Il n’aura manqué qu'un rien pour que le Chili de Pizzi sauve sa peau et se qualifie pour la prochaine Coupe du Monde. Le diable se nichant dans les détails, cette élimination fait entrer tout un pays et un football dans une crise profonde. Au point de déterrer de vieux fantômes et de se livrer à une véritable chasse aux sorcières, brûlant ceux qu’il avait tant adorés et à qui il avait jusqu’ici tout pardonné.

Les fantômes de Puerto Ordaz

Juillet 2007. A 48h d’affronter le Brésil en quarts de finale de la Copa América, la délégation chilienne est à Puerto Ordaz, au Venezuela. Dirigé par Nelson Acosta, le Chili est sorti, non sans mal, d’un groupe composé de l’Equateur (victoire arrachée à quelques minutes de la fin sur un doublé de Suazo et un but de José Luis Villanueva, le Chili ayant été mené à deux reprises au score), du Brésil (défaite 3-0, triplé de Robinho) et du Mexique (match nul sans but qui assurait la première place au Tri et l’une des deux meilleures troisièmes à la Roja). Après la rencontre face au Mexique, les joueurs se voient accorder du temps libre qui va déboucher sur l’un des plus grands scandales qui a touché la sélection. Le 5 juillet à 7 heures du matin, six joueurs, Jorge Valdivia, Rodrigo Tello, Reinaldo Navia, Pablo Contreras, Jorge Vargas et Álvaro Ormeño, sont au restaurant de l’hôtel Mara Inn et dérapent, tous étant en état d’ébriété avancé. Le tout en pleine Copa América. Deux jours plus tard, alors que les détails de la nuit n’ont pas encore filtré dans la presse, la Roja est écrasée par le Brésil 6 buts à 1 et se retrouve boutée hors de la compétition. Au retour à Santiago, les six joueurs passent devant l’ANFP. Ils prennent alors 20 matchs de suspension, tous, sauf Ormeño verront leur peine réduite de moitié après avoir demandé publiquement le pardon. Des six, quatre seront rappelés en sélections, trois seulement rejoueront avec le maillot rouge, Ormeño purgeant ses 20 matchs et étant rappelé cinq ans plus tard par Claudio Borghi sans pour autant entrer sur le terrain. Puerto Ordaz venait ainsi s’ajouter à un scandale qui avait déjà touché la sélection l’année précédente, le « Dublinazo » impliquant déjà Reinaldo Navia qui avait été surpris avec Mark González en compagnies de filles aux mœurs légères et de l’alcool dans les couloirs de l’hôtel de la sélection.  Ces deux événements marquent un tournant symbolisé par l’arrivée de Marcelo Bielsa, le Chili décide d’imposer une discipline, un code de conduite qui prévaut sur les résultats.

vidalbielsa

Bielsa ou le retour des valeurs

Ces beaux concepts dureront un peu plus de trois ans, correspondant à l’ère Bielsa. Sous la conduite de l’Argentin, aucun événement négatif ne vient entacher le parcours de la sélection qui retrouve la Coupe du Monde et au sein de laquelle la génération des mondialistes u20 2007, emmenés par Arturo Vidal, prend place. Reste que le statut d’Arturo Vidal, pilier de cette génération, est souvent remis en cause par son sélectionneur qui n’en fera pas un cadre de sa sélection, le faisant évoluer derrière, dans l’axe, en latéral, jamais à la position qu’aurait aimé celui que l’on surnommait alors Celia Punk. Il l’écartera même de la sélection après l’affaire du Tournoi de Toulon, quand Vidal refusera de s’y rendre, et pour les matchs décisifs face à la Bolivie et au Venezuela qui verront Vidal se lâcher dans les médias (alors qu’il était censé se reposer en famille) et même envisager que la Roja ne gagnerait pas ces deux matchs (chose que le Chili fera, Claudio Bravo dédiera même la victoire en Bolivie à « ceux qui sont devant leur télévision, » allusion claire à Vidal). Arturo Vidal devra ravaler sa fierté pour revenir en sélection, il s’excusera, reviendra, jouera (latéral ou milieu gauche) pendant la Coupe du Monde 2010. De son histoire avec le Rosarino ne reste qu’une phrase, prononcée par son sélectionneur et qui raisonne encore de nos jours. « Tout ce que tu fais est désordonné. Si tu veux jouer avec moi, tu devras accomplir le travail que l’on te demande, pas celui qui te semble suffisant. Le football n’a pas besoin de héros. » Pourtant, après le départ de Bielsa, aux commandes de cette génération du mondial 2007, Arturo Vidal va devenir el Rey. Alors que sa sélection a gagné le pari des valeurs, le Chili va pourtant faire le choix des héros.

Le miroir aux alouettes

Après le départ de Bielsa, la génération 2007 assoit son statut de génération dorée. À la différence de leurs glorieux ancêtres les enfants de 2007 vont gagner des titres. Et tant qu’ils gagnent, tout leur est pardonné. Alors les scandales se succèdent. Tadilla 2011, Jean Beausejour et Jorge Valdivia sont pris en état d’ébriété à quelques heures d’un entraînement en pleine préparation des éliminatoires à la Coupe du Monde 2014. Bautizazo 2011, quand Valdivia fête de manière très arrosée le baptême de son dernier à deux jours de jouer l’Uruguay et que plusieurs joueurs, Arturo Vidal, Carlos Carmona, Jean Beausejour et Gonzalo Jara, terminent dans un état lamentable (tous prendront 10 matchs de suspension, Vidal en accomplira seulement la moitié). Urracazo 2012, quand Gary Medel, blessé, et Edu Vargas, à qui il fut accordé d’aller disputer le jubilé de Diego Rivarola, sont rattrapés en boîte de nuit jusqu’à 4 heures du matin. Puis juin 2015.

Après le nul spectaculaire ayant scellé la rencontre Chili – Mexique en Copa América, les joueurs ont quartier libre. Au milieu de la nuit, el Rey Arturo crashe sa Ferrari entre Rancagua et Santiago, les images de son arrestation en état d’ébriété font resurgir les fantômes du passé, placent le Chili devant ses contradictions. Les débats sont animés dans un pays qui rêve de remporter sa Copa América et sent que c’est l’année ou jamais. Il ne se passe pas un moment, il n’y a pas un lieu où l’affaire Vidal et sa gestion n’est pas abordée. Et toujours l’ère Bielsa revient comme un boomerang, venant rappeler que les débordements de ces dernières années ne cessent de diviser le pays en deux camps irréconciliables. Eduardo Rojas Rojas, auteur des « 11 caminos al gol, » ouvrage indispensable pour comprendre l’homme qui a tout changé, ne peut alors éviter d’en parler (l'entretien complet à lire ici) : « Aujourd’hui, Arturo Vidal s’est fait pardonner par les politiques qui sont obligés de montrer cette image parce que tout le monde veut gagner. Personnellement je ne m’identifie pas avec ça, si le Chili est champion et Vidal marque un but, je serais très heureux pour les Chiliens mais je ne m’identifierais pas avec cette vision. Je pense qu’il faut savoir faire la part des choses. » L’histoire veut que Sampaoli voulait se débarrasser de son Roi mais que, sous pression du président Jadue et de l’opinion publique, il ne l’a pas fait. Lui, l’enfant du Bielsisme se couche devant la quête du résultat. Les fausses larmes de Vidal tentent alors de calmer un peuple chilien totalement divisé. La victoire face à l’Argentine va alors sacrer le camp de ceux qui placent le résultat au-dessus de tout. La confirmation de ce succès lors d’une Copa América Centenario au cours de laquelle Arturo Vidal fut essentiel n’a fait qu’assoir le statut particulier pris par cette génération 2007. Alors, tout le monde a fermé les yeux, tout le monde a continué de tout pardonner. Les affaires n’ont cessé. Il y a eu celle du vestiaire de Lima après une folle victoire 4-3 en début d’éliminatoires face au Pérou en 2015 quelques mois après la victoire en Copa América, il a eu celle du casino impliquant Vidal, la dernière à ce jour au sein de la sélection. Des affaires qui aujourd’hui sont passées de l’admissible à l’inadmissible en raison d’une triste élimination de la Coupe du Monde.

Sur le terrain, le Chili a failli, personne ne peut le nier, personne ne peut affirmer le contraire, personne ne peut se cacher. Mais plutôt que d’analyser ce qui n’a pas fonctionné sur le terrain (les raisons sportives sont multiples), ce qu’il a manqué pour gratter ce point qui aurait envoyé la Roja en Russie, le Chili choisit une autre voie, celle de brûler ses idoles, de renier ceux dont il avait fait ses héros. À commencer par le plus clivant de tous, Arturo Vidal, désormais livré aux chiens.

La publication deux ans plus tard par Las Últimas Noticias des propos tenus par Sampaoli un soir de décembre 2015 dans un cadre privé ne vient qu’alimenter davantage cette chasse aux sorcières qui a lieu désormais dans un Chili qui n’arrive pas à accepter le fait d’avoir sacrifié ses principes au nom de la victoire, qui ne peut, ne veut accepter de regarder son image sur le miroir de ses contradictions. Et qui, pour se racheter une conscience, choisit donc de livrer au bûcher Arturo Vidal, victime expiatoire qui cristalise les rancœurs alors qu'il n’est qu’un cas parmi d’autres d’une génération à qui il n'a jamais donné de limites au motif qu'elle gagnait, et sur laquelle tout un pays a désormais décidé de jeter l’opprobre. Une génération qui lui aura apporté ses seuls titres. Une génération qu’il n’a jamais voulu éduquer. Une génération à qui il a tout pardonné et à qui il vient désormais expliquer qu’elle n’a cessé de fauter. Une génération qu’il veut désormais sacrifier pensant ainsi qu’il pourra mieux expier ses propres erreurs et repartir à zéro quand il se retrouve projeté 10 ans en arrière.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.