La Paz, mardi 28 mars 2017. La sélection bolivienne retrouvait pour la première fois de l’année le stade Hernando Siles, cinq jours après sa courte défaite 1 à 0 en Colombie. Déjà éliminée de la course à la qualification pour la Coupe du Monde en Russie, les verdes rencontraient l’Argentine, qui elle s’est replacée après sa victoire face au Chili jeudi sur le même score.

Avant match

Située à la 97ème position au classement FIFA, entre la Syrie et le Swaziland, la Verde vit actuellement une période difficile, sur le terrain mais aussi en dehors. Mauricio Soria est le troisième sélectionneur à s’asseoir sur le banc de la sélection lors de ces qualifications après Julio César Baldivieso (remercié en juillet 2016) et l’argentin Angel Guillermo Hoyos, parti entraîner le Club Universidad de Chile au mois de décembre. Jeudi dernier, le pays a même égalé le triste record du Luxembourg, celui du nombre match consécutif sans victoire à l’extérieur pendant des éliminatoires de Coupe du monde (53 matchs sans victoire). Leur dernier succès chez un voisin Sud-Américain date de 1993, année où la Bolivie s’était qualifié pour la Coupe du monde aux Etats Unis. Le Luxembourg avait lui stoppé cette vieille série en allant gagner en Suisse en 2008 (2-1).

La mise en examen de deux dirigeants de la fédération et surtout les 4 points perdus sur tapis vert lors des rencontres face au Pérou (victoire 3-0) et au Chili (0-0)[i]  sont d’autres témoins de la crise que traverse actuellement le football bolivien. Pourtant, Mauricio Soria arrive en connaisseur. En 2015, c’est déjà lui qui avait permis à la sélection d’atteindre les quarts de finale de la Copa America.

Pour son retour, Soria a décidé de se tourner vers l’avenir. Ces deux rencontres du mois de mars étaient l’occasion de tester de nouveaux joueurs. Ainsi, il a fait le choix d’appeler 35 joueurs dont 13 issu de la sélection U20. La décision d’élargir autant son groupe pouvait paraître insensée mais en réalité, l’objectif était clair. Dans un premier temps Soria voulait aller en Colombie avec un effectif issu des régions les plus tropicales du pays pour empêcher de sombrer dans la chaleur de Barranquilla. L’autre partie du plan consistait à laisser pendant ce temps-là les cadres de la sélection travailler à La Paz pour éviter que les effets de l’altitude ne s’estompent sur leurs organismes en vue du match face à l’Argentine. D’ailleurs, parmi ce groupe resté à La Paz, six joueurs jouent pour le club du Strongest, meilleur club de la ville. Lors du match en Colombie, cinq boliviens ont fêté leur première sélection et la majorité des hommes ayant participé à ce voyage n’a pas été reconduite pour affronter les coéquipiers de Lionel Messi. Si jouer à 3600m d’altitude est difficile à gérer pour les adversaires, ça l’est aussi pour les joueurs boliviens n’évoluant pas à La Paz en club.

De son côté, l’Argentine se présentait avec plusieurs incertitudes. Les trois points gagnés face au Chili ne l’ont pas pour autant rassurée quant à son niveau de jeu.  Le sélectionneur Edgardo Bauza devait revoir son effectif et composer sans Messi, Higuaín, Mascherano, Biglia et Otamendi, tous les cinq suspendus. L’autre interrogation de taille était de voir comment les argentins allaient s’acclimater aux hauteurs de La Paz. N’importe quelle nation appréhende de venir jouer au stade Hernando Siles mais l’Argentine davantage depuis le traumatisme vécu en 2009 et cette fameuse défaite 6-1. En 2013, les coéquipiers de Lionel Messi avaient redressé la barre en accrochant un match nul à La Paz (1-1), elle avait alors terminé première de son groupe de qualification en marge de la Coupe du Monde 2014 au Brésil.

Pour parer à cette inquiétude, le staff argentin n’a pas hésité à fournir ses joueurs en Viagra, qui est censé limiter les effets de l'altitude sans pour autant enfreindre les lois antidopage.  Les dirigeants argentins ont également choisi de faire atterrir leur équipe à La Paz au dernier moment. Les Argentins sont arrivés en provenance de Santa Cruz à 12h, soit seulement 4h avant le coup d’envoi.

Le match

Depuis quelques jours ce match est présent dans tous les esprits des boliviens. Le président Evo Morales a même fait le déplacement et les fonctionnaires boliviens munis d’un billet ont l’autorisation de quitter le travail à 15h pour arriver au match dans les temps. Toutes les places ont été vendues et la première campagne de vente de billets sur internet de l’histoire bolivienne a été un succès puisqu’en deux jours les 10 000 billets proposés ont trouvé preneur. 

Quelques heures avant le coup d’envoi des trombes d’eau ont commencé à s’abattre sur La Paz, comme pour casser davantage le moral des Argentins. A l’approche du stade, il est impossible d’apercevoir un seul maillot de la sélection bolivienne ou argentine, météo oblige, tout le monde s’est résolu à acheter un poncho pour 5 bolivianos (moins d’un euros). Qu’il soit vert, jaune, rouge, bleu ou blanc, ce défilé de couleur donne lieu à un savoureux spectacle si bien qu’il pourrait être impossible de dire qu’elles sont les deux équipes qui s’affrontent aujourd’hui.  En entrant dans le stade, les gradins sont vides. Pourtant le coup d’envoi approche.  La pluie qui s’abat ne presse pas les supporters qui préfèrent profiter d’une consommation entre amis ou en famille et attendre le dernier moment pour aller s’asseoir dans les tribunes, car la grande majorité du stade n’est pas couverte. Le public qui assiste au match n’est pas le même que celui qui vient voir les rencontres du Bolivar ou du Strongest en championnat le week-end. Aujourd’hui, pas de cholitas ou de nourrissons dans les tribunes. Nous sommes mardi après-midi et il est difficile pour les classes sociales les plus basses de se libérer. Le prix du billet est évidemment un frein supplémentaire car pour assister au match il faut débourser plus du double qu’à l’accoutumée pour un match de championnat bolivien.

Lorsque les joueurs entrent sur la pelouse la pluie s’est arrêtée. Les tribunes se sont remplies et après un hymne bolivien vibrant le match peut commencer.  D’entrée de jeu, on sent la volonté des hommes de Soria d’aller de l’avant et la fébrilité des joueurs argentins ne fait que les encourager à poursuivre leurs élans offensifs. Les plus grosses occasions sont donc à mettre à l’actif des locaux même si Di Maria aurait pu ouvrir le score s’il n’avait pas manqué son duel face à Lampe peu avant la demi-heure de jeu.  Quelques minutes plus tard, le stade Hernando Siles explose lorsque Conejo Arce trompe la vigilance de Romero en le devançant de la tête (1-0).  Juste avant le retour au vestiaire le public bolivien prend confiance et accompagne sa sélection en lançant des « oléé » à chaque passe réussie. Toujours avec la même philosophie de jeu, le Bolivie double la mise en début de seconde période par l’intermédiaire de Marcelo Martins. Le joueur de Wuhan Zall (D2 chinoise) profite d’un gros travail de Jorge Flores sur le côté gauche pour crucifier Romero de près. La Curva Norte amorce le fameux BO BO BO suivi immédiatement d’un LI LI LI en tribune latérale puis d’un VIA VIA VIA en tribune présidentielle. Le tout est ponctué d’un « VI-VA BO-LI-VIA » que le tout le stade reprend en cœur. Le plus dur était fait pour la Bolivie qui se contentait de gérer la dernière demie heure malgré quelque frayeur devant le but de Lampe suite aux rentrées de Agüero et surtout d’Acuna. Au coup de sifflet final le public pouvait exulter : cette victoire entretient encore un peu plus le mythe de l’Hernando Siles.

Grâce à ce résultat la Bolivie compte désormais dix points et reste avant dernière du groupe devant le Venezuela. L’Argentine devra montrer un autre niveau de jeu si elle veut aller chercher une place qualificative pour la Coupe du Monde en Russie.

conf

 

Par Thomas Allain à La Paz pour Lucarne Opposée



[i] La Bolivie avait alors aligné Nelson Cabrera. Le défenseur natif du Paraguay était arrivé en 2013 en Bolivie. Naturalisé en février 2016, il avait déjà joué avec la sélection paraguayenne en 2007. Or selon la FIFA, un joueur ne peut prétendre à un changement de sélection nationale qu'après avoir passé cinq ans ininterrompus dans son nouveau pays.

Thomas Allain
Thomas Allain
Breton exilé à La Paz. Correspondant en Bolivie pour Lucarne Opposée