La nouvelle est tombée quand on ne l’attendait pas, le 4 octobre, bien avant le congrès. Le dossier de candidature du Cône Sud, qui avait du plomb dans l’aile depuis six mois, est définitivement enterré. La CONMEBOL semble avoir négocié trois matchs en Uruguay, Argentine et Paraguay, dans ou avant le mondial en Espagne, au Portugal et au Maroc. Pour Alejandro Domínguez, la défaite est une victoire. En Uruguay, la défaite est une défaite.

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On en parlait depuis longtemps de ce mondial du centenaire en Amérique du Sud… Le sujet est apparu au début des années 2000. L’Uruguay, conscient de ne plus pouvoir héberger la Coupe du Monde seule, avait pris contact dès 2017 avec les voisins de l’Argentine pour promouvoir une candidature commune. On aura bien rigolé en voyant arriver les Chiliens et les Paraguayens puis même, à un moment donné, les Boliviens, sortis du diable vauvert. Le projet était beau, mais il a pris du plomb depuis que l’on sait que l’attribution se fait lors de l’assemblée générale et que la FIFA avait accepté une candidature commune entre pays de plusieurs confédérations. L’Afrique et l’Europe représentant à eux deux déjà la majorité, il n’y avait plus beaucoup de suspense. Les Argentins s’étaient déjà démobilisés à cause de cela, mais aussi à cause des autres problèmes dans lesquels s’enfonce le pays (il faut maîtriser les puissances de dix pour calculer le prix d’un stade aux normes FIFA en pesos argentins).

Coupe du Monde 2030 en AmSud, une bonne idée

On attendait donc le vote de l’assemblée attribuant l’organisation aux habitants des deux rives du détroit de Gibraltar quand la CONMEBOL a négocié et obtenu comme cadeau l’organisation de trois matchs de cette même Coupe du Monde dans les trois pays principaux de la candidature, Uruguay, Argentine et Paraguay. Pour les pontes, il s’agit d’une victoire extraordinaire. Domínguez déclare dans un tweet « Nous y avons cru en grand. Le Mondial 2030 commencera là où tout a commencé ». Le même jour, il déclare que la nouvelle « lui donne envie de danser ». Nacho Alonso, président de l’AUF, est lui-même presque en larmes lors de sa première déclaration.

Malheureusement, en Uruguay, personne n’a vécu l’annonce de cette façon. Tous les commentateurs sont éberlués par la situation. Sur la radio Delsol, on entend qu’« il ne faut pas boire de whisky et prendre des décisions », décrivant la situation comme « indéfendable » et Gianni Infantino comme « l’anti-football ». Dans l’émission Tirando Paredes de la radio 1010, la question qui revient est la suivante : « Comment peuvent-ils célébrer à ce point une défaite ? Ils nous donnent des miettes et cela les fait rigoler ». Partout, l’ironie domine. Sauf Sur Canal 4 Sergio Gorzy explique la notion de votes et explique ce que peu de gens avaient compris auparavant : la CONMEBOL avait déjà perdu.

Après l’euphorie d’Asunción, Ignacio Alonso revient donc de la capitale du Paraguay et change de ton. À la télévision le lendemain, il déclare à Deasyunos Informales « Le résultat est meilleur que ce que l’on pouvait espérer depuis cinq à six mois quand a été approuvé la candidature bicontinentale entre l’Europe et l’Afrique sachant qu’ils cumulent 107 votes sur 211. S’ils votaient tous ensemble comme cela semble normal, nous avions au congrès une perspective de défaite de 100 %. Il faut ajouter à cela que le Maroc est un pays musulman ce qui lui ajoute la sympathie et la solidarité des autres pays musulmans. Au congrès nous aurions eu une défaite lourde. Ce que nous avons obtenu hier est important. Il faut le regarder dans une analyse globale, pas en pensant à ce que nous espérions en songeant à l’histoire parce que c’est quelque chose que nous pensons ici mais ce n’est pas le cas ailleurs ». Alonso ajoute au succès le fait que l’Uruguay soit qualifié et sans doute tête de série. Son discours en Uruguay tranche en tout cas avec l’euphorie affichée la veille.

L’incertitude demeure sur les trois matchs à venir. Delsol parle de trois matchs de Coupe du Monde, avec des cérémonies du centenaire, avant une cérémonie d’ouverture à Madrid… Cela permettrait aux sélections jouant en Amérique du Sud d’avoir plus de temps pour revenir et « s’acclimater » de l’hiver austral froid et humide à l’été méditerranéen, chaud et sec. Si c’était le cas, ce serait une forme d’humiliation de plus pour les pays de la CONMEBOL. Cette défaite/victoire confirme en tout cas plusieurs faits. L’alternance des continents est terminée. L’Europe va à nouveau accueillir le gros de la Coupe du Monde. L’Amérique du Sud passe son tour, le Maroc se satisfait finalement de miettes, bien que plus nombreuses. La FIFA pourra dès 2034 retourner en Asie, privant définitivement les pays de l’hémisphère sud de la possibilité d’organiser « la fête du football » en se satisfaisant qu’ils aient organisé des matchs. À l’avenir, il n’est pas à exclure que ce phénomène de « matchs cadeaux » se multiplie pour justifier qu’une région revienne très rapidement dans la course.

Autre point notable, l’AUF va se trouver devant un dilemme à mes yeux insurmontables. La FIFA veut des stades aux normes pour les trois matchs. Le Centenario devrait donc être complètement remodelé, avec des tribunes disposant d’un toit, pour un coût estimé à 50 millions de dollars par Alonso. Cette estimation est une blague, la réalité se situant bien plus aux alentours de 200 millions de dollars. Qui va payer cette somme pour un match qui se jouera a priori entre un Uruguay tête de série et une autre équipe de la poule, qui pourrait très bien être une équipe n’ayant pas l’habitude de se qualifier comme les Émirats arabes unis, le Mali, la Nouvelle Zélande ou la Macédoine du Nord, si l’on prend quelques équipes n’étant pas passé loin de se qualifier pour la Coupe du Monde 2022.  Luis Lacalle Pou, Président uruguayen, est resté assez discret sur le sujet depuis l’annonce du match à venir au Centenario. Ce vieux palais en béton sera désormais au centre des discussions et des problèmes pour le pouvoir politique en Uruguay : comment justifier tant de travaux, coûtant autant, pour si peu. Il n’est vraiment pas exclu que cela crée des problèmes dans les mois et années à venir, pas seulement en Uruguay mais aussi en Argentine et au Paraguay.

 

Photo : NORBERTO DUARTE/AFP via Getty Images

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba