Cela faisait longtemps. Longtemps que l’on n’avait pas vu l’Uruguay champion du monde, longtemps que l’on avait pas une victoire de l’Uruguay contre le Brésil ou contre l’Argentine, longtemps que l’on avait pas vu Peñarol et Nacional s’incliner face à plus fort. Tout change mes amis. Tout change.

Il y a un an, la sélection sortait d’une mauvaise Coupe du Monde. Le sélectionneur était coupable, mais il devait être prolongé pour lui laisser un peu le temps, n’ayant eu qu’un CDD d’un an après le bail emphytéotique du Maestro Tábarez. Le Tornado Alonso s’est permis d’essayer de négocier, de barguigner, alors qu’au vu du matériel à sa disposition, il aurait dû signer sans regarder le contrat. Il ne l’a pas fait, il doit sans doute légèrement regretter au vu de son expérience suivante (il est déjà reparti de Séville). Il aurait dû signer, mais il n’a pas vu que Marcelo Bielsa passait par là, passant la tête entre deux portes. Ce n’est pas une nouveauté en Uruguay où, souvent, Marcelo Bielsa passe. Déjà, avant d’être sélectionneur, les réseaux sociaux bruissaient de photos du Loco au restaurant, du Loco sur la rambla… Des photos prises un peu honteusement, un peu cachés, des photos prises comme des trophées, comme on aurait demandé un autographe il y a vingt ans. Et Bielsa, à la surprise générale, n’a pas été contre de reprendre l’Uruguay, d’être le deuxième sélectionneur étranger de l’histoire après l’échec Passarella. Est-ce par opportunité, aimant bien venir en vacances au pays ? Est-ce parce qu’il a vu le matériel et qu’il s’est enthousiasmé ? Peut-être l’un, peut-être l’autre, sans doute un peu les deux.

Dans tous les cas, petit à petit, une histoire d’amour a commencé. Les premiers matchs amicaux du mois de mars en Asie ont été dirigés par Marcelo Broli (qui est non seulement champion du monde U20 mais invaincu à la tête de la sélection majeure avec un nul et une victoire). Il a donc fallu attendre juin et deux amicaux contre Nicaragua et Cuba pour voir Bielsa et son Uruguay. Son Uruguay a eu une drôle de tête puisqu’il a d’abord cherché à faire jouer une future équipe U23 pour préparer le tournoi préolympique. Avec un double effet sympathique : il en a profité pour grandement rajeunir l’équipe et en a gardé quelques lignes pour les premiers « vrais » matchs en septembre contre le Chili et l’Équateur en éliminatoires sud-américains pour la prochaine Coupe du Monde. La même charnière Viña – Cáceres pour débuter, en l’absence de Giménez suspendu et d’Araújo blessé, le même Maxi Araújo en attaque pour dynamiser l’équipe. Mais également le même choix qu’Alonso sur le côté droit avec la présence de Facundo Pellistri. Après soixante-dix minutes de jeu, l’Uruguay menait trois à zéro contre le Chili, assez tranquillement (victoire finale 3-1). Quatre jours plus tard, l’Uruguay perdait contre l’Équateur un match au cours duquel il avait mené. La fatigue avait fini par l’emporter, défaite 2-1.

Photo : Ernesto Ryan/Getty Images

Comme dans toute histoire d’amour, tout n’a pas été simple. En Uruguay, une critique a été entendu toute l’année : il coûte cher et n’aime pas les journalistes. Et les propos tenus dans une conférence de presse convoquée par l’AUF n’ont pas aidé. Mais au fond, Bielsa respire le football et aime vraiment Montevideo. Il faut dire que sur l’échelle de Lille des villes du monde, Montevideo se rapproche du sommet (une échelle très déséquilibrée, comme vous pouvez l’imaginer). La ville est parsemée de stades et on y voit Bielsa regarder des matchs et des matchs de première division, une première division tant critiquée et tant aimée. Il est parfois seul, avec son parka. Une règle tacite a été établie : on le laisse tranquille pendant tout le match, puis il prend la pose tout sourire à la fin. La règle a été rompu de bonne grâce en décembre lorsqu’un homme a proposé son parapluie lors d’un LiverpoolRiver Plate joué sous une pluie d’orage. Bielsa, tout sourire, lui a proposé de rester. Entre temps, l’Uruguay avait fait match nul à Barranquilla (2-2) avant de battre le Brésil à domicile (2-0) puis l’Argentine de l’autre côté du fleuve-mer (2-0). La victoire contre le Brésil est la première en vingt-trois ans. Celle en Argentine est la première depuis au moins douze ans. De quoi se rendre aimé. L’Uruguay est déjà virtuellement qualifié pour la prochaine Coupe du Monde (très virtuellement, mais avec le schéma actuel, on ne voit pas de cataclysme se produire). L’année 2024 sera celle de deux événements qui pourront confirmer la bonne série : un tournoi préolympique dans lequel Bielsa s’est beaucoup investi et une Copa América à laquelle la Celeste va arriver avec un statut d’équipe pas loin d’être favorite.

