédérations et des 20 clubs de Série A brésilienne élisaient le président de la CBF, un système qui permettait aux fédérations, dépendantes de la CBF, de garder le pouvoir sur l'élection du président. La loi Profut indique que les présidents des clubs de Série B participent désormais également à cette élection. Avec 40 voix contre 27, les clubs deviennent majoritaires. La loi Profut ajoute également une limite de mandat, avec un seul mandat renouvelable. Les jours de Marco Polo Del Nero sont comptés, la CBF refuse de modifier ses statuts et tente de faire annuler la loi. Sans succès. Les statuts de la CBF seront modifiés seulement le 23 mars 2017, afin de se plier à la loi. En apparence.

L'élection de Nunes

En mai 2015, José Maria Marin, ancien président de la CBF, est arrêté en Suisse et extradé aux États-Unis. La justice américaine annonce fin 2015 mener des investigations contre le président actuel de la CBF, Marco Polo Del Nero. Ses jours sont comptés. Sentant les menaces qui pèsent sur lui, Del Nero laisse son poste de président vacant. Selon les statuts de la CBF, son remplaçant est automatiquement le vice-président le plus âgé de tous les vice-présidents de la CBF. Problème, le remplaçant désigné est Delfim Peixoto, qui s'est opposé à Del Nero et prévoit de lutter contre la corruption au sein de la CBF.

Golpe, partie 1. Del Nero reste à son poste et José Maria Marin, depuis la Trump Tower où il est « incarcéré », renonce à son poste de vice-président de la CBF. Pour le remplacer, un seul candidat se présente, Antônio Carlos Nunes, ancien colonel pendant la dictature militaire et président de la petite fédération du Pará, et surtout, légèrement plus âgé que Delfim Peixoto. Le vice-président Peixoto dénonce la manœuvre auprès de la Justice de Rio, qui suspend un temps les élections avant de finalement les autoriser. Afin de respecter la loi, les présidents des clubs de Série B sont invités à voter, ce qui contredit les statuts de la CBF ! Si certains refusent de voter, comme Delfim Peixoto ou Eduardo Bandeira de Mello, président du Flamengo, le colonel Nunes est élu avec 44 voix sur 67 possibles. Nunes devient président par intérim de la CBF dans la foulée, puisque Del Nero lui laisse la place, même s'il reste le véritable patron (lire Le colonel Nunes nommé président en exercice de la CBF). Une fois le calme revenu, notamment du côté du Comité d'éthique de la FIFA qui tarde à mener ses investigations, Del Nero revient à son poste de président en avril 2016. Président de la fédération de Santa Catarina, Delfim Peixoto trouve la mort dans l'avion qui transportait l'équipe de Chapecoense vers Medellín (lire Tragédie de Chapecoense : 10 portraits pour 71 hommages). Après le drame, Del Nero avait insisté pour que le match de la dernière journée du Brasileirão, quatre jours plus tard, ait lieu malgré le refus de jouer de Chapecoense et de l'Atlético-MG. Il avait notamment dit à l'un des rares dirigeants du club encore en vie que ce match devait se jouer, même si l'équipe était décimée. « Vous avez les joueurs. Vous avez les jeunes, vous avez les joueurs qui restent. Peu importe. Ça doit être une grande fête. Chapecó et Chapecoense le méritent. » Dans le même temps, Del Nero refusait de se rendre en Colombie. En effet, il ne quitte plus le Brésil, de peur d'être arrêté et extradé vers les États-Unis, à l'image de son ami et prédécesseur, le cleptomane José Maria Marin.

