Du beau football cette année en Uruguay, avec une sélection toujours aussi plaisante, un titre pour chaque grand, de belles performances du Nacional en Libertadores, un exploit de Colonia. Tout cela entre quelques incidents qui auront gâchés la fin d'année, et une révolte des joueurs qui fait plaisir à voir. Contes de folies, de football et de mort, 2016 en Uruguay.

Championnat : L'arc en ciel avant l'orage

2016 a été l'occasion de remettre les pendules à l'heure, puisque le championnat a utilisé le deuxième semestre pour repasser au format sud-américain, c'est à dire un championnat en année calendaire et non plus scolaire. On a donc eu un Clausura 2016 (premier semestre), suivi d'une finale en juin pour déterminer le vainqueur du championnat 2015-2016, avant d'avoir un tournoi « spécial », sur six mois, avec match aller simple entre chaque équipe, pour pouvoir avoir un tournoi normal en 2017. Et 2016 a mal commencé, avec le licenciement de Pablo Bengoechea suite à la défaite de Peñarol lors d'un clásico pourtant amical. Ce dernier est remplacé par Polilla Da Silva pour le Clausura. Bengoechea laisse un bateau en bonne marche, champion de l'Apertura, qualifié pour la Libertadores. Peñarol est accompagné en Libertadores par son adversaire de toujours, le Nacional de Munúa, mais aussi par River Plate, dont la qualification en barrage contre la Universidad de Chile est l'heureuse surprise de ce début d'année. Le championnat démarre bien pour les deux grands avec de belles victoires et des matchs solides des stars de chaque équipe, Diego Forlán et Nicolas Lopez. Derrière, on souffre avec un Danubio à la dérive ou un River Plate qui n'arrive pas à jouer la Libertadores en même temps que le championnat. Rapidement, une autre équipe sort du lot. Dès le 29 février, soit pour la quatrième journée, Lucarne Opposée titre sur la grande équipe de Colonia (Viva Colonia !) qui bat Nacional et se lance dans la course au titre. Ce match sera fatal au Bolso qui se concentrera rapidement sur la Libertadores. Avant le mano a mano final entre Peñarol et Plaza Colonia, on assiste à un clásico épique. Peñarol est mené 2 à 1, à 10 contre 11 suite à l'exclusion de Guillermo Rodriguez qui s'est sacrifié pour faucher un adversaire sur une contre-attaque Bolso. Mais à la 94ème, le Viking Marcel Novick place sa nuque pour égaliser et conserver les chances de Peñarol de gagner le Clausura. En fin de saison, le pauvre Marcel se brisera les ligaments mais sera prolongé par le club malgré sa blessure, à 34 ans. Ce but permet une véritable finale lors de l'avant dernière journée, une finale stupéfiante, inattendue, entre David et Goliath, entre Peñarol et Plaza Colonia, dans un Campeon del Siglo plein à craquer. Le football a ceci d'exceptionnel qu'il sait distinguer la meilleure équipe de l'équipe la plus talentueuse individuellement, et c'est Colonia qui s'impose 2-1 et remporte la première coupe du club, l'année de sa montée, lui offrant par la même sa première participation à une coupe continentale. Une autre finale à donc lieu entre Peñarol, vainqueur de l'Apertura, et Colonia, vainqueur du Clausura, et Peñarol devra aller au bout de ses forces, pour vaincre après prolongation et gagner un énième titre de sa riche histoire. Comme un malheureux présage, comme les nuages qui s'accumulent au-dessus de la mer un soir d'été, Diego Forlán et ses collègues célèbrent le titre dans les vestiaires suite à l'invasion violente du terrain par certains manyas violents.

Dans la foulée, l'hiver est en effet dominé par les forces du mal du football uruguayen. Sorte d'épisode 5 de la guerre des étoiles, le rôle de la princesse Leïla étant tenu par le ministre de l'intérieur Eduardo Bonomi... Une semaine avant le premier clásico de présaison, ce dernier est annulé par l'AUF qui ne veut pas prendre la responsabilité de l'événement sans les forces de l'ordre, et ces derniers ne veulent plus venir dans les stades sans caméra de vidéo-surveillance comme prévu au début des années 2000... Grand micmac, qui prive l'Uruguay de clásico, et retarde le championnat d'un mois. Finalement, les affaires sérieuses reprennent en septembre, avec des débuts difficiles pour les deux grands. Peñarol perd ses premiers matchs, que ce soit en championnat ou en Sudamericana, tout comme Nacional, qui s'incline contre le Danubio de Leo Ramos puis contre Liverpool au Belvedere lors des premières journées. Mais rapidement, avec une équipe solide en défense et efficace en attaque, l'équipe tricolore se démarque et se bat avec Danubio pour le titre. Pendant ce temps, Peñarol sombre, marquant 2 buts lors des 6 premiers matchs. Da Silva est remplacé par Curutchet, sans effet visible, et Peñarol perd deux matchs sur tapis vert suite à des incidents en tribune. Le premier contre Rampla, le deuxième lors du clásico, match qui n'a même pas pu démarrer au vu des incidents. Honte absolu, qui fait qu'il n'y a pas eu de clásico depuis mai, et cela manque vraiment, et que le prochain aura lieu fin janvier... à Porto Alegre. Danubio chutant en fin de saison, Nacional en profite pour être titré après avoir gagné ses 7 matchs à domicile du championnat. Derrière, Danubio est dépassé sur le fil par les Bohemios du Wanderers, équipé très solide de ce championnat ayant paradoxalement souffert d'un bon parcours en Copa Sudamericana.

