Cinq ans après la demi-finale remportée par la Blanquirroja de Gareca, Chili et Pérou ouvrent la nouvelle édition, le Tigre ayant changé de camp. Un match toujours particulier et remplis d’histoires, dont la plus folle : celle qui a vu Pinochet s’en servir de prétexte pour espionner le voisin péruvien.

Après avoir décroché une place en Coupe du Monde dans des conditions plus que particulières, le Chili entame une nouvelle campagne de qualification mondiale qui doit le mener vers l’Argentine.

Retrouver la Coupe du Monde

Pour se rendre en Argentine, le chemin passe par une première phase durant laquelle les neuf membres restants de la CONMEBOL (l’Argentine organisateur est qualifiée d’office) sont répartis en trois groupes de trois dont seul le premier se rend au tour final. Revenu vainqueur de son déplacement à Guayaquil, le Chili est ensuite accroché au Nacional par le Pérou et, après un nouveau succès face à l’Équateur, aborde le dernier match du Groupe 3 en position de leader. Pour assurer sa place au tour final, il suffit alors à la bande à Caupolicán Peña de ramener un résultat nul de Lima. Mais les évènements négatifs se succèdent. La veille du match, plusieurs joueurs, dont le gardien Aldolfo Nef, tombent malade après avoir mangé de la nourriture présente dans les réfrigérateurs de l’Hôtel Sheraton où la délégation réside. Ils passent la nuit à vomir et ne sont pas aptes à jouer le lendemain.

Ce dimanche 27 mars 1977, l’Estadio Nacional de Lima est plein comme un œuf et son Pérou, emmené par le duo Sotil – Oblitas doit s’imposer pour douber le rival du sud sur le fil. Il réussit son pari et s’impose 2-0 grâce notamment à une tête du premier entrée dans la légende car réalisée devant les « géants » Figueroa – Quintano (qui lui prennent près de vingt centimètres). L’Estadio Nacional s’embrase dans une nuit restée connue comme « La noche de las banderas » au Pérou, où la ferveur patriotique dépasse l’entendement. Francisco Morales Bermúdez, président de la Junte Militaire au pouvoir est présent dans le stade. Il sera ensuite des festivités sur la pelouse, portant le maillot de Julio Meléndez, capitaine et neveu du sélectionneur péruvien. Ensemble, à l’unisson avec le public, ils entonnent alors l’hymne national péruvien avant que le général n’offre une journée « Sin toque de queda » comme demandé par les supporters présents au stade (sans couvre-feu). Sortis de la course au Mondial, l’humiliation est totale pour le Chili. Ce dont on ne se doute alors pas, c’est que la défaite pourrait bien avoir été orchestrée par les autorités chiliennes elle-même.

Opération diversion

Après avoir débuté son enquête à la fin des années quatre-vingt-dix, dans « Historias secretas del fútbol chileno », Luis Urrutia O’Nell décrit une opération spéciale menée par les services secrets chiliens. Nous avons rencontré Luis à Santiago. Il nous raconte : « J’ai commencé mon enquête à la fin des années quatre-vingt-dix. Certaines sources, à Lima, ont commencé à parler de cette affaire avant de couper le contact. Aujourd’hui, je dispose de faits suffisants pour confirmer cette histoire. La rumeur d’un projet d’alliance Pérou – Bolivie – Argentine visant à reconquérir le nord du Chili (gagné lors de la bataille du Pacifique) et la puissance militaire du voisin péruvien faisaient planer de nombreuses menaces. Il avait été notamment fait état de l’observation par une mission nord-américaine d’une piste d’atterrissage aux dimensions gigantesques qui, lors d’un second passage avait totalement disparue, probablement camouflée et enfouie sous le sable. Pinochet décide alors de se servir du match pour mener une opération d’espionnage des plus audacieuses afin d’obtenir toutes les informations militaires nécessaires.

Tout commence plusieurs jours avant le match. La télévision couleur s’est répandue au Pérou au cours de l’année 1978. Mais lors de la deuxième quinzaine de mars 1977, l’armée chilienne dissémine une dizaine de télévisions couleurs à travers les couvents des sœurs présents à Lima. Les monastères distribuent alors ces téléviseurs dans des lieux publics et diffusent l’information. Tout est fait pour que les Péruviens puissent se focaliser sur le match et uniquement sur le match. Le soir de la victoire péruvienne, pendant que le pays et ses dirigeants célèbrent, des Hawker Hunter chiliens équipés d’appareils photo et de caméras décollent de la base de Cerro Moreno située à Antofagasta. Ils prennent la direction près de 1 100 kilomètres au nord, vers la base péruvienne de La Joya, à Arequipa, pour prendre le maximum d’informations sur les forces péruviennes présentes. L’opération est un succès. En profitant de la liesse péruvienne, le Chili a réussi à espionner son voisin ».

Plus de trois décennies après les faits, Caupolicán Peña raconte comment les autorités péruviennes et chiliennes ont débarqué dans le vestiaire à la pause pour perturber son discours et la concentration des joueurs. Et Peña de rappeler que si aucun lien ne peut être établi entre ces évènements et ce qui se produisit en seconde période, les faits, désormais mis bout à bout, permettent aujourd’hui d’affirmer que la junte chilienne a organisé une opération suicide sur le plan sportif, privant les fans de foot d’une Coupe du Monde chez l’ennemi argentin, pour fomenter une incroyable opération diversion destinée à espionner le voisin péruvien. Démonstration, une fois encore que tout peut arriver lors d’un Pérou – Chili !

 

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.