L'actualité footballistique colombienne est marquée par un débat autour de la naturalisation de Franco Armani, le gardien argentin de l'Atlético Nacional, en vue de la prochaine Coupe du monde.

David Ospina ou Franco Armani ? Franco Armani ou David Ospina ? Alors que la Colombie vient à peine de composter son billet pour la Russie, un débat agite déjà la future liste du sélectionneur José Perkerman. Surtout, il se cristallise autour d'un des joueurs les plus importants dans l'histoire du football colombien, l'actuel gardien d'Arsenal David Ospina. Plus habituelle en France (histoire des quotas, convocation de Higuain, appel du pied de Brandao ou même il suffit de voir le nombre de joueurs qui décident de jouer pour une autre sélection) cette question de binationalité ou de naturalisation de joueur est inhabituelle en Colombie.

Binationaux, une rareté en Colombie

Dans l'histoire seulement six joueurs naturalisés ont porté le maillot de la sélection cafetera et les six l'ont été entre 1975 et 1977. Et sur ces six joueurs, seulement deux ont été appelés pour une compétition internationale, la Copa America 1975. Ces deux joueurs sont le colombo-argentin Hugo Horacio Lóndero (trois fois meilleur buteur du championnat colombien et actuellement troisième meilleur buteur de l'histoire du football colombien avec 205 buts) et le colombo-uruguayen Nelson Silva Pacheco.

Cette question est inhabituelle pour une raison de règlement notamment. Pour obtenir la nationalité colombienne, quand on est latino-américain (Amérique du Sud et Amérique centrale et Caraïbes), il faut passer six ans sur le territoire colombien, cinq ans de visa de travail pour obtenir la résidence permanente et un an supplémentaire derrière (si cette thématique vous intéresse vous pouvez trouver les information ici pour le visa de résident permanent et pour la nationalité). Niveau football, en Liga Águila, les équipes ne peuvent aligner que trois étrangers en même temps sur le terrain et ne peuvent en avoir que quatre dans l'effectif. Par étranger évidemment, on entend toutes les personnes qui n'ont pas de passeport colombien, le football de l'avant arrêt Bosman en quelque sorte. Avec les moyens financiers actuels des clubs colombiens, il est évidemment impossible d'espérer attirer les meilleurs joueurs du championnat brésilien, argentin ou même chilien. La seule exception serait l'actuel gardien uruguayen de Junior, Sebastián Viera, arrivé en Colombie en 2011 à 27 ans. Alors, généralement, ces joueurs « de second rang » d'une n'ont pas le niveau pour espérer frapper à la porte de la sélection et de deux ne restent pas suffisamment longtemps pour espérer obtenir la nationalité. Et quand les joueurs viennent d'un pays où la sélection a « un niveau inférieur » à celui de la Colombie, ils sont déjà internationaux. Comme par exemple le défenseur central panaméen Román Torres, resté 9 ans en Colombie mais international dans son pays.

Une fois le contexte posé on peut se poser deux questions. Est-ce-qu'Armani est éligible pour la nationalité ? Oui, arrivé à Medellin en 2010, il est en droit de demander la nationalité colombienne sans un coup de pouce de l'administration. Et est-ce-que le portier argentin a envie d'être appelé en sélection colombienne ? Oui. C'est d'ailleurs lui qui, sans le vouloir forcément, a lancé le débat en déclarant : « Me interesa, me interesa estar en la Selección » (ça m'intéresse, ça m'intéresse d'être en sélection), « He esperado mucho tiempo el llamado de la Selección de mi país, pero como ven todos no me tienen en cuenta » (j'ai attendu beaucoup de temps d'être sélectionné avec mon pays mais comme vous voyez ils ne me prennent pas en compte).