Pour 2017, on repartira avec un championnat normal, sur toute l'année, avec Peñarol et Nacional qualifiés pour la phase de poule de Libertadores, Cerro et Wanderers pour les phases éliminatoires. En Sudamericana, on pourra admirer Defensor, Danubio, Liverpool et Boston River, surprise du dernier championnat, qualifié pour une coupe continentale l'année de sa première montée dans l'élite. En espérant que les incidents cessent dans les stades.

Les joueurs marquants et le onze de 2016

Je n'aime pas faire des onze, cherchant toujours à donner une logique stratégique à quelque chose qui, par définition, ne peut pas en avoir. Les remplaçants auraient donc très bien pu être titulaire.

Leo Burián, gardien (Wanderers), pour sa régularité, ses performances en Sudamericana en Août-Septembre. Efficace sur sa ligne, dans ses sorties, balle au pieds. Gardien le plus régulier du championnat.

Matias Zunino, latéral droit, (Sud America puis Defensor) pour ses qualités de projection, son apport offensif, et sa progression impressionnante.

Diego Polenta, défenseur (Nacional) parce que même si je ne suis pas fan, je n'ai pas le choix. Capitaine bolso, très bon au duel, moins bon en vitesse. Il a gagné en charisme et en force de motivation.

Ignacio Pallas, défenseur (Fénix) pour cette saison et pour l'ensemble de sa carrière, défenseur de métier, capable aussi d'être très bon sur coup de pied arrêté offensif ou défensif, il a emmené son équipe en Sudamericana et a montré la voie fin 2016 en marquant deux buts contre Danubio alors que les salaires de l'équipe n'étaient plus payés. Capitaine courage.

Jorge Fucile, côté gauche ici, mais est meilleur à droite (Nacional), qui est presque devenu le seul international actif du championnat, encore régulièrement appelé par Tabarez, l'un des seuls joueurs dont on peut dire que, facilement, son niveau lui permettrait de jouer en Europe. Mais il a choisi de revenir dans son club de cœur et de continuer à sa balader dans les couloirs des terrains uruguayens. 

Nahitan Nandez, milieu droit (Peñarol), l'un des seuls joueurs à avoir joué toute l'année pour Peñarol, le seul, également, à avoir surnagé lors de la fin de championnat, repositionné sur ce côté droit qui ne lui va pas si mal.

Marcello Saracchi, milieu gauche (Danubio), plus jeune joueur de l'équipe, à seulement 18 ans, il s'est complètement imposé dans son équipe, capable de jouer en latéral défensif ou au milieu, idéalement dans un milieu à cinq devant une défense à trois. Il est véloce, très bon techniquement, mais capable de faire une course de 90 mètres pour couvrir son couloir. Un joueur aussi plaisant à regarder avec le ballon que sans.

Martin Ligüera, milieu offensif (Fénix puis Nacional), il a été très bon avec l'équipe tricolore, étant un rouage essentiel du titre. Mais il ne faut pas oublier que, comme Pallas, ce fut un rouage essentiel de Fénix en début de saison avec quelques actions de grande classe, une technique rare, un plaisir toujours de le voir jouer.

Nicolás de la Cruz, milieu offensif (Liverpool), très jeune également, il a illuminé le tournoi de transition avec ses dribbles et ses passes. Demi-frère de Carlos Sánchez, il faudra qu'il s’épaississe et ne parte pas trop tôt pour s'affirmer dans son football.

Kevin Ramírez, attaquant (Nacional), joueur véloce, qui aime dédoublé avec son latéral ou déboulé en contre, il a su s'imposer en prenant son temps au sein du Nacional. Titulaire indiscutable lors du tournoi de transition, il est désormais annoncé en Europe.

Sergio Blanco, buteur (Wanderers), attaquant expérimenté, ayant un sens du but incomparable dans le championnat, capable de se retourner, et sans regarder, le mettre en lucarne. Il a aussi une bonne frappe à mi-distance. Il a été essentiel en fin de championnat pour permettre à son club de se placer deuxième.

Remplaçants

Coco Conde, gardien (Nacional), très bon sur sa ligne, disposant de réflexes incroyables, il est pour beaucoup dans les bonnes performances du Nacional en Libertadores et lors du tournoi de transition.

Nano Ramos, milieu (Cerro), petit magicien, a permis au Cerro de se qualifier pour la phase préliminaire de la Libertadores.

Maxi Gomez, attaquant (Defensor), attaquant physique, de surface, très bon de la tête, et ayant un grand avenir s'il devient plus régulier.

Libertadores et Sudamericana, faire l'amour au brésil et mourir

Cette année a été marquée par la très bonne performance du Nacional en Libertadores, qui a éliminé successivement Palmeiras en poule, puis Corinthians en 8ème, avant de se faire sortir face à Boca aux tirs au but. C'est fort triste, car jamais un club équatorien n'aurait fait en Uruguay ce qu'Independiente del Valle à fait en Argentine après. Il n'empêche que la qualification face aux joueurs du Corinthians restera dans l'histoire du club. Peñarol a plus que déçu avec une élimination en phase de poule après notamment s'être fait fesser 4 à 0 par l'Atletico Nacional, futur vainqueur de l'épreuve. River a également joué cette compétition, en étant vaillant, mais en ne parvenant à gagner aucun match.

En Sudamericana, un seul club est sorti du lot. Peñarol a encore une fois été ridicule sur la scène continentale, perdant contre au Sportivo Luqueño. Plaza Colonia ne s'est incliné qu'aux tirs aux buts contre Blooming, ce qui reste une déception. Fénix s'est incliné également dans les dernières minutes face au Cerro Porteño, beaucoup de déception donc. Par contre, Wanderers a passé deux tours, gagnant contre les chiliens de O'Higgins aux tirs au but grâce notamment à Burian, avant de s'imposer lors des deux matchs contre Zamorra. Finalement, en huitième, l'équipe chute contre les colombiens de Junior, en faisant match nul 0-0 sur les deux matchs, et en ne montrant pas la qualité de jeu affiché en championnat.

En sélection : Le retour aux affaires du grand Luis Suárez

L'année a commencé avec le retour, pour un match éliminatoire, de Luis Suárez. Ce match, contre le Brésil, s'est soldé par un match nul 2-2 mais a agi comme une victoire, une immense joie. Suárez a été énorme, a marqué le deuxième but égalisateur, qu'il a pu dédier au physio de la sélection, décédé malheureusement peu de temps auparavant. La suite a été plus complexe, avec des matchs offrant de grandes satisfactions comme les fessées contre le Paraguay, ou le Venezuela, mais parfois plus compliqués avec une défaite en Argentine parce que l'équipe était trop timorée face à une Argentine en crise. La saison se termine avec toujours une deuxième place au classement des éliminatoires, 5 points d'avance sur la sixième place, et le plaisir de savoir que le prochain match sera contre le Brésil à domicile au mois de mars 2017. A noter que l'Uruguay a perdu entre temps deux de ces trois matchs amicaux de l'été aux Etats-Unis, sans doute par solidarité avec le peuple Venezuelien, et parce que cela n'avait pas trop d'importance.

Côté joueur, de nouveaux noms se sont imposés autours des piliers avec notamment Matias Vecino au milieu, Gaston Silva en défense. Sebastian Coates a repris la place de Gimenez (plus titulaire en club) et l'attaque titulaire reste composé du meilleur attaquant d'Europe, Luis Suárez, et du meilleur attaquant du championnat de France, Edinson Cavani. De quoi voir venir l'avenir sereinement.

Pour le reste

Les joueurs de la sélection puis ce du championnat se batte ouvertement pour leurs droits, contre l'entreprise qui possédait le football Uruguayen, Tenfield, et son président Paco Casal. Les épisodes sont résumés ici pour la sélection, et ici pour le championnat.

Mon alerte twitter concernant Germàn Rivero n'aura pas été vaine. Après six mois sans nouvelle, sans football, et son inquiétante disparition, il serait annoncé au Chili, au Santiago Wanderers, dans l'équipe d'Eduardo Espinel, ancien coach de Colonia. Reste une question, pourquoi ?

Ramon Arias s'est marié ce week-end.

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba