Il y a deux ans, le 8 octobre 2015, l’Uruguay venait s’imposer à La Paz pour le lancement des qualifications en Amérique du Sud. Jeudi dernier, la Bolivie recevait les brésiliens pour clôturer une année 2017 réussie. Inside.

La Paz, jeudi 5 octobre 2017. Le chauffeur de taxi qui me transporte jusqu’au stade est enfin parvenu à régler son autoradio sur la fréquence sportive locale. Cette fois c’est certain, les journalistes sont formels : Neymar ne fera pas faux bond au pays andin comme l’avait fait Lionel Messi en mars dernier[i]. Le numéro 10 brésilien est bien entré dans le bus de la Seleçao et se dirige vers le principal terrain de jeu bolivien, l’estadio Hernando Siles. Je choisis ce moment pour entamer la discussion avec le chauffeur pourtant très attentif aux analyses d’avant match. Il me confie qu’il s’attend à un match compliqué pour la Verde (surnom donné à la sélection bolivienne). Difficile de lui donner tort : cinq des protagonistes de la récente victoire face au Chili sont absents et le sélectionneur Soria doit suivre la rencontre depuis les tribunes, pénitence choisie par la FIFA après son doigt d’honneur adressé à un joueur chilien.

A quelques cuadras du stade, le chauffeur me fait part de sa crainte de voir la rencontre entre l’Argentine et le Pérou se solder par un match nul ; auquel cas cela ferait les affaires du Chili, ennemi juré de tout bolivien. Nous nous quittons sur cette confidence. Je lui règle les 30 bolivianos convenu et, sous un soleil de plomb, je me laisse glisser dans la foule qui m’emporte vers le stade. Les stands et diverses animations ne manquent pas. La majorité des supporters s’est rassemblée autour du temple de Tiwanaku, bâti en l’honneur de la civilisation pré-inca à une centaine de mètres de la façade du stade. Parmi ces supporters, des vendeurs tentent de liquider leurs derniers billets pour la plupart achetés quelques jours plus tôt sur internet. Plus loin, les sponsors de la sélection bolivienne sont en première ligne. Coca-Cola propose aux fans les plus patients de faire la queue pour un verre gratuit. L’opérateur téléphonique Tigo présente un jeu visant à éjecter le plus loin possible un ballon de football à l’aide d’une catapulte de premier prix. A côté, des maquilleuses d’un jour s’invitent à la fête et se baladent avec leurs étuis aux couleurs du drapeau bolivien: rouge, jaune et vert. L’atmosphère est paisible et les oreilles se laissent bercer par les vibrations lointaines d’un jeune groupe de musiciens locaux profitant de l’événement pour exposer leur talent. Au plus près du stade, les vendeurs de maillots se partagent le trottoir avec les cholitas qui bataillent pour transformer leurs salchichas en enchantement sensoriel. Le tout avec l’ambition de remplir l’estomac du spectateur impatient.

A 1h30 du coup d’envoi, les sirènes de la police annoncent l’arrivée du bus brésilien. Je me dirige alors vers la tribune habituellement réservée aux hinchas du Strongest, club de La Paz partageant le stade avec le Club Bolivar. En chemin, j’aperçois un nombre incalculable de maillots floqués au nom de Neymar. Un ignare total du football pourrait retracer sans problème la carrière du génie auriverde. Brésil, PSG, Barcelone et même Santos : son nom est partout et aucun maillot à l’effigie d’un autre joueur de la Seleçao n’est à vendre. Je profite de mon accréditation pour pénétrer dans l’enceinte et je parviens à me placer au premier rang d’une interminable rangée de journalistes. Tour à tour, les brésiliens  descendent du bus et adressent un petit signe de la main à la presse. Neymar sortira bien après ses coéquipiers, sans un regard en notre direction. Quelques minutes plus tard, l’arrivée des joueurs boliviens se fera dans un autre climat, avec sourires et décontraction.

Le match

Fidèle à son habitude, le public bolivien ne s’installe en tribunes que peu de temps avant le coup d’envoi. Le tableau est magnifique, les 28 000 spectateurs annoncés semblent s’être accordés pour faire jaillir un assortiment de couleurs rappelant les plus belles toiles pointillistes de Seurat. Les joueurs entrent sur la pelouse et les hymnes peuvent retentir. Le public présent au match n’est pas le même que celui qui assiste aux rencontres du Bolivar et du Strongest en fin de semaine. L’ambiance est plus familiale et aucune tribune ne fait monter l’effervescence. Nous sommes jeudi après-midi et il est difficile pour les classes sociales les plus basses de se libérer. Le prix du billet est un frein supplémentaire; pour assister au match il faut débourser plus du double qu’à l’accoutumée pour un match de Liga bolivienne. Le premier acte de la rencontre s’amorce dans un silence presque inconfortable, comme si le public était intimidé à la vue des stars brésiliennes. Peu à peu, le match commence à s’animer et les exploits du gardien Lampe face à Neymar font basculer le stade dans un enivrement total. Les offensives adverses auront eu le mérite de réveiller les spectateurs qui chantent désormais à l’unisson le nom du portier bolivien. Le spectacle entre avec fracas dans la partie et les supporters n’arrivent pas à détacher ce sourire de leur visage, éblouis par les prouesses du dernier rempart local. L’enchantement se poursuit lorsque Bejarano expédie un missile sur la barre du gardien brésilien Alisson Becker. La balle rebondit pleine ligne mais peu importe, le public est émerveillé et l’arbitre siffle la fin de la première période dans une effervescence absolue.

La mi-temps, lors d’une rencontre de la sélection bolivienne, permet de remplir deux tâches. La première, traditionnelle, consiste à faire la queue entre amis pour se procurer un sandwich de poulet tout en débâtant de l’issue incertaine du match. La seconde, moins ordinaire, consiste également à faire la queue, mais pour une tout autre raison : avoir SA photo avec l’homme déguisé en Grand condor des Andes. Ce supporter n°1 que les fans des bleus qualifieront de « Clément d’Antibes bolivien » est indissociable d’une rencontre de la Verde au point même que certains journalistes n’hésitent pas à lui tendre le micro pour avoir son ressenti sur la rencontre. 

La partie reprend. Mon voisin de gauche saisi ses écouteurs et les cale dans ses oreilles pour ne rater aucune analyse du match. La Bolivie fait bonne figure dans ce second acte mais ne se crée pas de situations franches. Le milieu de terrain Juan-Carlos Arce est très inspiré et pose beaucoup de difficultés aux brésiliens. Malgré cette bonne prestation, le sélectionneur Soria prend la décision de le remplacer. En voyant le numéro 7 d’Arce s’afficher sur le panneau du quatrième arbitre, le public comprend que le sélectionneur a choisi de sortir le maître à jouer bolivien. A ce moment, toute la tribune préférentielle se lève d’un seul homme pour lancer un regard sombre vers le sélectionneur présent aux côtés du public en raison de sa suspension. Conspué en raison de sa décision, Soria est protégé par une poignée de policier équipée d’un bouclier anti-émeute qui a été déplacée en urgence. Plus personne ne regarde en direction de la pelouse, l’animation est en tribune et tous les yeux sont tournés vers un seul homme. Pendant ce temps, le talentueux Saucedo fait son entrée sur la pelouse et le jeu reprend. Les spectateurs cessent alors d’apostropher le sélectionneur et se reconcentrent sur le jeu. La rencontre se terminera sans but et Neymar ira directement échanger son maillot avec le gardien Lampe, héros national.

Les joueurs locaux regagneront les vestiaires sous l’ovation du public. Après avoir battu l’Argentine et le Chili, les Boliviens ont résisté aux Brésiliens, candidat sérieux à la victoire finale en juillet prochain sur le sol russe. De son côté la Seleçao a décidé de rester un peu plus longtemps dans l’enceinte de l’estadio Hernando Siles. Cela a permis à certains joueurs d’enfiler un masque relié à une bouteille d’oxygène, dispositif qui permet d’éviter certains symptômes liés à l’altitude comme les maux de tête. La nuit est tombée sur La Paz, le trafic dans le quartier de Miraflores peut reprendre. En 2018, la Verde entamera une série de matchs amicaux qui devrait se dérouler loin de La Paz du fait des réticences des autres sélections à venir jouer sous fonds de cimes enneigés, à plus de 3 600 mètres d’altitude.

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[i] En mars dernier, tous les médias annonçaient la titularisation de Lionel Messi sur le front de l’attaque argentine pour affronter la sélection bolivienne. Malheureusement, la FIFA en avait décidé autrement en suspendant le joueur argentin le matin même du match.

Thomas Allain
Thomas Allain
Breton exilé à La Paz. Correspondant en Bolivie pour Lucarne Opposée