Après une campagne de qualification usante, on attendait de voir l’Argentine se remettre dans le bon sens et profiter de la sérénité apportée par la qualification pour construire et poser les bases d’un candidat au titre. Raté. Après la débâcle face au Nigeria, la victoire italienne n’aura été qu’un incident avant une déroute totale, mondiale qui plonge l’Albiceleste dans le puits des doutes.

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Oublié la défense à trois. Le naufrage amical face au Nigeria a sans doute planté quelques graines, à moins que seule l’absence de Messi n’ait poussé Sampa à chercher un plan B, l’Argentine a abordé ses deux matchs amicaux européens avec le grand retour de la défense à quatre. La bonne nouvelle, c’est que cela signifiait enfin le retour de spécialistes à leur poste (adieu Acuña latéral) et surtout offrait aux joueurs des lignes arrière la possibilité de jouer à leur position fétiche. Le calsidense avait donc opté pour le duo estampillé Independiente Tagliafico – Bustos dans les couloirs, Otamendi étant associé à Fazio face à l’Italie et à l’indéboulonnable Rojo face à l’Espagne. Fini le 3-4-3 sampaoliesque donc et place à une grande tendance en AmSud (et aussi en Europe), un 4-2-3-1 qui supposait donc une association sentinelle – relanceur en milieu défensif, d’un vrai numéro 10 pour orchestrer la manœuvre, de vrais ailiers sur les côtés et d’un pur neuf en pointe. Le moins que l’on puisse dire est que Sampa n’a pas fait ce choix. Que ce soit face à l’Italie, Lanzini excentré côté droit, Lo Celso en 10, ou soit face à l’Espagne avec Meza posé dans un couloir (!!) et Banega en créateur devant un duo ultra défensif Biglia – Mascherano (oui parce qu’on ne sait pas vraiment comment définir Biglia). Un point commun cependant, Pipita Higuaín de retour devant.

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Depuis des mois, tout au long de la campagne de qualification, notamment depuis l’arrivée de Sampa, nous n’avons eu de cesse de pointer l’absence de cohérence de cette équipe, les choix étranges (parfois contraires à toute logique) opérés par le calsidense, si l’Italie n’a pas permis de les mettre en évidence, l’Espagne l’a fait avec brio. Certes l’Argentine s’est imposée face à la Nazionale, on n’oubliera cependant pas de noter que, comme par hasard, elle a montré un meilleur équilibre lorsque Pavón a pris le couloir droit et permis à Lanzini de se replacer dans l’axe, au cœur du jeu aux côtés d’un Banega, plus efficace que Paredes. Mais face à un adversaire d’un autre calibre, ce sont ses carences, souvent soulevées aux cours des derniers mois, qui ont explosé aux yeux du monde. Comment créer du jeu lorsqu’on associe deux milieux défensifs collés à la défense ? Comment créer du jeu quand l’un des rares joueurs capables de le faire au coup d’envoi est exilé sur un côté dans un rôle d’ailier qui n’est pas le sien ? Pourquoi donner les clés du jeu à Banega qui n’est pas un numéro 10 et excentrer dans un couloir le pauvre Lo Celso, qui pourrait faire ce travail (il l’avait montré à Central) même s’il s’exprime véritablement à pleine mesure lorsqu’il est libre, associé à un autre meneur de jeu (rappelons son association à Cervi à l’époque de son éclosion) ? Comment créer du jeu quand la défense n’est jamais la même, n’est qu’un chantier constant sans aucun repère et manque ainsi du moindre automatisme ? L’Argentine se cherche, n’a pas de schéma. Elle est évidemment capable de fulgurances, mais elle n’a pas de football. Face à une Espagne parfaitement rodée, parfaitement équilibrée, elle l’a payé au prix fort en concédant son quatrième revers le plus large de l’histoire (après les 1-6 face à la Tchécoslovaquie en 1958, le 0-5 face à la Colombie en 1993 et le 1-6 face à la Bolivie en 2009).

