Samedi avait lieu le 289e match de championnat entre Santa Fe et Millonarios, les deux équipes les plus importantes de la capitale colombienne. Ambiance de ce clásico sur fond de domination territoriale.

Ici à Bogotá, comme dans les plus grandes villes d'Amérique latine, un seul club ne peut pas régner. Depuis le début du football professionnel colombien, deux clubs se disputent le titre du club la plus important de la ville, Millonarios et Santa Fe. Même si les noms pourraient laisser penser le contraire, pas d'opposition sociale entre d'un côté le club du peuple et d'un autre côté le club des riches. Pas d'opposition géographique non plus, on retrouve des supporters des deux équipes un peu partout dans la ville, même si le club le plus populaire est très certainement Millonarios. Historiquement cet affrontement oppose les deux premiers champions de l'histoire du football professionnel colombien, Santa Fe en 1948 et Millonarios en 1949 et le premier clásico capitalino de l'ère professionnelle s'est joué le 19 septembre 1948, Santa Fe s'était imposé 5-3. Pour ce qui est des titres de champion, Millos en compte en 14 contre 9 pour son rival. Enfin historiquement même chose, ce classique sourit plus aux « azules » qui se sont imposés 115 fois en championnat, les rouges et blanc de Santa Fe ne comptent eux que 74 victoires. Voilà pour l'histoire. Pour le décor, comme à Rome, les deux équipes se partagent le stade Nemesio Camacho El Campín, ou plus simplement « El Campín » et ses 36 343 places. Au passage, le stade est en plein milieu des immeubles, au centre de la ville.

Autour du stade on voit rapidement que ce match n'est pas comme les autres. Dispositif policier important. En plus des traditionnels gilets jaune, sauce DDE, sont présents des policiers anti-émeutes avec casques, boucliers et matraques sont là pour veiller. Pourtant surprise, pas d'animosité aux alentours du Campin, les maillots bleus et rouges se croisent sans provocation. Tout juste quelques supporters de Santa Fe, peu virulents, qui ont essayé d'entrer par l'entrée réservée aux supporters visiteurs du soir de Millonarios et refoulés à l'entrée de la tribune. Calme peut être dû aux pluies importantes qui tombent sur la Colombie depuis plusieurs semaines et qui ont endommagé les pelouses, comme à Medellin pour le match DIM/River Plate en Libertadores ou même ici puisque le match Millos/La Equidad avait été reporté. Une brigade policière à cheval est aussi chargée de veiller à ce qu'il n'y ait pas d'incident à l'entrée du stade. Après les trois fouilles, tarif habituel ici même pour les petits matches, direction les travées du Campin pour ne pas prendre l'eau. Avant d'y pénétrer, passage obligatoire pour les supporters de Santa Fe présents, la photo avec Monaguillo, le lion qui est la mascotte de Santa Fe depuis le titre de 1975. D'ailleurs si vous voulez savoir pourquoi Santa Fe a choisi un lion, je vous invite à lire cet article (en espagnol). En bon pays de football qui se respecte pas un « footix » n'est présent, c'est à dire qu'on ne voit rien d'autre que des maillots des deux équipes. On croise tout juste un bonnet d'Arsenal. Arrivé à la bonne porte, on ne regarde pas le numéro attribué mais on explique que comme on est près de l'espace réservé aux fans de Millionarios c'est donc : « à gauche les supporters de Millos, à droite les supporters de Santa Fe ». Départ à gauche, collé donc aux supporters de Millos.

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Arrivé dans le stade, trois choses sont frappantes. La première c'est le décor. La capitale colombienne est à 2 600 m d'altitude dans les Andes, l'Est de la ville est d'ailleurs à flanc de montagne. Donc notre tribune occidentale offre normalement une superbe vue sur le massif montagneux. Mais là impossible de distinguer quoique ce soit. Les nuages gris au-dessus de nos têtes sont épais et donc aucune chance que la pluie s'arrête. La deuxième surprise c'est que la tribune visiteuse n'est pas pleine, presque personne dans la partie basse du virage réservé, malgré la victoire 3-0 dans le match il y a une semaine. La troisième surprise c'est de voir les trois-quart du stade avec des « capotas » espèce d'imperméables rouges et blanches et une banderole « nous ne célébrons pas des matches, nous célébrons des titres ». À l'entrée des joueurs, tifo sobre des supporters « cardinales » avec le logo du club et les deux derniers trophées majeurs du club, le titre et la Copa Sudamericana.

L'ambiance montre des deux côtés mais un chant va rassembler les deux équipes. Il faut savoir qu'avant chaque match de championnat ici, deux hymnes sont joués. Le premier est l'hymne national, et après il y a l'hymne de la ville, ou du département quand c'est une petite ville, qui reçoit. Si l'hymne national s'est joué dans un silence assez froid, le stade va reprendre en chœur l'hymne de la capitale. Hymne accompagné d'un geste par les supporters de Millos, le bras droit tendu, le pouce et l'index réunis formant un rond et les trois autres doigts tendus. « C'est le symbole fait au drapeau de Bogotá » me glisse un supporter. Quand je demande à Andres Bejarano, journaliste et supporter de Millos pourquoi l'hymne de la ville est plus chanté que l'hymne national il m'explique que « c'est par régionalisme, les supporters de Millos aiment Bogotá plus que tout ». Sur le geste il me dit « ça a été critiqué parce que quelqu'un a écrit un article qui disait que les supporters faisaient un salut nazi quand ils entendaient l'hymne de Bogotá ». Si le geste peut effectivement rappeler les heures les plus sombres de l'histoire européenne, faire le raccourci entre les deux serait totalement dénué de sens.

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Sur le terrain, l'ouverture du score rapide des visiteurs a donné un peu plus d'énergie aux ultras vêtues de bleu, en minorité mais qui étaient les plus bruyants, au moins pendant le premier tiers du match. Peu à peu et malgré la pluie battante et une température autour de 10 degrés, certains n'ont même pas hésité à se mettre torse nu. Ils n'ont pas été refroidi par le scénario du match qui a vu le vainqueur de la Copa Sudamericana 2015 revenir au score en première période avant de passer devant à une demi-heure de la fin. Pour se réchauffer quelques chants au passage pour la police qui les encadrait. Classique. Mais sans véritable animosité, sauf à quelques minutes de la mi-temps où une partie des ultras de Millos a essayé de forcer le barrage policier pour aller en découdre avec les supporters de Santa Fe en tribune orientale. Ces mêmes supporters qui pendant la pause ont envoyé un projectile vers cette même tribune. Ces deux moments ont été les seuls un peu tendus pendant la rencontre. Le supporter de Santa Fe qui était dans la même tribune que nous n'a même pas été inquiété quand il a crié « golazoooo » après le deuxième but de son équipe. Quand on demande à Andres pourquoi la rivalité entre les deux équipes n'est pas plus tendue il résume « la rivalité est importante pour les deux parce que c'est le rival de la ville donc c'est toujours une partie différente » avant d'ajouter « pour les supporters de Millos c'est un match important, mais le plus important est contre le Nacional. Parce qu'il y a une vraie rivalité entre les deux villes (Bogotá et Medellín) et ça se voit aussi culturellement. Et aussi parce que ce sont les deux équipes qui ont le plus de titres en championnat. » Même son de cloche chez le supporter de Santa Fe croisé à la sortie du stade « c'était important pour nous aujourd'hui parce qu'on avait pris 3-0 la semaine dernière et ça faisait longtemps qu'on ne les avait pas battus ». La dernière victoire de Santa Fe en Liga Aguila remontait au 13 septembre 2014 et une victoire 4-1. perez

Après le match, la police avait fermé la porte par laquelle notre partie était entrée pour faire sortir ensemble la partie des supporters de Millos et une partie des supporters de Santa Fe. Résultat une sortie un peu difficile pour les supporters « embajadores » qui se sont bien fait chambrer par des supporters rouges et blancs qui montraient et embrassaient l'écusson de Santa Fe. Provocation qui a donné lieu à un petit moment de tension puisqu'un supporter a voulu traverser les quelques sièges les séparant avant de lâcher un « viens sur la 40 (la rue derrière le stade) ». Même chose dans les travées du stade en sortant, quelques chants pour accompagner la sortie des déçus mais rien de bien dangereux pour la sécurité. À la sortie du stade, la tentation de demander si Santa Fe ne fait pas de complexe de supériorité est grande, sobrement un supporter me dit « non Millonarios a été un grand club, ils ont eu de grandes périodes, même si récemment ça se passe mieux pour nous, ils restent plus titrés que nous. » À nuancer peut-être puisque la réponse pourrait être différente dans la bouche des supporters les plus virulents, ceux des barras. Pour résumer cette rivalité, réelle mais pas excessive Andres me glisse un « tu peux dire que pour les supporters de Millonarios le match le plus important est celui contre le Nacional, après vient celui contre Santa Fe et enfin contre l'América ». Ça tombe bien dans deux semaines le Campín reçoit le dernier vainqueur de la Libertadores. Ça c'est une autre histoire, on vous la racontera plus tard.

 

 

 

 

Bonus : Pour en savoir encore plus sur cette rivalité, je vous invite à regarder ce reportage d'ESPN (en espagnol).

Pierre Gerbeaud
Pierre Gerbeaud
Rédacteur Colombie pour Lucarne Opposée