Au pays du baseball, le football ne cesse d’avancer en suivant un rêve, celui de participer à sa première Coupe du Monde. Pour cela, le pays mise sur sa jeunesse.
Il est encore une époque récente où le paysage footballistique vénézuélien était quelque peu sommaire : les stades étaient petits, les terrains précaires, peu de joueurs vénézuéliens sur le terrain, des arbitres complaisants, des fautes de jeu excessives, des équipes insolvables, une couverture médiatique limitée, des athlètes mal nourris, une faible motivation et d'autres faiblesses. Le Venezuela est un pays de baseball depuis la fin du XIXe siècle, lorsque certains étudiants vénézuéliens venant d'universités des États-Unis sont rentrés à Caracas, apportant avec eux battes, gants, balles et matériel pour la pratique de ce sport puis en raison de l’influence culturelle s’imposant au cours du XXe siècle par les compagnies pétrolières américaines implantées sur le territoire qui a contribué à la diffusion du baseball. Au point que si le football est arrivé au même moment, avec les chemins de fer et les Anglais au début des années 1900, la fédération vénézuélienne de football a été la dernière à s'inscrire à la CONMEBOL et à participer aux compétitions continentales. Pire, ce n'est qu'en 1981 que le Venezuela a obtenu sa première victoire en match à élimination directe, en battant la Bolivie à Caracas (1-0).
Les clubs de la capitale, qui représentaient traditionnellement les colonies, ont ensuite passé le témoin à ceux de province où les stades étaient remplis et les passions déchaînées. Les titres de Portuguesa, Estudiantes, ULA de Mérida, Deportivo Táchira et Mineros de Guayana ont ainsi favorisé l'émergence des clubs à l’extérieur de la capitale et l’ensemble des clubs vénézuéliens ont commencé à donner plus d'opposition en Copa Libertadores. Puis sont arrivées les années 2000 et avec elles, le football vénézuélien a changé. Les installations rénovées ou nouvellement construites pour la Copa America de 2007 sont un élément mais d’autres se sont avérés essentiels : l'application d'éléments technologiques, de nouveaux comportements nutritionnels, une meilleure prévention médicale, une préparation physique plus conséquente, des améliorations contractuelles, une meilleure exposition médiatique et l'émergence des réseaux sociaux ont permis aux enfants et aux jeunes de mieux connaître le jeu et sa portée professionnelle, réveillant la passion nationale qui a cessé d'être exclusive au baseball.
Construire l’avenir
À l’origine de cette révolution : Richard Páez. Après avoir suivi des cours chez Arrigo Sacchi, été adjoint de Carlos Bianchi à Boca et travaillé pour le Standard en Belgique, el Doctor révolutionne les méthodes de formation des jeunes afin de leur donner une certaine identité, grâce notamment aux sélections de jeunes qui deviennent un élément essentiel du processus de formation, offrant une continuité. Le changement de mentalité débute avec la génération des Salomón Rondón, Yohandry Orozco lors de la première qualification pour la Coupe du Monde des moins de 20 ans organisée en Égypte en 2009. Le Venezuela arrive à passer le premier tour et tombe en huitièmes de finale face aux Émirats arabes unis. La continuité débute, après 2009 en Égypte pour les U20, les sélections de jeunes brillent tour à tour, les U17 participent à celle de leur catégorie en 2013 aux Émirats arabes unis avant que les U20 se hissent en finale de l’édition 2017 et au tour final des Campeonatos Sudamericanos.
Ainsi un joueur passé des académies aux clubs est mieux préparé, ayant accumulé plus d’expérience à un plus jeune âge. Avec pour tous une recherche d’identité footballistique commune : des footballeurs techniques, rapides, tactiquement disciplinés et surtout polyvalents. « Notre méthodologie est basée sur un modèle de microcycle. Il y a quelques jours axés sur le niveau individuel de la personne. Le reste est constitué de questions physiques, techniques et tactiques. Nous aimons placer les défenseurs centraux au milieu de terrain afin qu'ils aient un meilleur contact avec le ballon et une dynamique différente lorsqu'ils le reçoivent. Nous plaçons également les latéraux au milieu du terrain ou comme ailiers. On ne nous demande pas la même chose que l’équipe première, mais le club exige les mêmes comportements. De cette façon, lorsque le joueur aura sa convocation pour la première qu’il joue en 4-4-2 ou 4-2-3-1, il n’aura pas de problème pour s’adapter », explique Daniel Izzo, responsable des U13 au Caracas FC, club d’où ont éclos Josef Martínez, Wuilkier Faríñez ou encore l’ancien Nantais Fernando Aristeguieta. Une notion de cycle présente à Zamora (lire : l’héritage de Chavez) d’où sont sortis Yeferson Soteldo (Toronto FC) et Yordan Osorio (Parma FC) et où là aussi, tout est mis en œuvre pour que le jeune puisse intégrer l’équipe première : « Nous mettons l'accent sur la formation de nos entraîneurs, pour qu'ils aient la capacité et les outils nécessaires pour développer les jeunes joueurs. Nous voulons former le joueur dans tous les aspects fondamentaux. Les U13 et U15 se concentrent sur la formation, c'est-à-dire la maîtrise des bases. Chez les U17 et U19, qui sont les plus proches de l'équipe première, les systèmes de jeu sont mis en œuvre. Le club s'est toujours distingué par le fait d'être une équipe très verticale, rapide sur les flancs, avec de la qualité et de la vision. Développer des joueurs comme ça est plus ou moins une philosophie que Zamora veut mettre en œuvre à l'avenir. Lorsque nous faisons du repérage ou que nous regardons des joueurs, nous mettons l'accent sur les joueurs rapides avec le ballon. Nous voulons que le joueur soit performant et se développe, pour que lorsqu'il arrive en équipe première, il puisse sentir qu'il a les conditions pour y être », explique Miguel Hidalgo, coordinateur sportif des équipes de jeunes.
Place aux jeunes
Le football s'est considérablement développé au Venezuela. Bien qu'il ne soit pas le sport le plus populaire du pays, il a gagné en notoriété pour devenir le deuxième sport le plus suivi, surtout lorsque la Vinotinto joue. Chaque jour, de plus en plus de jeunes qui pratiquent le « balón-pie » pour essayer de devenir des professionnels. Si les clubs de football professionnels ont désormais leurs catégories de jeunes, d'où sortent souvent de grands joueurs, y évoluer ne signifie pas toujours que vous pouvez atteindre votre objectif de faire vos débuts dans le football professionnel. Il faut dire que longtemps, les portes d’accès au monde professionnel étaient difficiles à ouvrir. Au milieu des années quatre-vingts, la fédération a été la première à imposer une règle selon laquelle un joueur de moins de dix-huit ans devait figurer dans l’équipe pro, mais cette règle a été oubliée au fil du temps et il a fallu attendre 2007 pour qu’elle soit de nouveau appliquée, avec cette fois plus de vigueur et de résultats. C’est ainsi grâce à elle qu’ont éclos Rafael Romo, José Manuel Sema Velázquez, Salomón Rondón, Adrián Lezama ou encore Rafael Acosta, héros de la Coupe du Monde U20 de 2009. Aujourd’hui, cette règle s’applique en Copa Venezuela et en championnat. Elle permet d’inclure les joueurs âgés de seize / dix-sept ans aux matchs de coupe, ceux de dix-huit / dix-neuf ans à ceux de championnat. Celle-ci imposant au moins un joueur de ces âges sur le terrain, les équipes appellent généralement au moins deux joueurs, afin qu'en cas de remplacement du jeune joueur qui commence à jouer, il puisse y avoir un autre joueur qui respecte les règles et ainsi l'équipe évite d'être pénalisée – elle évite également les dérives observées notamment au Paraguay où l’on voyait des U20 sortir dès les premières minutes du match. L’objectif est clair : permettre aux jeunes joueurs de jouer à un niveau professionnel, de s'affirmer et d'avoir ainsi la possibilité d'être vus par les recruteurs.
À titre personnel, si je ne vous ferai plus vivre de foot sudam cette année sur @RMCsport, je vais quand même vous en parler ailleurs que sur LO.
— Lucarne Opposée (@LucarneOpposee) March 4, 2019
À commencer par @francefootball cette semaine. Début d'une nouvelle aventure pic.twitter.com/hsG3h0hiWy
Académies privées et export
La formation des jeunes joueurs au Venezuela a longtemps été un processus empirique, très peu de clubs ou d'académies avaient un programme de formation structuré qui cherche à développer un profil de joueur pour l'amener au football professionnel avec la capacité nécessaire pour s'établir au milieu. Longtemps, les caractéristiques des joueurs restaient associées aux zones géographiques : dans les Andes on trouvait des joueurs avec une meilleure technique, au centre et à l'est, les joueurs étaient surtout plus forts et rapides, alors que dans la région des plaines les joueurs étaient plus endurants. L'absence de programmes d'entraînement développés dans les centres de formation de la fédération a ainsi été ce qui a empêché d'obtenir des joueurs plus complets, beaucoup des meilleurs athlètes étant alors le résultat de processus aléatoires. Les choses ont évolué depuis et aux côtés des clubs, de nombreuses académies de football privées sont apparues. On peut citer l'Académie Emeritense FC qui a écrit les programmes de développement pour ses joueurs, permettant de réorganiser le modèle pour se rapprocher d’un profil de joueur précis (un joueur intelligent et très technique), ou encore l’Academia Dynamo Fútbol Club Margarita qui a vu l’un de ses joueurs, Wikelman Carmona, rejoindre le Red Bulls de New York. L’export plus massif des joueurs est la conséquence de cette réorganisation totale. Depuis deux-trois ans, les départs de footballeurs vénézuéliens se sont multipliés de manière notoire vers des destinations atypiques comme le Brésil, la Colombie ou encore la MLS (sept joueurs de la Vinotinto qui a disputé la Copa America venaient du championnat nord-américain).
Malheureusement, le développement a été ralenti par la situation sociale, les bévues fédérales et la crise économique du pays. Les maux du passé sont revenus, l'insolvabilité des clubs, le manque d'entretien des installations qui ralentissent un processus qui était porteur d'espoir. Ajouté à cela, la crise de la COVID-19 qui affecte les clubs – la deuxième division n’a toujours pas repris par exemple – entraîne que certains ont réduit les investissements dans leurs équipes de jeunes afin de donner la priorité aux coûts de la première équipe. Les compétitions nationales d'élite ne sont même plus jouées depuis 2019 chez les jeunes, ce qui aura forcément un impact moyen terme. Le Venezuela cherche toujours son identité, sa place dans le paysage footballistique sud-américain. Cela passera inévitablement par sa jeunesse. Celle qui pourrait enfin lui permettre de décrocher un rêve mondial, à la condition que ses acteurs ne lui tournent pas le dos.
Avec Nicolas Cougot
Merci à Luis Edgardo Aguillar, Andrew Paez, Armando Naranjo, et La Pizarra pour leur aide.
Crédit photo : imago images / Action Plus