Une équation insoluble

Mais le principal souci de cette équipe d’Argentine est que son style de jeu, sa philosophie générale n’a qu’un nom : Lionel Messi. En d’autres termes, l’Argentine n’a pas de style, aucun plan B, elle ne dépend que de son génie, de plus en plus isolé au milieu d’un désert d’incohérence. L’heure n’est pas à jouer les Cassandre, d’autant qu’une phase finale de Coupe du Monde n’est pas un match amical, mais cela fait des années que l’Argentine a oublié les bases d’un sport dont elle est l’un des plus beaux représentants. On a coutume d’aimer la démesure argentine dès lors qu’il s’agit de parler de football, c’est ce qui fait son charme. Pourtant, cela fait des mois que nous ne cessons de pointer que cette démesure, qui la fait s’enfoncer dans une absence totale d’analyse de ses maux, est en train de lui coûter bien plus qu’un simple set perdu en amical face à un candidat au titre suprême en 2018. Il suffit de voir les analyses d’après déroute, seules les erreurs individuelles sont pointées, le raté d’Higuaín en première période est rendu responsable de tout. Son avant-centre est conspué, insulté, trainé dans la boue. La génération actuelle était annoncée la plus belle de toute l’histoire, à l’heure actuelle, alors que le crépuscule se rapproche, elle n’a rien gagné. Les sélectionneurs passent, sept en dix ans, les maux restent les mêmes, l’équation identique, jamais résolue : L’Argentine possède le meilleur joueur du monde, elle est incapable de le faire jouer (seul Martino y est véritablement parvenu, surtout lors de la Copa America chilienne). Jamais dans l’histoire des génies n’ont pu s’exprimer que s’ils étaient seuls. Si on se focalise uniquement sur l’Argentine, Maradona avait une équipe bâtie pour lui, autour de lui en 1986, Bilardo avait construit un bloc cohérent. À l’échelle des clubs, l’Argentine sait faire jouer ses génies, ses créateurs. Bochini était la pierre angulaire de l’Independiente des années 70-80, il était entouré de joueurs aux qualités complémentaires, à un collectif parfaitement équilibré qui lui permettait de donner sa pleine mesure. Riquelme possédait autour de lui les hommes nécessaires à son épanouissement, là encore, le Boca de Bianchi était d’un équilibre parfait. Les exemples sont légion. Cette notion d’équilibre, tellement répétée par un Bauza viré comme un malpropre, insulté et aujourd’hui ostracisé, est toujours aussi absente dans cette sélection sauce Sampa. « Il est essentiel de construire le cadre idéal pour que la magie se développe », avait déclaré Menotti, ce cadre n’existe pas.

Et pourtant, malgré tout et parce qu’il est Messi, Leo continue de porter l’Argentine à lui seul sur ses épaules comme il l’a fait à Quito pour la qualifier, comme il le fera à n'en point douter en Russie en juin prochain. Mais il est sa seule idée. Sans lui, l’Argentine n’est pas quelconque, elle n’est rien. La leçon reçue en Espagne en a apporté la preuve définitive. Les analyses d’après match, qu’elles soient de la presse argentine ou pire, de Sampa, pointent seulement un manque d’efficacité, des erreurs individuelles. Elles oublient de souligner que l’Albiceleste n’a pas de collectif. À se détourner d’un football dont elle était le plus beau symbole, l’Argentine peut toujours se voir en futur champion du monde, à l’heure actuelle, elle devrait surtout se demander si elle est capable de passer le premier tour. Ce manque d’humilité qui lui faisait dire qu’elle viserait le titre alors même que son billet n’était pas encore assuré pourrait lui coûter cher.  Il ne lui reste que deux petits matchs amicaux, face à une Bolivie capable de perdre à Curaçao, et face à Israël, 94e mondial. Bien court pour construire, sans doute suffisant pour se rassurer quelque peu. Mais même là on peut émettre quelques doutes.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.