Cela fait plusieurs mois que la fédération nigériane et le staff de Gernot Rohr préparent avec beaucoup de calme et de sérieux cette sixième participation à la Coupe du Monde. Qualifié facilement dans un groupe qui comportait pourtant l’Algérie, le Cameroun et la Zambie, ils ont eu le temps de peaufiner l’effectif, d’essayer des joueurs, et de régler les petits détails administratifs qui ont pris l’habitude de plomber les campagnes mondiales africaines (Primes, hébergements, etc...). Au point que les Super Eagles peuvent se montrer ambitieux.

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L’intégration parfaite de Gernot Rohr

L’entraîneur passé par les Girondins de Bordeaux, Nice et Nantes a pris le temps de connaître l’Afrique et ses codes avant d’accepter le difficile challenge nigérian, grâce notamment à des passages plutôt réussis au Gabon au Burkina Faso et au Niger où il  a beaucoup appris malgré des résultats mitigés. Car sur le potentiel, le pays qui flirte avec les 200 millions d’habitants n’a pas d’équivalent en Afrique, mais c’est aussi un environnement très particulier où il faut savoir jongler avec les rivalités ethniques, les ingérences multiples et les jeux politiques liés à la gestion du football. Mais ce n’était pas une crainte pour le franco-allemand, prêt à affronter les éléments depuis sa nomination au nez et à la barbe de Paul Le Guen en 2016. Pour atteindre son objectif de qualifier le Nigeria pour le mondial, il s’est appuyé sur un groupe élargi de joueurs où se mélangent les générations, les formés localement et des binationaux aux profils intrigants, comme Alex Iwobi, le prometteur joueur d’Arsenal passé par les catégories de jeunes des Three Lions, ou les médaillés de bronze de Rio, Oghenekaro Etebo, Shehu Abdoullahi et William Troost-Ekong.  Ils sont tous venus renforcer une équipe articulée autour du capitaine John Obi Mikel et de Victor Moses.

Pourtant, au moment du tirage au sort des qualifications africaines, on ne donnait pas cher de sa peau, car il est clair que sans qualification son aventure se serait terminée prématurément. Mais les deux victoires initiales en Zambie (1-2) et contre l’Algérie (3-1), et les nuls de ses adversaires ont permis de se donner un peu d’air. La victoire contre le Cameroun (4-0) pour boucler la phase aller, a permis de finir en roue libre. Au final, le Nigeria est le premier pays africain qualifié et tous les voyants sont au vert. Le capitaine Obi Mikel donne son explication : « Personnellement, je pense que ce qui a vraiment changé dans cette équipe, c’est définitivement le coach. Je pense que la discipline qu’il a apportée, son management des hommes, l’attention aux détails pour chaque match. Je ne veux pas manquer de respect pour les autres sélectionneurs avec qui j’ai travaillé, mais je n’ai jamais vu ça avant en équipe nationale. Chaque match que nous jouons, il fait attention aux moindres petits détails ».

Quelques blessures et la pression présidentielle

Avec déjà une idée précise du groupe qu’il veut amener et du onze qu’il veut aligner en Russie (ou presque), il ne restait au sélectionneur qu’à prier et croiser les doigts pour que personne ne se blesse. Manqué. C’est d’abord Wilfried Ndidi, le 6 devenu incontournable au milieu du terrain de Leicester et des Super Egales qui n’a pas pu finir la saison en Premier League à cause d’une blessure dont il s’est tout juste rétabli pour finir la préparation (90 minutes de jeu contre la République tchèque). Un malheur n’arrivant jamais seul, le sélectionneur doit faire face à une autre blessure problématique : celle de Simon Moses. L’ailier de La Gantoise qui avait gagné sa place de titulaire pendant les qualifications s’est blessé en début de préparation et a dû déclarer forfait. Une sentence que les Nigérians ont essayé de repousser jusqu’au dernier moment en faisant voyager le joueur en Angleterre pour un ultime scanner. Malheureusement, il n’a fait que confirmer l’indisponibilité pour le mondial.

Trois matchs de préparation étaient programmés. La RDC d’abord, contre qui les Super Eagles ont manqué de réalisme et ont fini par un nul à Port Hancourt (1-1). Un match qui a un peu agacé Gernot Rohr, déçu de la prestation des joueurs qui devaient gagner leurs places le groupe. Pour ne pas agir sous le coup de l’émotion, il a repoussé au lendemain matin l’annonce de sa liste des vingt-trois retenues pour le mondial. Finalement, ils partiront en Angleterre à 25 en laissant Mikel Agu, Ola Aina, Stephen Eze, Dele Adjiboy et le meilleur buteur de la NPFL (Premier League Nigériane) Junior Lokossa à la maison. Avant de partir sur les terres de sa Majesté, pour un match historique à Wembley, les aigles verts ont salué le Président de la République : « À chaque match, vous devez vous rappeler que vous portez la passion, les émotions et les sentiments de plus de 180 Millions de personnes. Soyez fair-play et irréprochables, mais démontrez l’esprit vaillant qui caractérise les Nigérians. Rien n’unifie les Nigérians plus que le football et rien ne réjouira plus le peuple du Nigeria que vous vous acquittiez honorablement de votre tâche en gagnant en Russie », leur a-t-il déclaré. Un sacré coup de pression sur les épaules de cette jeune équipe à qui il rappellera lui-même en conclusion : « Vous êtes la plus jeune équipe du tournoi, ce qui veut dire que vous êtes les plus inexpérimentés. Un fait que n’oublieront pas vos adversaires. Mais c’est aussi quelque chose que vous pouvez utiliser à votre avantage ».

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Des certitudes devant

Le match amical joué à Londres trois jours plus tard a confirmé la complexité de la tâche qui attend les Super Eagles (défaite 2-1). Car les Anglais aussi ont une équipe très jeune et tout aussi inexpérimentée à ce niveau de la compétition (24 sélections de moyennes pour le Nigeria contre 20 pour l’Angleterre). Devant plus de 80 000 supporters et une tribune remplie de Nigérians enthousiastes, les Verts ne sont pas rentrés dans le match et ont rapidement encaissé les assauts des Anglais. Gary Cahill ouvre le score sur corner dans le premier quart d’heure, puis Harry Kane double la mise. Le Nigeria rentre au vestiaire en ayant passé l’essentiel du temps à défendre. Titulaire à la pointe de l’attaque, Odion Ighalo est sur une bonne dynamique en Chine où il s’est bien intégré à son équipe de Changchun (22 buts en 38 matchs et capitaine), il n’est pas un tueur devant le but, mais il joue dans un rôle de pivot indispensable dans un 4-3-3. Surtout avec des joueurs comme Iwobi et Moses à ses côtés qu’il peut facilement faire jouer avec ses remises et déviations. Sorti à l’heure de jeu contre l’Angleterre, le Nigeria aura besoin d’un Victor Moses en grande forme pour espérer quoi que ce soit dans le tournoi. Le joueur de Chelsea est le tireur attitré sur tous les coups de pied arrêtés. Il lui reste quelques jours pour peaufiner sa condition physique.

Le Nigeria s’est qualifié en marquant beaucoup de buts, ce qui n’est pas le cas dans cette préparation avec énormément de déchets (deux buts en trois matchs). Les entrées sans efficacités de Ahmed Musa et Kelechi Iheanacho ne devraient pas bouleverser la hiérarchie devant, surtout avec les prestations actuelles d’Alex Iwobi (auteur de la réduction du score à Wembley). Le polyvalent joueur d’Arsenal donne la possibilité au coach de le faire descendre au milieu. Il a d’ailleurs testé cette formule contre la République Tchèque (défaite 1-0), mais il y a peu de chance qu’on la retrouve au mondial, ou alors sporadiquement en cours de match. Ce qui est sûr, c’est qu’il sera là pour succéder à John Obi Mikel et prendre les clés du jeu de la sélection. Il pourra alors marcher sur les traces de son oncle Jay-Jay Okocha avec le numéro 10 sur les épaules. Mais ce n’est pas pour tout de suite. Il a encore quelques années pour reprendre le flambeau du capitaine, car c’est encore lui qui occupe cette position de numéro 10. Placé haut sur le terrain et déchargé de quelques tâches défensives, John Obi Mikel à tout le loisir de faire admirer sa qualité de passe et ses accélérations qui cassent les lignes. Cette Coupe du Monde est peut-être l’occasion pour lui de briller dans un rôle d’artiste, et de montrer toute l’élégance qu’il dégageait lorsque il jouait à ce poste sur les terrains de Lagos avec la Pepsi académie.

Moins au milieu

Si les quatre de devant sont libres offensivement, c’est que la paire de récupérateurs doit être en forme. Contre l’Angleterre, pour pallier l’absence de Ndidi, Joël Obi était aligné à côté de Onazi. Ensemble, ils n’arrivaient pas à ressortir et perdaient beaucoup de ballon à la relance. Sortis à la mi-temps, ils ont laissé leurs places au duo John Ogu – Oghenekaro Etebo qui a été plus convaincant. Avec moins de déchets techniques, ils ont permis au Nigeria de jouer plus haut et de s’installer dans le camp adverse. Ils sont une alternative intéressante à Onazi et devraient pouvoir bénéficier d’un temps de jeu conséquent durant la compétition, voire même intégrer le onze entrant pour l’un des deux. Etebo a un profil plus offensif qui lui permettra de balayer les trois postes du milieu. Il sera un apport offensif indéniable. Pour rappel, le joueur de Las Palmas avait réalisé un quadruplé contre le Japon en ouverture du tournoi Olympique 2016. John Ogu (Hapoël Veer-Sheva) est un peu dans le même registre que Joël Obi en plus grand (1m92). Aligné au côté de Ndidi contre la République Tchèque, il a marqué des points, surtout qu’il est possible de le faire reculer en défense. Onazi, qui semblait indéboulonnable, commence à trembler.

Des doutes en défense

Si l’attaque et le milieu semblent en place à quelques ajustements prêts, la défense en revanche n’est pas une assurance tous risque. L’entraîneur Croate, Zlatko Dalic l’a noté lui aussi : « Ils sont très forts pour sortir de la surface et lancer des attaques rapides, mais ils ont des faiblesses en phase défensives, on va voir ce qu’on pourra faire avec ça », avant de surenchérir, « on va marquer un but, mais nous devons être très concentré sur les taches défensives. Les Nigérians sont dangereux en contre-attaque, et ils vous punissent si vous n’êtes pas assez proches et que vous attaquez avec trop de joueurs devant ».

Dans les buts, Gernot n’a pas trouvé le successeur de Vincent Enyama, victime de sa situation de « lofteur » à Lille. Il lui reste trois candidats : Ikechukwu Ezenwa (Enyimba/Nigeria), Daniel Akpeyi (Chippa United/Afrique du Sud) et le jeune Francis Uzoho (19 ans Deportivo la Corogne). Le sélectionneur a dû aussi composer avec le forfait de Carl Ikeme, à qui on a diagnostiqué une leucémie et qui a mis sa carrière entre parenthèses pour se soigner. Il est le 24e homme du groupe, même s’il n’était même pas établi qu’il soit retenu parmi les 23. Ezenwa était titulaire lors des derniers matchs de qualification, mais Francis Uzoho à la confiance du coach sur les matchs de préparation. Même s’il a encaissé quatre buts en trois matchs, il semblerait que la place de titulaire soit pour lui. C’est un gardien très fort sur sa ligne, qui fera forcément des arrêts spectaculaires. Avec son envergure, c’est un mûr dans le but, mais comme un mûr, le ballon à tendance à rebondir sur lui. Les défenseurs doivent être vigilants.

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L’axe central est installé depuis l’arrivée de Gernot Rohr, ils ont maintenant un vécu ensemble, et même s’ils ne sont pas des cadors à leurs postes, ils devraient tenir la baraque dans leurs caractéristiques de puissance et de vitesse. Rohr a aussi essayé un système à trois axiaux, avec Ogu ou Omeruo, mais pour que ce système fonctionne, il faut des latéraux efficaces. Et malheureusement, c’est sur ce poste là que les Super Eagles ont beaucoup de lacunes. Il faut dire que c’est un des postes les plus difficiles à pourvoir et le Nigeria ne fait pas exception à cette règle, surtout avec Victor Moses plus haut sur le terrain malgré son important de jeu à cette position en club (et dans ce système). C’est d’ailleurs souvent des milieux reconvertis qui occupent ce rôle (comme Shehu Abdullahi). Shehu et Idowu tiennent la corde, mais leurs prestations lors des matchs de préparation n’ont pas été convaincantes, avec énormément de déchet dans les phases offensives. Jusqu’à atteindre les limites de la patience du sélectionneur ? Pas impossible, surtout pour Tyronne Ebuehi à droite. Le jeune joueur de 22 ans né et formé aux Pays-Bas (ADO Den Haag) qui a soufflé le rôle de back up à Stephen Eze dans la liste des 23, et qui a fait de belles rentrées à la place de Shehu contre l’Angleterre et la République Tchèque.

Une jeunesse qui aura du style

Seulement six joueurs parmi les 23 étaient présents au Brésil, (Omeruo, Echiéjilé, Mikel Obi, Onazi, Musa, Moses). Le capitaine ne manque pas de faire passer le message lui aussi : « Cette équipe est très jeune, elle est très énergique. Nous avons beaucoup de jeunes joueurs et on est prêt à donner tout ce que l’on a. Nous devons être sûrs que nous jouerons ensemble et que l’équipe est la chose la plus importante. Il ne doit pas y avoir d’individualisme parmi les joueurs, nous devons être certains que l’équipe et le Nigeria seront prioritaires et espérons-le, le ciel sera notre limite en Russie ». La Coupe du Monde n’est pas encore commencée, mais les Nigérians peuvent déjà s’approprier le titre d’équipe la plus « stylée » du tournoi. Nike a conçu pour eux un maillot original, et une ligne d’équipements qui mettent en avant les couleurs du pays et surfe sur le phénomène Black Panthère du Wakanda. Trois minutes pour atteindre la rupture de stock de la vente en ligne et des files d’attente interminable devant le Nike shop de Londres (en rupture de stock dans la journée). Une opération marketing parfaitement réussie et déjà une fierté pour le peuple nigérian. Au pays, ils n’ont pas attendu pour écouler des millions de maillots contrefaits, les images du shooting avaient fuitées très vite sur les réseaux sociaux le mois dernier. Qu’on aime ou pas, les jeunes nigérians auront du style sur le terrain et cela colle parfaitement avec leur image.

Une prise de rendez-vous pour 2022 ?

Il ne faut pas se le cacher, si sortir de la poule est envisageable, ça sera quand même très difficile. Gernot Rohr décrit le cahier de route : « Le premier match contre la Croatie sera important, il conditionnera la suite. L’Islande, quart de finaliste de l’Euro, sera redoutable, d’autant qu’elle a commandé 60 000 places pour ce match ! ». Et derrière, il restera l’Argentine, comme en 2014. Depuis, les deux équipes se sont rencontrées à Krasnodar et les Nigérians l’ont emporté (4-2).  Mais il n’y avait pas Messi. Pour rêver d’une finale de poule, il ne faudra pas rater le premier match. Ahmed Musa à l’air sur de lui « pour être honnête, on sait déjà comment on va jouer contre la Croatie, mais bien sur je ne vous le dirai pas », puis de rajouter, « j’ai joué et marqué contre la Croatie une fois, en 2011, à la coupe du monde u20, on a gagné 5-2 » (Omeruo était sur le terrain avec lui). Un nul pourrait suffire cette fois-ci, mais pour cela, il faudra rentrer dans le match tout de suite, pas comme à Wembley. Etebo vient nous rassurer : « Les matches amicaux que nous avons joués nous ont montré plein de choses à travailler et nous ont aidés à nous améliorer. Nous sommes dans un groupe difficile, mais nous ne serons pas intimidés par leurs grands noms. Nous sommes ici pour rendre notre nation fière et nous y parviendrons ». Avec moins de 25 ans et demi de moyenne d’âge et un gardien de 19 ans, le Nigeria se positionne déjà pour la prochaine Coupe du Monde. Avec pas mal de certitudes sur son équipe, Gernot Rohr est en mesure de leur offrir l’expérience qui leur permettra de briller au Qatar. Car il ne faut pas se leurrer, avec aucun joueur dans les meilleurs clubs du monde, le Nigeria doit pouvoir s’appuyer sur un collectif impeccable pour pouvoir performer à ce niveau-là. Ça tombe bien, c’est ce que fait l’entraineur depuis 2016. Petit à petit, l’oiseau fait son nid.

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Le onze probable

Uzoho – Ebuehi/Shehu, Troost-Ekong, Balogun, Idowu – Ndidi, Onazi /Ogu / Etebo, Mikel – Iwobi, Igahlo, Moses

Le groupe

Gardiens : Ikechukwu Ezenwa (Enyimba FC, NGA), Francis Uzoho (Deportivo La Corogne, ESP), Daniel Akpeyi (Chippa United, AFS).

Défenseurs : Abdullahi Shehu (Bursaspor, TUR), Tyronne Ebuehi (Benfica/Ado Den Haag, P-B), Elderson Echiejile (Monaco/Cercle Bruges, BEL), Brian Idowu (Amkar Perm, RUS), Chidozie Awaziem (Nantes, FRA), William Troost-Ekong (Bursaspor, TUR), Leon Balogun (Brighton/Mayence, ALL), Kenneth Omeruo (Kasimpasa, TUR).

Milieux : Mikel John Obi (Tianjin Teda, CHN), Ogenyi Onazi (Trabzonspor, TUR), Wilfred Ndidi (Leicester, ANG), Oghenekaro Etebo (Las Palmas, ESP), John Ogu (Hapoel Beer Sheva, ISR), Joel Obi (Torino, ITA).

Attaquants : Ahmed Musa (CSKA Moscou, RUS), Kelechi Iheanacho (Leicester, ANG), Victor Moses (Chelsea, ANG), Odion Ighalo (Changchun Yatai, CHN), Alex Iwobi (Arsenal, ANG), Nwankwo Simeon (Crotone, ITA).

Pierre-Marie Gosselin
Pierre-Marie Gosselin
Amoureux du football et de ses tribunes, supporter inconditionnel des Girondins de Bordeaux et de ses ultramarines, je me suis pris d’une affection toute particulière pour le football africain. Là-bas le foot a pris le nom de « sport roi », et c’est un euphémisme tant il étend son royaume au-delà des ethnies, des classes sociales, des générations et des genres.