Les commissions parlementaires : un échec cuisant

Dans la lignée des João Havelange, Ricardo Teixeira et José Maria Marin (lire 60 ans de corruption : la CBF ou la fraude institutionnelle), Marco Polo Del Nero devait faire face aux commissions parlementaires menées par le Sénat et la Chambre des députés. Ces commissions d'enquête devaient faire la lumière sur les agissements de la CBF. Celle de la Chambre des députés est menée par son président Eduardo Cunha, depuis emprisonné et condamné à quinze ans de prison pour corruption et blanchiment d'argent. Cette CPI, nommée Mafia do futebol, devait s’intéresser aux mouvements de la CBF et des clubs brésiliens. Mais les députés sont liés à Eduardo Cunha et sont bien plus intéressés par la procédure d'impeachment contre Dilma Rousseff ainsi que par la défense d'Eduardo Cunha, impliqué dans le scandale Lava Jato. Des documents en Suisse et aux États-Unis ne sont pas récupérés et Ricardo Teixeira et Marco Polo Del Nero ne passent jamais devant la commission. Le successeur d'Eduardo Cunha à la présidence de la Chambre des députés annonce en juillet 2016 la fin de la commission, sans qu'aucun rapport ne soit publié. Car la CBF est liée à une partie des députés, qui profitent de nombreux avantages. Un mois plus tôt, pour la Copa América aux États-Unis, Marco Polo Del Nero offre à Roberto Góes, président de la fédération de football de l’État d'Amapá, billet d'avion en première classe, hôtel luxueux, places pour les matchs et accès aux entraînements de la Seleção. Sauf que Roberto Góes est également député et membre de la commission d'enquête qui vise la CBF ! Pourtant il n'y a pas de conflit d'intérêt selon Roberto Góes, également cousin de Waldez Góes, ancien gouverneur de l'Amapá, emprisonné en 2010 pour détournement de fonds publics destinés à l'éducation. Depuis, Waldez Góes a été réélu gouverneur de l’État d'Amapá…

La commission d'enquête du Sénat, intitulée CPI do Futebol, a pour but d'examiner les contrats pour noter des irrégularités concernant les matchs de la Seleção, les compétitions organisées par la CBF ainsi que l'organisation de la Coupe des confédérations 2013 et de la Coupe du monde 2014. Cette commission est présidée par l'ancien joueur Romário, devenu sénateur et qui lutte contre la corruption. Le sénateur Romero Jucá est chargé du rapport d'enquête. En mars 2016, un Romário très offensif attaque le colonel Nunes, alors président par intérim de la CBF. Après avoir refusé trois fois de se présenter devant la commission, le colonel Nunes se voit forcé par la justice de se rendre devant la CPI, pour répondre aux questions de Romário. Ou plutôt écouter les questions. Nunes se contente d'invoquer son droit à ne pas témoigner contre lui-même et laisse les questions sans la moindre réponse, sauf pour réaffirmer son rôle de président. « Je suis le président, celui qui commande, c'est moi. Personne ne va plus commander que le président. Nous devons travailler en accord. Parce que je viens d'une petite fédération du Nord du pays, beaucoup pensent que je ne sais pas commander. Mais j'ai appris à commander en tant que colonel de la police militaire. » (lire Nunes devant la CPI) Mais le vrai président reste Marco Polo Del Noro. Et à force d'acharnement, Romário obtient l'autorisation d'interroger Marco Polo Del Nero et Ricardo Teixeira, tous deux visés par la justice américaine pour corruption. Une autorisation finalement refusée par Renan Calheiros, président du Sénat, avançant un vote irrégulier, car seuls les sénateurs présents lors de la session de la CPI ont voté… Quatre jours plus tard, Marco Polo Del Nero reprenait son poste de président de la CBF. Golpe, partie 2. En attendant un nouveau vote, les investigations sont en effet suspendues. Deux mois plus tard, aucun vote n'a été organisé et la fin de la CPI approche. Romário saisit alors le Tribunal suprême (STF) pour relancer les investigations. Le STF, qui condamne en mai 2016 le député et président de fédération,goes Roberto Góes, pour détournement de fonds publics, prolonge les investigations jusqu'en août 2016. Roberto Góes, membre de la commission parlementaire de la Chambre des députés, est un soutien de Marco Polo Del Nero et apparaît sur une photo aux côtés de Gianni Infantino, président de la FIFA. Autre soutien de Del Nero, Milton Lyra, proche du président du Sénat, qui prend ensuite ses distances lorsque Lyra est inculpé dans le cadre de l'affaire Lava Jato. Renan Calheiros quitte pour sa part la présidence du Sénat en décembre 2016 après des soupçons de corruption de plus en plus évidents.

