Résultats continentaux plus que décevants, stade en piteux états, deux supporters morts et grève des joueurs. Cette fin d'année 2019 sera à marquer d'une pierre noire pour la Liga Águila.

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Deux clubs seulement en Libertadores, la faute aux deux clubs Medellín qui n'ont pas réussi à sortir des qualifications. Junior dernier de sa poule en perdant deux fois contre Melgar. Repêché en Sudamericana le Deportes Tolima a sauté dès les seizièmes de finale, comme trois autres clubs, et le modeste La Equidad s'est retrouvé seul rescapé et a terminé son aventure en quarts de finale. À titre de comparaison, il y avait encore trois équipes colombiennes en 2018 à ce même stade de la compétition et on avait eu une demi-finale entre Santa Fe et Junior. C'est d'ailleurs la première fois depuis 2011 qu'on ne retrouve pas un club colombien dans le dernier carré d'une compétition continentale.

Crise des stades

Ce piètre bilan sportif est surtout entaché de divers évènements hors terrain. À commencer par les stades où pour la plupart d'entre eux l'éclairage est défaillant. Inauguré en 2018 pour los Juegos Centroamericanos y del Caribe, la nouvelle enceinte de Santa Marta a déjà fait parler d'elle. Fin septembre lors du match opposant Unión Magdalena à Junior, un orage a éclaté et des trombes d'eau se sont abattues pendant plusieurs minutes. Si la pelouse s'est retrouvée gorgée d'eau et a donc entrainé une interruption du match, l'arbitre s'est vu par la suite dans l'obligation de reporter tout simplement le match, le stade n'ayant pas de système de drainage. Pire, après avoir formé d'immenses flaques, l'eau s'est engouffrée dans les couloirs et vestiaires du stade et un crapaud a même été aperçu. Commencé dans une belle fête le dimanche après-midi la deuxième période de ce match s'est donc jouée un lundi matin à neuf heures dans un stade désert et sur une pelouse indigne.

Plus au sud à Neiva dans un match crucial pour le maintien entre l'Atlético Huila et Envigado le match a été interrompu près d'une heure. Alors qu'on jouait depuis une demi-heure un des pilonnes a lâché. La raison ? Le vol d'un câble de près de six mètres, le tout coupé à la machette … Rapidement au courant de l'information la DIMAYOR a communiqué pour demander une enquête. Enfin, initialement prévu pour accueillir des matches de Copa América l'été prochain le Pascual Guerrero pourrait être éjecté. C'est ce qu'a laissé sous-entendre Ramón Jesurún le président de la Fédération Colombienne de Football. Le dirigent a déclaré : « Cali nous préoccupe beaucoup. C'est une ville qui doit respecter ses engagements, mais pour le moment nous n'avons pas vu d'actions immédiates » avant d'ajouter « on n'exclut pas d'ajouter une ou deux villes (pour le moment Bogotá, Cali, Medellín et Barranquilla sont prévues comme ville hôte) qui peuvent être aptes selon le tirage au sort. Pour le moment, ce serait les villes hôtes du tournoi préolympique dans la région du café et Bucaramanga ». En cause notamment l'état de la pelouse et surtout l'illumination. À plusieurs reprises les projecteurs ont sauté et entrainé une interruption du match.

Chaos en tribunes

Bien plus grave, deux supporters ont trouvé la mort en l'espace de deux semaines. Le premier à Bucaramanga lors du match opposant l’Atlético Bucaramanga à Envigado. Un match marqué par des affrontements violents entre « supporters » et policiers. Le supporter n'est pas décédé lors de ces affrontements, il est mort pendant le match où il n'a pas respecté une zone interdite. Sans tenir compte des interdictions données par les policiers, il aurait glissé et chuté de plus de dix mètres selon les premiers éléments de l'enquête. Dramatique, la situation aurait pu être aggravée donc en fin de match lorsque des gens ont voulu rentrer sur le terrain après le troisième but d'Envigado et donc en découdre avec la police à coups de bâton et d'armes blanches blessant dix personnes chez les forces de l'ordre.

Le deuxième mort date du dernier week-end, et cette fois dans des circonstances bien plus violentes. Après le match entre Millonarios et América, classique du football colombien (victoire de la Mecha 2-1 sur la pelouse de son rival), Yeison Arley Garzón, étudiant en architecture de 28 ans, attendait le bus pour rentrer chez lui avec ses amis et sa famille. Selon le journal colombien El Tiempo qui relate les faits, un bus est arrivé, dix supporters de l'América ont commencé à courser Yeison et ses quatre accompagnants, Yeison est tombé, il a été poignardé par quatre personnes. Gravement blessé il a succombé de ses blessures à l'hôpital. La police a rapidement interpellé les quatre suspects âgés entre 18 et 21 ans et ils ont été placés en détention provisoire.

Sans conséquence aussi terrible, Medellín s'est également distingué ces dernières semaines pour des faits de violence. Contre Millonarios cette fois c'est un couteau militaire qui a été lancé sur les joueurs adverses alors qu'ils venaient célébrer un but. Mais avant, pendant un après-midi où le DIM et l'Atlético Nacional s'affrontaient, certains individus des deux clubs se sont livrés à une bataille à la machette dans une rue de la ville.

Chaos en coulisses

Si la situation est déjà critique sur et autour du rectangle vert, elle n’est pas meilleure en coulisse puisque l’on se prépare à une fin de saison totalement tronquée. Le 11 septembre dernier Acolfutpro, la Asociación Colombiana de Futbolistas Profesionales, le principal syndicat des joueurs professionnels, a envoyé une lettre au président de la FCF et de la DIMAYOR (l'entité qui gère le football professionnel) dans laquelle il expose douze requêtes dont notamment un allègement du calendrier (pour rappel un semestre de Liga Águila comporte vingt matches de phase régulière + six de quadrangulaire + une finale aller/retour, le tout à multiplier par deux comme il y a deux semestres) avec une période de récupération obligatoire de 72 heures entre chaque match, une garantie de la tenue du championnat féminin (qui a été compliquée et repoussée cette année) ainsi qu'une meilleure répartition des droits TV et une meilleure couverture sociale. Devant un premier refus de la part des dirigeants, les joueurs ont entamé une action de protestation en refusant de jouer les trente premières secondes de chaque match que ça soit dans l'élite ou à l'échelon inférieur. Des actes bien évidemment censuré par le diffuseur du championnat, Win Sports, dont la DIMAYOR est actionnaire. La FIFPro s'en est mêlée et a demandé à la FIFA d'intervenir et de jouer aux médiateurs. Légende du football colombien Carlos Valderrama a pris position en faveur des joueurs en demandant à ce que « les joueurs et joueuses aient les mêmes garanties, que notre voix soit écoutée pour que nos droits soient respectés et pour que le football soit de tous ».

Ce mardi une réunion a eu lieu entre les représentants et Ramón Jesurún, le président de la FCF, Jorge Vélez, président de la DIMAYOR ainsi que trois présidents de club, Enrique Camacho (Millonarios), Eduardo Méndez (Santa Fe) et Gabriel Camargo (Tolima). Aucun accord a été trouvé. Pire, Carlos González Puche, le représentant de Acolfutpro a clairement pointé l'attitude de ses interlocuteurs en disant « pour eux il n'y a pas de place pour donner son avis ni rien du tout. Leur position est « si vous avez des suggestions faites les ». Ils n'ont aucun intérêt à dialoguer, ils nous ont reçu à cause de la pression médiatique », avant d'ajouter, « Ils nous ont dit qu'il n'y a aucune chance de négocier les demandes ». Et maintenant ? Puche a terminé que « la prochaine étape sera décidée par les joueurs. Pour le moment on consulte les capitaines et on reçoit les informations, leur position. Les joueurs sont ceux qui vont décider ou non de jouer ». Une décision annoncée ce mercredi avec l’annonce du future cessation d’activité décidée par les joueurs, sans qu’une date ait été fixée alors que la journée qui arrive, avec notamment un classique entre l'América et l'Atlético Nacional était attendue. Une situation qui a fait réagir jusqu’au sommet de l’État puisque le Ministre du travail, Carlos Alberto Baena, a appelé dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux à une réunion tripartite la semaine prochaine insistant également sur la nécessité d’un dialogue social, un dialogue donc jusqu’ici refusé par les entités du football local. Autant dire que la pression est maximale, l’appel à la grève a été entériné, reste à savoir s’il sera plus efficace qu’en 2005, dernière crise en date. À l’époque, alors que la grève avait été votée par 82% des joueurs, une seule équipe avait suivi cet appel, l’América, qui avait envoyé ses jeunes à Cartagena. De ce groupe, un seul jouera ensuite plus de quinze matchs dans l’élite, certains disputant là leur seule rencontre avec le club.

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Pierre Gerbeaud
Pierre Gerbeaud
Rédacteur Colombie pour Lucarne Opposée