Ospina, monument en péril

Si la question fait débat en Colombie c'est pour plusieurs raisons. La première, c'est qu'actuellement David Ospina ne joue pas (ou très peu) avec Arsenal où il est doublure derrière Petr Cech. Ce manque de compétition aurait pu coûter cher à la sélection lors des deux dernières journées où il a fait trois erreurs sur les deux matches. Mais la deuxième question pose un dilemme. Car Ospina est tout simplement un monument du football colombien. En termes de sélection, c'est le cinquième joueur dans la hiérarchie puisqu'il a porté à 83 reprises le maillot des Cafeteros (pour info le premier c'est El Pibe Valderrama avec 111 capes devant Yepes qui en a 102) et surtout c'est le premier gardien. C'est aussi le seul joueur à avoir joué l'intégralité des éliminatoires. Reste qu’il y a un troisième point, important, c'est qu'il y a match entre les deux. Depuis 2010 et son arrivée au pays du café, Armani a gagné 13 titres, dont 6 titres de champion et une Copa Libertadores. Un record dans l'histoire du club le plus titré du pays. En 2016, il a même été nommé gardien de l'équipe type du continent sudaméricain par le journal uruguayen « El Pais » (avec 6 joueurs de l'Atlético Nacional dans l'équipe type). Du haut de ses 242 matches dire qu'il est devenu un pilier de ce club serait un euphémisme. Et ce n'est pas un hasard tant il a brillé sur la scène continentale, les joueurs de Central peuvent en témoigner ou même ceux de Cerro Porteño qui s'étaient cassés les dents en demi-finale retour de la Copa Sudamericana, que sur la scène nationale évidemment où il n'est pas étranger à la saison exceptionnelle réalisée par le club paisa l'année dernière notamment.

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La formation en question

Interrogé par Caracol Radio au sujet de la présence du gardien de l'Atlético Nacional dans la prochaine liste de Pekerman (il ne le sera vraisemblablement pas puisqu'il n'a pas encore reçu ses papiers colombiens), l'ancien gardien de Nice et actuel titulaire a voulu défendre la formation des gardiens colombiens en précisant que « c'est un thème compliqué à traiter » avant d'ajouter « je connais Franco, c'est un gardien incroyable, il l'a montré avec l'Atlético Nacional […] mais je fais partie de ceux qui pensent qu'on doit continuer de croire en  nos gardiens colombiens. Nous avons de bons éléments et on ne peut pas l'oublier. » Même son de cloche chez deux gardiens historiques Óscar Córdoba et Faryd Mondragón interrogés par une autre radio colombienne, la FM. L'ancien gardien de Boca a même été très critique en affirmant que « c'est un terrain que nous avons gagné, que nous avons protégé et malgré la grande forme d'Armani, il nous appartient en quelque sorte ». L'ancien gardien du FC Metz a d'abord tempéré ce phénomène en disant « c'est une chose de naturaliser Franco Armani, ça en est une autre de l'appeler en sélection » avant de donner la liste des remplaçants en sélection « derrière David Ospina il y a Camilo Vargas (numéro de l'Atlético Nacional derrière Armani), il y a Leandro Castellanos qui est exceptionnel en ce moment avec Santa Fe, il y a David González du DIM. Il y a José Fernando Cuadrado une figure de l'Once Caldas. Cristian Bonilla de La Equidad. » Les soutiens d'Armani pourront répondre que hormis Castellanos, les autres n'ont aucune expérience internationale. Ce qui peut être embêtant dans l'optique d'une Coupe du monde et que David González a 35 ans et est moins performant avec son club cette saison.

Peu fréquent, c'est donc un vrai débat et un vrai choix à faire en vue de la Coupe du monde pour la sélection colombienne. Du côté de l'Argentin, on ne reste pas insensible et drôle d'alignement des planètes l'actuel entraineur de l'Atlético Nacional est Juan Manuel Lillo, l'ancien assistant de Jorge Sampaoli… actuel sélectionneur de l'Albiceleste. Les deux hommes se sont parlés dernièrement au sujet du gardien argentin comme l'a avoué l'entraineur du club colombien. Ospina blessé et incertain pour les matches de novembre, Pékerman se trouve devant une situation qu'il n'avait pas prévue. Il va devoir trancher vite sous peine de laisser s'installer une situation instable qui ne serait bonne pour personne et surtout pas pour la sélection.  

Pierre Gerbeaud
Pierre Gerbeaud
Rédacteur Colombie pour Lucarne Opposée