Cela faisait trente-trois ans que l’Uruguay n’avait pas connu un « primo-champion ». Ce titre, le club de Liverpool l’a construit au fil de huit années, étoffant d’abord son palmarès de coupes et de titres « mineurs », avant de finalement d’être consacré en toute logique. Comme un symbole, Liverpool s’est imposé 3-0 en deux matchs sur Peñarol.

Il n’est jamais facile pour une équipe uruguayenne de se retrouver en finale contre l’un des deux « grands ». Après la demi-finale perdue contre Peñarol, Liverpool avait la pression car la première place au classement annuel ne sert alors plus à rien, il ne s’agit plus que d’une finale, en aller-retour. Et Peñarol a ressorti la rengaine du club qui gagne toujours à la dernière minute en sachant s’arracher, tel un Aguirre en finale de Libertadores 1987, Aguirre entraînant désormais le club.

Cette stratégie a fait illusion durant la première mi-temps du match aller, avec un Peñarol plus entreprenant, jouant désormais avec trois défenseurs centraux. La figure du match aller, notamment grâce à la première mi-temps, est Sebastián Britos. Dans ce système, en étant bien entouré, Arezo se crée de nombreuses occasions, mais il n’est pas décisif que ce soit de la tête en première période ou seul face au gardien au retour des vestiaires. Le match tourne définitivement à l’heure de jeu quand Franco González écope d’un rouge sept minutes après être entré en jeu pour un coup stupide donné à Luciano Rodríguez, autre champion du monde U20. Certes, Gonzalo Napoli est aussi exclu pour un coup de coude donné sur la même « action », mais cette exclusion désorganise bien plus Peñarol que Liverpool. La preuve : cinq minutes plus tard, toute l’attaque de Liverpool touche un ballon venant de la droite du côté de Rodríguez. Bentancourt remet magnifique dans l’axe pour Vecino qui trompe De Amores de près. Dix minutes plus tard, sur un long ballon de Pereira, Bentancourt se joue de Coelho beaucoup, beaucoup trop facilement et s’en va tromper De Amores. L’ancien de Peñarol était entré à la mi-temps et réalise donc un but et une passe décisive en quarante-cinq minutes. Côté Peñarol, la défense est cataclysmique en fin de match, que ce soit sur les côtés ou dans l’axe.

Peñarol se réfugie donc à nouveau pendant trois jours dans le mirage de l’exploit. Sauf que si Peñarol avait bien joué pendant une heure à l’aller, le retour a été à l’image de la saison : Liverpool est plus grand. Sans se faire peur. Jorge Bava décide de faire mal sur les côtés et titularise donc deux pointes en laissant le soin à Luciano Rodríguez et à Alan Medina la tâche de non seulement couvrir en défense devant leur latéral respectif mais aussi de bien se projeter dans le dos du piston de ce 3-5-2 improvisé côté Peñarol. Le 4-4-2 est parfois la meilleure organisation possible, notamment quand le milieu est bon et complémentaire. Et cela fonctionne dès le départ, avec les meilleures occasions pour Liverpool, même sans avoir la possession. Rodríguez est intenable sur son côté droit et malaxe la défense. Quand Peñarol essaie d’imprimer du rythme, le match est interrompu pour nettoyer le papier toilette envoyé sur le terrain par ses propres supporters, ce qui a le don de passablement énerver Aguirre. À la 25e minute, après une série de centre de chaque côté, Rodríguez délivre une passe décisive aux six mètres pour Bentancourt qui n’a plus qu’à tromper De Amores. 3-0, le match est plié. Il n’y a pas eu de miracle côté Peñarol et une partie du problème vient peut-être du fait qu’ils en aient attendu un. Liverpool s’offre son premier titre de champion, un titre historique qui vient consacrer une très bonne période du club et, cette année, une magnifique équipe.

Sur les deux matchs, Liverpool a été supérieur dans tous les aspects du jeu. Son gardien a été meilleur, sa défense a été très largement meilleure, son milieu a été plus serein et son attaque plus décisive. Quelques joueurs se détachent dont, en plus du gardien : Mateo Antoni ou Federico Pereira pour leur solidité défensive, Luciano Rodríguez pour sa capacité à faire la différence et Ruben Bentancourt pour sa capacité à être décisif. Mais mettre en avant ces joueurs, c’est oublier ceux qui ont fait un excellent travail comme Miguel Samudio à gauche, l’argentin Meli au milieu, Alan Medina… Côté Peñarol, l’équipe venait du néant en fin de saison et Aguirre a tenté le pari du 3-5-2. C’était sans doute sa dernière et seule carte, il a bien fait de la jouer. Sauf que ce système défensif ne s’improvise pas comme on l’a vu. Ce système libère un défenseur, mais il faut alors qu’ils aient l’habitude de compenser. Le rôle de piston est un rôle formidable mais très fatigant. Tant de choses que Peñarol n’a pas préparées, n’a pas bien jouées et l’équipe pourra avoir des regrets au-delà des actons d’Arezo en première mi-temps du premier match.

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba