Les images du match opposant Llaneros FC et l’Unión Magdalena ont fait le tour du monde. Alors qui est responsable de ce qui s’est passé, qu’a fait la DIMAYOR et que risquent les clubs ? On fait le point.
Pour disputer la promotion en première division colombienne, l’étage inférieur était organisé en deux groupes de quatre, offrant l’accession à l’élite au seul vainqueur de chaque groupe. Leader du groupe B à deux journées de la fin, Fortaleza n’avait besoin que d’un point pour assurer la montée et une place en finale du championnat. Lors de l’avant-dernière journée, le jeune club de Bogotá (fondé en 2010) s’est incliné à trois minutes de la fin sur la pelouse de l’Unión Magdalena qui s’est ainsi relancé dans la course à la montée, revenant à deux points. Arrive donc la dernière journée, les deux matchs, Fortaleza/Bogotá FC et Llaneros FC/Unión Magdalena, se déroulent évidemment à la même heure. Si Fortaleza pensait avoir fait le plus dur en ouvrant le score, la lanterne rouge du groupe et qui n’a plus rien à jouer, marque par deux fois avant la pause. Le score n’évolue plus et Fortaleza doit attendre de voir ce qui se passe du côté de Villavicencio. À dix minutes de la fin, Llaneros ouvre le score et rejoint Fortaleza en tête, même si cette courte marge est insuffisante pour monter. L’affaire parait alors réglée, seul Unión Magdalena pouvant encore montrer s’il parvient à renverser le match durant ces dix ultimes minutes. C’est ce qu’il se passe : à la 94e minute, le club de Santa Marta marque une première fois dans une défense mal alignée et passive avant de récidiver une minute plus tard en inscrivant un but qui a depuis fait le tour de monde. Ce but permet donc à l’Unión Magdalena de prendre la première place du groupe et d’assurer la montée.
Une semaine très agitée
Dès le samedi soir les critiques se sont abattues avec plusieurs internationaux qui ont pris la parole. On peut citer Hugo Rodallega (Bahia) qui a lâché un « Quelle tristesse. Notre football est une putain de honte », ou Juan Guillermo Cuadrado et Matheus Uribe qui utilisent également les mots de « manque de respect » ou de « honte ».
https://twitter.com/hugol1120/status/1467260498517364739
https://twitter.com/matheus_uribe8/status/1467274360255881225
Sans faire la liste dans le détail très rapidement cette histoire est remontée jusqu’en haut de l’État. Iván Duque le président de la République, parle de « honte nationale » dès le lendemain et surtout sollicite son ministre pour que la vérité soit faite. Dans la semaine une réunion entre le fiscal general (l’équivalent du procureur de la nation), Fernando Jaramillo, le président de la DIMAYOR et Guillermo Herrera, le ministre du sport, a été organisée, réunion qui a débouché sur l’ouverture d’une enquête judiciaire avec selon les premiers éléments vingt-six preuves qui vont être étudiées. Une enquête au cours de laquelle six joueurs de Llaneros devaient être entendus dans un premier temps comme témoins, mais ceux-ci ne se sont pas présentés au plus grand regret du président de la DIMAYOR. À la place le club a envoyé ses avocats et en a profité pour critiquer vivement les propos de Fernando Jaramillo. Cette semaine, le président de la DIMAYOR, le président et l’entraineur de Fortalaza ainsi que le gardien de Llaneros ont été entendus dans le cadre de l’enquête. D’autres joueurs du club devraient finalement suivre dans les prochains jours. Conséquence immédiate de l’enquête, la finale de deuxième division entre les deux premiers de chaque groupe qui devait se jouer le samedi suivant a été suspendue. L’entraineur de Cortuluá a annoncé qu’il ne souhaite pas jouer cette finale.
La position des différents acteurs
Quatre acteurs principaux jouent cette pièce tragi-comique : la DIMAYOR, Llaneros, Unión Magdalena et le dindon de la farce, Fortaleza.
Côté DIMAYOR, la seule décision prise a été que la finale de deuxième division a été suspendue et ne devrait pas se jouer en 2021. Pour l’heure, les montées sont maintenues. Sauf si l’enquête montre que l’Unión Magdalena a acheté les joueurs de Llaneros, le club de Santa Marta jouera bien dans l’élite la saison prochaine. C’est en tout cas ce qui a été décidé lors de l’assemblée extraordinaire qui avait lieu vendredi dernier et au cours de laquelle le match Llaneros/Unión Magdalena n’a pas été abordé. Dans l’immédiat et malgré l’enquête pas de raison de suspendre la montée.
Le club de Llaneros, lui, communique à tout-va. Jorge Duván Mosquera, joueur présent sur la dernière action a été le premier à dégainer dans une vidéo sur Twitter où il s’adresse directement au président de la République avec un très sec « premièrement Monsieur le Président nous ne sommes pas corrompus, ça aurait été bien d’attaquer votre ministre comme vous nous avez attaqué », faisant ainsi référence à Karen Abudinen, ancienne ministre des technologies, de l’information et de la communication, qui a fait face à des accusions de corruption dans l’affaire du contrat avec Unión Temporal Centros Poblados (pour 280 millions de dollars environ), avant de continuer « deuxièmement, on reçoit des menaces, des intimidations, on ne peut pas sortir et troisièmement avec mes coéquipiers, on a peur pour nos vies, on ne veut pas sortir ».
À la suite de cela, le club a décidé d’attaquer le président de la DIMAYOR. Pour quelle raison ? Parce que selon le club de Villavicencio, Fernando Jaramillo aurait violé le secret de l’enquête et aurait rendu public des éléments du dossier quand il a annoncé que les joueurs convoqués ne s’étaient pas présentés. La ligne de défense du club est de dire que les joueurs étaient choqués et déçus après l’égalisation. On précise qu’il fallait encore deux buts pour que Llaneros passe devant tout le monde et valide sa montée.
L’Unión Magdalena cherche quant à lui à se laver les mains, le club de Santa Marta rejette toutes les accusations de match arrangé et s’interroge sur la décision de reporter la finale du championnat de deuxième division, le club cherchant à tout prix à jouer ce match, déclarant même « envoyez le FBI si besoin ». Enfin du côté de Fortaleza, si on a demandé l’annulation du score de ce match dans un premier temps, l’heure est désormais plus au fatalisme et à la résignation. Selon nos informations, le club devrait se porter partie civile dans une autre procédure pour réclamer des dommages et intérêts, la perte économique engendrée par la non-montée étant énorme. Si le club évoluera bien en deuxième division en 2022, on peut imaginer que si les conclusions de l’enquête ne sont pas favorables, le club fera appel de la décision devant les instances internationales.
Deux versions des faits
Si l’on ne s’aventurera pas à privilégier une des deux versions, impossible à savoir à l’instant T ce qu’il s’est passé. Deux hypothèses sont avancées, toutes deux à mettre donc au conditionnel et on prendra également soin de confirmer, et ce n’est pas illégal, que les deux clubs ont pu offrir une prime de match intéressante aux joueurs du Bogotá FC pour qu’ils jouent le jeu contre Fortaleza alors qu’ils étaient éliminés.
La première hypothèse incrimine aussi bien l’Unión Magdalena que Llaneros. Comme l’explique Juan Felipe Cadavid, journaliste pour Win Sports, chaine qui possède les droits de diffusion de tout le football professionnel en Colombie, les deux équipes se seraient arrangées avant le match pour que si l’une des deux équipes étaient en position de monter, les évènements « feraient » que cette équipe y parvienne. Un papier aurait circulé sur le banc, sans que tous les joueurs ne soient d’accord. Il y aurait ainsi eu en quelque sorte un pacte entre les deux présidents, comme on a pu le voir notamment avec l’Uruguay et l’Argentine en éliminatoires pour le Mondial 2002 ou plus récemment entre la Colombie et le Pérou pour la Coupe du Monde 2018. Un pacte bien évidemment très difficile à prouver, sachant que si cela venait à être confirmé, il serait difficilement envisageable d’annuler la montée de l’Unión Magdalena en plein milieu de championnat. Sur les images on peut voir effectivement que Carlos Hincapie donne un papier à un de ses coéquipiers lorsqu’il entre en jeu à la 88e minute.
La deuxième hypothèse est bien plus inquiétante parce qu’elle va au-delà de ce match et pourrait remettre en cause bien plus de matchs en Colombie. Cigarettes ou bières, le championnat colombien a été sponsorisé par les plus grands vices (on passe sur les clubs sponsorisés par les marques de rhum ou d’aguardiente). Depuis 2020, c’est un autre type de sponsor qui donne son nom aux championnats de première et de deuxième division ainsi qu’à la coupe nationale : une entreprise de paris en ligne nommée BetPlay. Si vous regardez un match à la télévision, vous vous rendrez très vite compte des proportions prises par les entreprises de paris sportifs sur le football local et du fléau que cela peut représenter : multiplication des entreprises, publicités omniprésentes à la télé, sponsor avec les côtes avant chaque match et chaque début de deuxième période. BetPlay a pris « possession » du football colombien en début 2020 en pleine pandémie. Sa présence a fait débat : selon nos informations, deux clubs se sont opposés à son arrivée alors que, le couteau sous la gorge car en très grande difficulté économique, certains clubs ont accepté en argumentant que BetPlay était une entreprise légale et ne devait être prise pour cible, les dégâts étant causés par les paris illégaux. Depuis, Genius Sports, l’entreprise chargée de contrôler les paris en temps réel, n’a jamais révélé la moindre anomalie même si la possibilité que les choses soient hors de contrôle existe. Le match entre Llaneros et l’Unión Magdalena a cependant relancé le débat. Comme l’explique Alejandro Pino Calad, directeur de Publimetro, après le but de Llaneros la victoire de l’Unión était côtée à 81 contre 1. Évidemment le scénario interroge, d’autant plus quand on sait qu’en deuxième division les salaires sont très souvent inférieurs à 1000€ et que de nombreux présidents de club s’interrogent sur le bienfondé d’un tel partenariat dans la mesure où si officiels (joueurs, dirigeants, arbitres) ne peuvent pas parier, leurs proches eux sont en mesure de le faire. À l’enquête désormais de faire la lumière sur cette affaire et de déterminer les motivations derrière celle-ci même si la version de fraude aux paris a été largement démentie par le président de la fédération colombienne, Ramón Jesurún, qui a affirmé : « Avec la CONMEBOL et la FIFA, la Fédération a embauché des entreprises qui permettent de contrôler et de voir s’il y a des mouvements suspects. Dans ce cas il y a eu une enquête et rien de suspect n’a été signalé ». Reste que Francisco Barbosa, le fiscal general, s’est saisi du dossier : « La Fiscalía general de la nation va se mettre à travailler sur les enquêtes autour des paris dans le football, phénomène mondial. Le sport et le football sont importants pour le pays. Mais il faut bien comprendre que les choses doivent se faire de manière propre ».
Le précédent
Au cours de notre enquête, nous avons cependant appris qu’un autre match impliquant Llaneros avait déjà été l’objet de quelques soupçons. Fortaleza était concerné, son président a par ailleurs confirmé cette histoire à ESPN, propos repris dans divers médias sud-américains et colombiens. En novembre 2020, Fortaleza reçoit Llaneros à lors de seizième et avant-dernière journée de la phase régulière. Les deux équipes sont à la lutte pour se qualifier pour les cuadrangulares et s’affrontent deux fois sur les deux dernières journées. Alors qu’il était en route vers le stade, Carlos Barato, le président de Fortaleza aurait reçu un appel anonyme l’informant que le match allait être truqué. Une fois arrivé au stade, il avait prévenu la fédération et le président de la DIMAYOR. Les deux instances avaient alors contacté la commission arbitrale, qui n’a rien pu faire. Au cours du match, l’arbitre accorde trois penalties à Llaneros qui s’impose 3-2 après avoir mené 3-0, les dirigeants de Fortaleza se plaignent, ils auraient eu pour réponse de la part de leurs homologues : « tranquille, au match retour, on aligne les remplaçants ». La semaine suivante, les deux équipes ne se départagent pas, Llaneros se qualifie. Pas Fortaleza, il lui manque trois points. Le président Carlos Barato déclare à ESPN avoir envoyé une réclamation et demandé les images du match. Jamais il ne les a reçues, la réponse étant « le match n’a pas été télévisé car quelque chose ne fonctionnait pas ». Impossible cependant de dire qui a manipulé le match de l’avant-dernière journée tant les suspects sont nombreux et peuvent concerner n’importe qui prenant part au match. Impossible également de dire s’il y a vraiment eu match truqué. Si le match n'a pas été diffusé, il a tout de même été filmé. Nous nous sommes procurés les images : si le premier penalty peut apparaître généreux – mais pas plus scandaleux que cela, le second existe. Quant au troisième, il n’a pas été filmé…
Et maintenant ?
La DIMAYOR a donc validé la montée du club de Santa Marta, même si l’enquête est en cours. Si l’enquête désigne des coupables, le plus probable est que ceux-ci soient rayés de la carte du football professionnel colombien, à minima pour une durée déterminée. Au-delà des images accablantes qui ont fait le tour du monde, notre enquête nous a permis également d’avoir accès à d’autres éléments compromettant que nous ne pouvons dévoiler ici mais qui suggèrent que des décisions fortes devront être prises pour 2022.
Reste que cette affaire enfonce davantage un football déjà malade. Du haut de la pyramide avec le président de la fédération condamné par la SIC (l’équivalent de la chambre de commerce et d’industrie) en bas avec les supporters (il y a encore eu un mort après le Tolima/Millonarios en quadrangulaires) ; en passant par les présidents de club qui se menacent y compris avec des armes, tout le football colombien qui est en souffrance. Ajoutez à cela les affaires de non-respect des droits sociaux qui visent seize clubs, un calendrier infernal et des clubs menacés de disparitions, les occasions de s’enflammer pour du football sont peu nombreuses. Un grand ménage doit être fait à tous les étages et tout doit être repensé de A à Z sous peine de prendre de plus en plus de retard au niveau continental. Cela passera par une enquête limpide et la condamnation des coupables. En attendant, Alexander Ospina, arbitre du désormais match de la honte, a été désigné arbitre de la finale retour de première division qui se déroule ce mercredi…
Avec Nicolas Cougot