L’Uruguay champion du monde

Une fête ne venant jamais seule, l’Uruguay a aussi célébré une année 2023 extraordinaire chez les jeunes. La Celeste a longtemps survolé le Sudamericano joué en Colombie entre janvier et février en étant invaincu… jusqu’à six minutes de la fin du temps réglementaire du dernier match contre le Brésil, sorte de finale, que l’Uruguay a eu du mal à négocier en étant « virtuel vainqueur » avec un match nul. Andrey Santos a ouvert le score à la 84e, l’Uruguay a perdu (0-2) et a terminé avec beaucoup de frustration mais une excellente deuxième place. On a retrouvé les mêmes quelques mois plus tard en Argentine et non en Indonésie comme initialement prévu. Presque les mêmes car le pauvre Renzo Sánchez s’est gravement blessé entre temps sur la pelouse du Tróccoli. Jouer en Argentine a sans doute influé, la proximité et l’élan a été évident dans un pays qui s’est enflammé petit à petit pour cette compétition jusqu’à remplir le stade pour la finale. L’Uruguay avait pourtant démarré difficilement en termes de résultat (en jouant bien) avec une défaite en groupes contre l’Angleterre et une victoire 1-0 contre la Tunisie qui qualifiait tout de mêmee la Celeste en tant que deuxième. Une succession de blessures et de cartons rouges ont soudé l’effectif et la Celeste a enchaîné avec une victoire contre la Gambie avant de battre les USA en quarts. Alors que tous les autres, dont le Brésil d’Andrey Santos, tombaient petit à petit, l’Uruguay battait Israël en demies avant de terrasser l’Italie 1-0, score qui ne reflètait pas la domination de la Celeste durant le match. Les héros ont donc été acclamé au pays et ont profité de la deuxième partie du championnat pour recevoir hommages et médailles. Peu étaient déjà partis, beaucoup en ont profité pour quitter le pays comme Fabrizio Díaz, le capitaine de cette équipe, ou Sebastian Boselli. Certains de ceux qui sont restés, comme Luciano Rodríguez ou Anderson Duarte, ont enchanté la deuxième partie de saison. Ils n’avaient pas beaucoup participé à l’Apertura à cause de ces compétitions. Bielsa a en tout cas du matériel pour le tournoi préolympique U23, en espérant que les joueurs ne soient pas trop retenus par leur club.

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Ajoutons en cette fin de paragraphe « autres compétitions internationales » la performance des clubs en compétitions internationales. Que dire ? Nacional a sauvé l’honneur avec un huitième de finale perdu au bout du suspense contre Boca Juniors. Le Bolso n’a pas à rougir de sa participation avec une bonne deuxième place dans son groupe obtenue derrière le traditionnel club brésilien mais devant par exemple Independiente Medellín. En huitièmes, l’équipe a joué intelligemment, a tout donné, mais est sortie face à un Boca supérieur notamment au poste de gardien ou au milieu de terrain. Si le Bolso n’a pas à rougir, ce n’est pas le cas des autres participants. Liverpool a l’excuse des débuts mais a pris deux 3-0 contre Corinthians, troisième du groupe. La phase de groupes 2023 correspond aussi aux mauvais résultats en championnat et il faudra donc être attentif en 2024 à cette période. En tour préliminaire, Boston River et le Deportivo Maldonado étaient sortis sans gloire respectivement par Huracán et par Fortaleza. En Copa Sudamericana, Peñarol termine avec aucun point et une différence de but de -14. Un scandale qui a coûté la tête d’Arias. Danubio s’est battu avec ses armes et a notamment battu Emelec et Huracán, mais le club à la diagonale termine troisième de son groupe.

Championnat : Liverpool première !

Après un championnat 2023 dominé par Nacional, l’équipe s’est fait évidemment piller et est reparti avec de grandes difficultés dès le début de la saison. L’Apertura est dominé par son rival de toujours qui s’est renforcé avec de bons joueurs comme Arezo, Coelho ou Hernández. L’équipe d’Arias remporte le titre avec une journée d’avance malgré quelques difficultés dans le jeu, mais avec une attaque décisive. Ce tournoi est entaché des très mauvaises performances en Sudamericana et des pleurnicheries du président du club qui voyait chaque but encaissé comme un complot international. Le départ d’Arias cumulé avec l’élection présidentielle au sein du club ont alourdi l’atmosphère et Peñarol a vu la construction de la première partie de saison s’effondrer petit à petit durant l’Intermedio puis s’écraser définitivement en fin de saison. L’Intermedio est le moment où Liverpool se relance avec cinq victoires en sept matchs dont une nouvelle victoire de prestige contre Nacional (3-0). Le club est libéré de la Libertadores et voit revenir les internationaux U20 comme Luciano Rodríguez ou Mateo Antoni. Liverpool remporte la finale de l’Intermedio contre le Defensor, nouveau titre pour le club, avant d’écraser la concurrence durant le tournoi de clôture. Le tournant de la saison n’est pas le clásico mais le Peñarol – Liverpool qui le précède. Liverpool s’impose logiquement 1-0 et s’ouvre la voie vers la première place au classement annuel. Une série de mauvais résultat de Peñarol l’aide bien en cela. Les bleus et noirs s’offrent donc une finale contre le vainqueur de l’Apertura en ayant gagné de leur côté le classement annuel ainsi que l’Intermedio et le Clausura. Peñarol, dans lequel le « héros » Aguirre est arrivé, fait illusion le temps d’un match remporté en prolongations avec un changement tactique qui a embêté Jorge Bava. Mais cela ne marche que sur un match, Liverpool dominant comme un grand Peñarol en finale, avec une victoire en score cumulé de 3-0. Cela faisait trente-trois ans que l’Uruguay n’avait pas connu un « primo-champion ». 

Liverpool s’est construit au fil des années comme une équipe forte de ce championnat et 2023 vient couronner une période faste entamée avec le retour du club dans l’élite quand l’attaque de feu était composée par Carlos Bueno et Nico De La Cruz, duo paraissant aujourd’hui improbable. Beaucoup de joueurs sont passés ou ont été formés au club, mais tous ont réussi à conserver cette envie impulsée par le président Palma à qui le club doit beaucoup, malgré les quelques mauvais aspects du personnage. Fort logiquement, le onze de l’année et composée de nombreux joueurs de Liverpool qui a tout remporté sauf l’Apertura. 

L’équipe type de la saison

 

Sebastián Britos a mérité sa place sur l’ensemble de l’année mais aussi sur les finales durant lesquelles il a littéralement mangé Arezo. Statistiquement parlant, Arezo est le grand absent de cette liste, c’est beaucoup à cause de ces face à face perdus. Britos, vieux gardien ayant déjà beaucoup bourlingué, a montré l’importance de l’expérience dans un groupe assez jeune.

La défense est celle de la fin de saison côté Liverpool avec l’ajout de Daniel Bocanegra. Bocanegra remplace Mateo Antoni qui aurait dû être dans la liste car il était très bon sur la fin de saison, mais il n’a pas beaucoup joué durant le premier semestre. Pereira a aussi été « l’esprit » de ce Liverpool, donnant beaucoup sur le terrain. Le Paraguayen Miguel Samudio a su parfaitement s’adapter et a été un passeur exquis à quelques reprises. Bocanegra est donc dans ce onze pour l’ensemble de sa saison et notamment le huitième joué en Libertadores.

Au milieu, à nouveau, trois joueurs de Liverpool. Alan Medina est très particulier, mais sa vitesse en fait un joueur spécial. Luciano Rodríguez, meilleur joueur de la saison, montre sur certaines actions qu’il est clairement au-dessus de tout le monde. Entre les deux, deux travailleurs. Marcelo Meli a été la surprise argentine durant cette saison en étant toujours présent au charbon quand son équipe joue régulièrement en déséquilibre. À ces côtés, Fernando Elizari est là pour la deuxième année d’affilée. Il n’est pas dans les équipes types des médias uruguayens. Une hérésie Elizari ? Il a de grandes qualités de passe, c’est un beau joueur de football, sans parler ni gesticuler, il rend son équipe meilleure au ras du sol. Defensor lui doit une partie de sa bonne saison.

Devant, Juan Ignacio Ramírez est le meilleur buteur de la saison. Il est donc logique qu’il soit là. Mais le meilleur attaquant cette année aura été Rubén Bentancourt, avec quelques matchs de très haute volée comme le 3-0 contre Nacional ou la finale aller contre Peñarol. Bentancourt, à l’inverse d’autres joueurs de l’équipe type, est très dérangeant car il n’est pas toujours extraordinaire. Et puis sur certains matchs, le petit Cavani se transforme et devient une bête invincible. L’ex-crack acheté par le PSV en 2011 ne se refera pas et il continuera d’illuminer quelques soirées uruguayennes. Parmi les « remplaçants », on notera Mauro Goicoechea, Arezo évidemment, Sebastián Rodríguez, Santiago Rodríguez, Anderson Duarte, etc. L’entraîneur de l’année ne peut être que Jorge Bava, qui a conservé le cap malgré une mauvaise première partie de saison.

 

Photo une : Ernesto Ryan/Getty Images

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba