Il y a huit jours, l’Universidad de Chile décrochait le titre chilien (voir Chili : la U au bout du suspense). Lucarne Opposée vous propose aujourd’hui non pas un inside comme vous en avez l’habitude mais un témoignage. Celui de Paola Lazcano qui, présente dans l’Estadio Nacional le jour du titre, vous démontre que finalement la passion pour un club est quelque chose d'innée.

Quand il s'agit du football, elle le vit depuis presque toujours. Depuis qu'elle est une petite fille, elle allait jusqu'à écouter trois matchs à la fois avec une radio distincte dans toute la maison. Cette petite fille, c'est moi. A la base, aucune équipe ne me plaisait spécialement, je ressentais seulement de la sympathie pour le club qui représentait la ville originaire de mes parents. L'unique chose que j'ai toujours su, c'était bel et bien que j'ai toujours détesté profondément le plus grand rival, Colo-Colo.

Adolescente j'allais au stade le plus proche de chez moi. Cela me plaisait de voir gagner l'équipe locale, mais la vérité est que je n'ai jamais senti quelque chose de très fort et de très profond en moi.

Avec l'arrivée de notre démocratie imparfaite, beaucoup de jeunes, de manière consciente ou inconsciente, ont commencé à se sentir exclus par les politiques : Les Barras-Bravas ont proliféré. Celle de la « U », "Los de Abajo", n'a pas fait exception. Le mélange d'anarchie, de désordre, de joie, d'expression politique, mais surtout d'une passion démesurée avec laquelle ils ont créés ce sticker de la « U » que mon frère avait collé sur sa fenêtre quand j'étais petite fille, avait un sens : "mes deux amours".

Je me souviens de ce match qu'il a écoutait pendant 90 minutes dans lequel l'Universidad de Chile perdait 2-0 à la 80ème minute avant de finir par l'emporter 3-2. J'étais avec lui et quelque chose s'est passé ce jour-là, une fibre s'est détachée et j'ai senti qu'enfin je ressentais une passion pour une équipe. Sans m'en rendre forcément compte, j'ai commencé à écouter tous les matchs et me sentir concernée de plus en plus par sa magie. Ce n'était pas si facile, la « U » était une équipe qui à l'époque portait comme un fardeau plus de deux décennies sans titre de champion.

Après être entrée à l'université, et avec la proximité du stade mais aussi beaucoup de compagnons qui étaient fanatiques, j'ai commencé à être de plus en plus souvent au stade : la passion était déclarée et celle-ci a couronné l'année 94 de l'obtention du titre après 25 ans de disette. J'ai pleuré, et encore pleuré comme si j'avais aussi attendu tout ce temps pour voir l'équipe lever la coupe.

Les championnats suivants obtenus par la U ont toujours été naturellement célébrés, mais celui de 1994 surpassait tous les autres, même la Copa Sudamericana, dont, signe du destin faisant que j’étais alors au Brésil, je n'ai pas pu voir le match retour qui s'est joué à Santiago. Je me rappelle avoir écouté les dernières minutes à la radio, quand la « U » levait déjà la coupe. Quelques championnats en plus, beaucoup de joie, mais 1994 continuait d'être le plus émouvant, le plus frappant dans ma vie de supportrice.

Cette année, après beaucoup de saisons avec l'une des « U » les plus capé de l'histoire, ce championnat nous laissait espérer qu'il nous apporterait de nouvelles joies. Celui-ci avait le goût d'être l'un des plus serrés de ces dernières décennies mais encore mieux : une lutte point par point avec Colo-Colo, l'éternel rival. La « U », Colo-Colo et les Wanderers de Valparaiso sont arrivés avec pratiquement les mêmes options au dernier match. Si la « U » gagnait et que Colo-Colo faisait de même, cela se terminerait avec un match de desempate. Si la « U » faisait match nul ou perdait, le titre se jouait entre les Wanderers et Colo-Colo.

J'ai acheté les places pour ce match pour moi et pour un ami avec qui nous allons toujours au stade. Mon beau-père, Charles, le troisième dans ce groupe, s'est joint à nous en dernière minute, mais par un concours de circonstances, nous étions tous les trois séparés dans le stade. Charles a vécu cette « finale » avec les dents serrées, sans pouvoir exprimer à personne ce qu'il ressentait. Avant la rencontre, à la maison, il me disait : "Tu penses que l'on va vivre une nouvelle désillusion ? Même si je sais que notre équipe est la plus grande du pays, l'angoisse est permanente… Il nous manque seulement un peu quelque chose, et je pense qu'il arrivera dans les ultime minutes…" Je ne sais pas si la chance arrive dans les ultimes minutes, mais il semble que nous, supporters de la « U », sommes habitués à cela, à ce que la chance soit notre dernière alliée même si nous avons tout bien fait durant ce championnat, que cette chance ne se manifesterait qu'au dernier moment… Mais peut-être est-ce ce qui fait toute la frustration des 90 minutes qui se termine dans ce que bien mon beau-père décrivait comme : "l'émotion, l'émotion, l'émotion". Oui, car pour moi ce fut le même sentiment, et comme lors cette année lointaine de 1994, encore une fois, j'ai pleuré.

Paola Lazcano - Traduction Bastien Poupat pour Lucarne-Opposée

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.