Si les investigations se poursuivent au sein du Sénat, Marco Polo Del Nero ne passera plus devant la commission. Il aura fait face aux questions de Romário une seule fois. En décembre 2015, Del Nero (74 ans à l'époque) avouait avoir donné plus d'un million de reais en liquide à deux de ses maîtresses, les mannequins Carolina Galan (31 ans) et Carolina Muniz Ferreira (29 ans). Et c'est tout… Dès mai 2016, le rapporteur de la commission, Romero Jucá termine son rapport, bien que la commission se poursuive jusqu'au mois d'août. Dans la foulée, Romero Jucá est nommé par le Président de la République, Michel Temer, ministre de la planification, mais doit quitter son poste dix jours plus tard, après la révélation d'écoutes téléphoniques compromettantes. En décembre 2016, un ex-employé d'Odebrecht accuse Romero Jucá et Renan Calheiros d'avoir touché plus de 20 millions de reais en pot-de-vin afin de favoriser l'entreprise. Malgré les accusations, Romero Jucá a été récemment nommé représentant du gouvernement au Sénat…

Dans un pays gangrené par la corruption, les affaires sales du football passent au second plan, surtout en 2016 où les députés et sénateurs étaient bien plus préoccupés par la mise à l'écart de Dilma Rousseff que par le fait de mettre en cause des amis du monde du football. Le rapport de Romero Jucá sur les travaux de la commission est composé de 380 pages avec un ensemble de suggestions sur la formation des jeunes, des entraîneurs, le calendrier, les différentes compétitions organisées par la CBF, mais aussi sur l'identification des supporters qui se rendent au stade. En revanche, le rapport précise qu'il y a des preuves de corruption au sein de la CBF, mais que ce n'est pas à la commission de se pencher sur le cas, et plutôt au Ministère public et à la police fédérale… Golpe, partie 3. Aucun nom n'est cité, ce qui pousse Romário à proposer son propre texte. Plus de 1 200 pages dans lesquelles Romário accuse de corruption les trois derniers présidents de la CBF, mais aussi les anciens dirigeants sportifs José Hawilla et Kleber Leite. Ronaldo est également égratigné pour son passage au comité d'organisation de la Coupe du monde. Si le texte a été refusé par le Sénat avec 9 voix contre et 0 pour, il sera envoyé au Ministère public et au Comité d'éthique de la FIFA. Romário promet également de publier un livre sur les travaux de la commission parlementaire. À la CBF, on célèbre le « tetra », l'ancien président de la CBF, Ricardo Teixeira, ayant été visé au début des années 2000 par deux commissions parlementaires, là aussi sans aucun résultat probant.

La CBF, forcée de s'adapter à la loi

Revenons à la loi Profut. La loi oblige à donner le droit de vote aux clubs de Série B, faisant passer la majorité aux clubs pour l'élection du président de la CBF (les voix passant de 20 contre 27 à 40 contre 27). Historiquement, les présidents des fédérations sont liés au président de la CBF. La CBF donne chaque mois 50 000 reais à chaque fédération, et certaines petites fédérations dépendent directement de cet argent, sans compter les nombreux arrangements possibles entre amis. Le système de l'élection permettait ainsi aux présidents des fédérations de s'accorder sur un candidat, permettant la préservation du système. Avec 40 voix pour les clubs, le système est menacé. Les jours de Marco Polo Del Nero sont comptés. Le 23 mars 2017, peu avant la rencontre entre le Brésil et l'Uruguay, les présidents des fédérations se réunissent au siège de la CBF – sans les présidents des clubs de Série A et Série B – afin de modifier les statuts de la CBF. Désormais, chaque vote d'un président d'une fédération d’État compte triple. Les présidents de clubs de Série A ont un vote compte double et ceux de Série B, une simple voix. Auparavant, avec 27 voix sur 67 au total, les présidents des fédérations avaient 40,2 % des voix. Désormais, ils ont 81 voix (27x3) contre 60 voix (20x2 + 20) pour les clubs, soit 57,4 % des voix… Golpe, partie 4.

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La manœuvre est dénoncée par Eduardo Bandeira de Mello, président du Flamengo. « Je n'ai pas été prévenu de la réunion, je l'ai su par la presse. Ils se sont basés sur une interprétation de la loi Profut, selon laquelle les clubs doivent seulement participer aux assemblées électives et non aux assemblées administratives. Cette dernière a été une assemblée administrative qui a changé le format de l'élection du président de la CBF. » Il critique également le secrétaire général de la CBF, Walter Feldman. « Feldman est mon ami, j'ai le plus grand respect pour lui, pour son histoire, il a toujours été lié à des politiques responsables mais aujourd'hui, sincèrement, je ne comprends pas comment il se considère démocratique en donnant plus de pouvoir à des entités qui représentent des ligues et des clubs peu importants. » L'élection des présidents des fédérations d’État pose également des problèmes. « À Rio de Janeiro, quatre clubs représentent quasiment 100 % des supporters, mais ils ne représentent même pas 10 % de l'assemblée qui élit les dirigeants de la FERJ (la fédération de l’État de Rio de Janeiro, NDLR). Les personnes qui bénéficient de cette structure du pouvoir ont intérêt à ce que le système soit conservé. » Le député et rapporteur de la loi Profut, Otávio Leite, critique également le mouvement de la CBF, parlant d'un « golpe » et souhaite faire annuler la mesure. Autre opposant à cette mesure de la CBF, le journaliste Galvão Bueno, rappelant qu'en 1991, Ricardo Teixeira avait avancé les élections le jour d'un match décisif de Copa América entre le Brésil et l’Équateur, tout en allongeant la durée du mandat. L'ancien joueur et désormais consultant sportif, Casagrande, fait un parallèle entre les dirigeants de la CBF et les hommes politiques. « Ce n'est pas une surprise pour moi, c'est le modèle de l'école politique brésilienne. Ce n'est pas une surprise que la CBF attende le moment où tout le monde regarde ailleurs pour s'assurer un meilleur vote. À Brasília, ils font la même chose, ils prennent des mesures pendant le carnaval, ils ont même utilisé la tragédie de la Chapecoense pour faire un vote nocturne. Marco Polo Del Nero fait ce que les politiques font. » En effet, les députés avaient profité du chaos suite à l'accident pour changer complètement un texte concernant la lutte contre la corruption.

Autre mesure prise par la CBF lors de cette réunion entre les présidents de fédérations, la nécessité d'avoir le soutien de huit fédérations et de cinq clubs pour se présenter à l'élection de la présidence de la CBF, ce qui rend quasiment impossible une candidature dissidente. Del Nero devrait être le seul candidat à la prochaine élection, en 2019. Se rappelant de la quasi-accession à la présidence de l'opposant Delfim Peixoto, la CBF change également ses statuts dans le cas où le président de la CBF est forcé de quitte son poste. De nouvelles élections seront organisées dans le mois suivant, avec comme seuls candidats possibles, les huit vice-présidents de la CBF, évidemment tous liés à Del Nero. Et la limite d'un seul mandat renouvelable pour le président de la CBF, rendue obligatoire par la loi ? Elle sera bien mise en place, mais seulement en 2019. Ainsi, Del Nero, élu en 2015, pourra se présenter en 2019 mais également en 2023 pour terminer son mandat en 2027. Del Nero, toujours membre du Comité exécutif de la FIFA malgré une enquête interne le visant et son refus de quitter le Brésil, aura alors 86 ans. Autant dire que Marco Polo Del Nero a encore de beaux jours devant lui.

 

Marcelin Chamoin
Marcelin Chamoin
Passionné par le foot brésilien depuis mes six ans. Mon cœur est rouge et noir, ma raison est jaune et verte.