C'est l'histoire d'un match mort-né, qui ne s'est pas joué, qui n'aurait même pas dû se préparer. C'est l'histoire d'un poison qui, lentement, est en train de tuer ce championnat, dont personne ne sait si le véritable responsable est la société, la police, le gouvernement. C'est l'histoire d'un berger allemand blessé par une bonbonne de gaz. Mais j'entends qu'on propose de jouer le match à huis-clos mercredi ? Le clásico n'est donc pas mort ? Vraiment ?

Bon, il faut être honnête, tout le monde savait que ça se passerait mal. Il suffit de voir les images du stade, quand le match n'était pas encore suspendu, on pouvait y voir la tribune Olimpica quasi-vide, alors que c'est la plus importante du stade en terme de capacité. D'habitude, le match se joue à guichet fermé. Il restait pour le match d'hier 30 000 entrées non-vendus. Après le meurtre d'un hincha de Peñarol à Santa-Lucia, après les incidents ayant conduits à l'arrêt du match RamplaPeñarol, les familles, les enfants, les gens normaux, étaient restés chez eux. Toute la semaine, on a parlé de sécurité au stade en Uruguay, avec un sujet principal : que faire de la fameuse tribune Olimpica.

Au Centenario, stade construit pour la Coupe du Monde 1930, la tribune de droite est la Amsterdam, du nom du titre olympique uruguayen de 1928. C'est classiquement celle de Peñarol, de la Barra Amsterdam. Celle de gauche est la tribune Colombes, du nom de la ville de l'ouest parisien ou a été organisé la finale des jeux olympiques 1924 de Paris. C'est celle des supporters de Nacional. La plus grande tribune, l'Olimpica, est soit prise par un club quand il joue à domicile, soit divisé en deux, séparés par un « poumon » occupé par la police dans la majorité des cas. Mais lundi, la police indique qu'elle ne souhaite pas s'occuper de la sécurité de cette tribune et l'AUF publie un communiqué indiquant donc que cette tribune sera fermée. Cela suit le credo officiel depuis quelques années qui est que le football est un spectacle privé qui doit donc assurer sa propre sécurité à l'intérieur des stades. Après de multiples pourparlers, d'âpres négociations, et la peur de voir un clásico se jouer devant une tribune principale vide, les autorités acceptent finalement d'assurer la sécurité de la tribune, en en réduisant sa capacité (notamment en fixant un prix de 20€ sur les entrées, largement au-dessus de ce qui se fait habituellement).

En se préoccupant de la tribune Olimpica, les autorités ont oublié de se pencher sur la tribune Amsterdam, qui avait déjà préoccupé contre Rampla lorsque des coups de feu avaient été tirés dans les toilettes du stade. Hier, à environ 45 minutes du coup d'envoi, trois événements font déraper le match. Tout d'abord, des supporters tentent de forcer l'entrée en mode « avalanche ». Le personnel de contrôle des entrées du stade décide alors de se retirer et de fermer les portes. A l'intérieur, les supporters déjà présents dévalisent les buvettes du stade. On verra sur les réseaux sociaux des photos de supporters posant avec des packs de Coca-Cola. La police tente de rentrer dans le stade, mais est reçue par des pierres, des canettes, et même une bonbonne de gaz de 13 kilos tirée du haut de la tribune.  Contrairement à ce qui a été annoncé, aucune arme à feu n'a été retrouvé, mais peu importe, le match ne peut évidemment pas se jouer. On assiste pendant une heure à un ballet des officiels qui premièrement repousse le début du match, avant de le reporter définitivement.

Parmi les réactions, on notera l'interview en direct d'un Diego Polenta quasiment en larmes, indiquant qu'il n'a même pas pu donner les entrées qu'il a habituellement pour le stade car personne n'en voulait, que rien ne change depuis trop longtemps, et qu'il souhaite aujourd'hui simplement partir. Tous les joueurs sont sur ce registre, il suffisait de voir le visage triste de Nahitan Nandez pour s'en rendre compte. Au final, Damiani, président de Peñarol, propose de jouer le match à huis-clos mercredi, mais le règlement stipule que, les troubles ayant été collectifs et clairement identifiés à la tribune Amsterdam, les trois points devraient aller à Nacional, tuant ainsi le championnat à deux journées de la fin. Tuant car l'autre leader, Danubio, a concédé le match nul contre Defensor. Mais pas sûr que le championnat ne reprenne d'aussi tôt, c'est du moins ce qui est ressorti des dirigeants hier soir.

Qui est coupable ? Qui a mis le poison dans la boîte ? Personne n'est d'accord. La politique du ministre de l'intérieur Eduardo Bonomi de ne plus intervenir dans les tribunes est clairement un échec. Ces dernières sont devenues des zones de non-droit, où les supporters font ceux qu'ils veulent ou presque. Tout cela parce que les dirigeants n'ont pas voulu non plus imposer une vraie sécurité privée et ont trop longtemps laissé faire. C'est surtout vrai pour Peñarol et son président Damiani. Il va falloir que les forces de l'ordre réinvestissent les tribunes. L'idée de départ du ministère qui est de dire que les clubs doivent gérer, que c'est un spectacle privé, n'est pas fausse, elle est juste démagogique. Les clubs ne sont pas en mesure d'assurer les contrôles sur un tel nombre de personnes et surtout d'agir en cas de non-respect des règles. Seule la police peut faire cela, peut faire peur. Cela déplaira, on accusera la police comme d'habitude de violence policière, de disproportion, mais cela n'est pas grave. C'est, du moins, moins grave que de voir un mec balancer une bonbonne de gaz de 25 mètres de haut sur les forces de l'ordre à l'extérieur. En attendant, je ne vois pas comment le championnat pourrait se terminer avec les animaux présents en tribune à chaque fois que Peñarol joue.

La semaine dernière, quelqu'un proposait que l'on joue un prochain clásico à Miami. Tout le monde l'a critiqué, indiquant que ce n'était pas cela, l'histoire du football uruguayen. Aujourd'hui cela paraît plus réaliste, et c'est terrible.

Pour le reste

Le communiqué

La semaine dernière, les joueurs du championnat ont émis un communiqué similaire à celui de la sélection d'il y a de cela un mois, souhaitant mettre fin à la mainmise de Tenfield et de Paco Casal sur le championnat. Guidé par des joueurs emblématiques, comme Michael Etulain, gardien de Danubio, Santiago Lopez, attaquant de Villa Española, ou encore Richard Pellejero, milieu de Cerro.  Ce communiqué dénonce, entre autre, les contrats de 10 ans de droit télé, le faible montant de ces droits, le manque de transparence. Tout cela semble tellement logique, surtout au vu de ce qu'il se passe dans de nombreux clubs comme Fénix, où les joueurs n'ont plus été payés depuis août... Au-delà du communiqué, on a aussi vu les joueurs en début de match porter, tous ensemble, 22 acteurs mélangés, une pancarte portant l'inscription #MasUnidoQueNunca, plus unis que jamais. Cette pancarte a souvent été boycotté par Tenfield lors de la diffusion des matchs, à l'exception savoureuse du clásico de la Villa Cerro - Rampla, je vais y revenir.

 Cerro – Rampla Juniors, l'autre clásico

Cette journée était donc celle des confrontations clásico en Uruguay. Cela inclut un Defensor Danubio qui n'est pas vraiment un clásico, autant qu'un MarseilleLyon en France par exemple.  Mais aussi un CerroRampla Juniors, qui est pour le coup un vrai clásico de Barrio, une vraie confrontation historique remontant au début du siècle et concernant la domination du quartier de Cerro. Il est important de noter que, footballistiquement, le match a été très inintéressant, joué sous une pluie diluvienne et se terminant par un 0-0 des familles (comme le DefensorDanubio d'ailleurs). Mais, au moins, le match a été calme, marqué par de nombreuses rencontres amicales entre les supporters des deux équipes et des signes d'amitiés. Le Troccoli était à la fête samedi.  Avant le match, les joueurs se sont présentés ensemble pour montrer la fameuse pancarte #MasUnidosQueNunca. D'habitude, cela n'est pas diffusé par la télé, sauf sur ce match, ou le réalisateur s'est planté et a diffusé l'image en direct. Le commentateur a fait semblant et a indiqué que c'était un message contre la violence. Grand moment de solitude savoureux.

Les buts

 

 

Résultats

Classement

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba