Tout a commencé en 1878, quand des anglais ont organisé un match à Punta Carretas. Presque. Ou alors, tout a commencé le 30 juillet. En 1930. Sans la télévision. À un moment donné, le 16 novembre 2005, on a pu croire que c’était fini. Mais non, le maître d’école est revenu, et, en fait, c’est vraiment là que tout a recommencé. Pas la préparation, mais le voyage, et peu importe la destination.

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Ne cherchez pas de logique dans tout cela. Pour schématiser, aux débuts des années 2000, le football uruguayen n’était plus que l’ombre de lui-même. Cet état de faiblesse avait été mis à profit, littéralement, par un homme, Paco Casal, qui était agent des principaux joueurs de la sélection. Le président de l’AUF ou le sélectionneur national n’était que des hommes liges, devant mettre en avant les joueurs de Casal sous peine d’ennuis sérieux avec le mogul. Le football local était tellement dans un sale état que des hommes comme Recoba ont été gâchés, que la tribune Amsterdam supportait Peñarol et la tribune Colombes Nacional, même pour les matchs de la sélection, et au final, que même l’Australie était meilleure. Ça en est devenu, à cet exact moment, une question d’honneur.

Dans la valse des sélectionneurs de cette époque, l’AUF a choisi de revenir vers une valeur sûre, un entraîneur étant passé par Milan ou Boca, avec des épaules larges pour supporter le poids de la reconstruction : Tabárez. Le Maître Tabárez. Pas le Maître dans le sens Maître Yoda, non, Maître dans le sens Maître d’école. En fin de carrière, ce dernier accepte, négociant des coudées larges pour sa mission. Il connaît l’Uruguay, il connaît la sélection (il a déjà fait le job dans les années 80). Il sait aussi à quel point, dans ce petit pays, les intérêts particuliers peuvent prendre le pas sur le groupe, et à quel point cela peut avoir un impact fort sur la sélection nationale. Le Brésil ou l’Allemagne ont à leur disposition 100-150 joueurs de niveau international. L’Uruguay ? Une vingtaine. Il propose donc un plan pour réorganiser la sélection, pour l’institutionnaliser. Grosso-modo, la sélection est devenue un club, avec ses catégories des jeunes, passage devenu presque obligé pour passer chez les A. Les clubs locaux jouent le jeu, y voyant le moyen de revendre avec un prix plus élevé leurs jeunes joueurs. Cela marche au-delà des espérances, avec des résultats chez les jeunes (champion sud-américain, demi-finaliste de la dernière Coupe du Monde U20) mais aussi des résultats pour la A avec une troisième qualification consécutive pour la Coupe du Monde. En Russie, 21 joueurs seront passés par les sélections de jeunes dans le groupe des 23 sélectionnés. C’est déjà ce que disait Tabárez en 2017 dans une interview traduite par Lucarne Opposée. L’état d’esprit a même poussé ses derniers mois les joueurs de la sélection à se rebeller contre le fonctionnement de la fédération avec un soutien appuyé aux joueurs locaux en grève. Casal a dû revoir ses offres pour les droits de retransmissions ou les droits d’équipementier de la sélection, contrats sur lesquels il se faisait une marge sensationnelle, juste comme intermédiaire. Encore aujourd’hui, les joueurs refusent de parler à ses médias. Parallèlement, les joueurs de la sélection ont créé une « Fondation Celeste » qui leur permet de mener à bien des projets caritatifs mais aussi d’avoir une structure permettant de se réunir, avec quelques anciens qui commencent à jouer un rôle institutionnel comme Lugano ou Scotti. C’est peut-être un détail pour vous, mais une sélection de joueurs jouant à l’étranger qui s’organise pour aider le football local, cela veut dire beaucoup. Beaucoup de biens sur ces joueurs. Rien d’étonnant, quand on sait que l’immense majorité des joueurs est resté très attaché au pays, de Cavani qui va à Salto en bus interdépartemental depuis l’aéroport jusqu’à Cebolla Rodríguez qui passe son temps libre à cheval dans sa campagne.

L’alliance parfaite

Footballistiquement, la Celeste n’a pas tant changé depuis 2010 et 2014. Sept joueurs et demi en sont à leur troisième Coupe du Monde (Cebolla Rodríguez était déjà un joueur de sélection mais avait loupé l’Afrique du Sud pour une suspension). La petite révolution est au milieu, ou une nouvelle génération issue des dernières équipes de jeunes s’est imposée. Bentancur, Vecino, Nández, De Arrascaeta… C’est la fin du milieu jouant devant la défense, harcelant l’adversaire mais techniquement faible. Désormais, place au jeu. On l’a vu sur les derniers matchs de l’Uruguay, de la Bolivie à l’Ouzbékistan en passant par la China Cup, ça joue et ça joue fort. En phase offensive, derrière Cavani et Suárez qui pouvaient être isolés avant, on a maintenant un De Arrascaeta qui s’est imposé en 10, capable de passes décisives mais aussi de but comme sur ce premier but contre l’Ouzbékistan ou il reprend de volée une magnifique louche de Suárez. Alors qu’il était en balance avec Cebolla Rodríguez, il semble désormais s’être imposé pour de bon. Le dernier joueur expérimenté du milieu est poussé sur le banc. Pour le meilleur techniquement ? Peut-être, attention cela dit au manque d’expérience, d’autant plus qu’au milieu, les remplaçants s’appellent Torreira ou Laxalt. Pour ce qui est du reste de l’équipe, Muslera gardera comme toujours les cages. La défense devrait être composé de Cáceres, Godín, Gimenez et Varela. Le milieu, comme indiqué plus haut, sera pris en charge par Vecino, Bentancur dans l’axe, Nández à droite et De Arrascaeta à gauche plus haut sur le terrain. En attaque, évidemment, Cavani et Suárez.

Côté remplaçants, Coates sera le recours en cas de blessure d’un central. Maxi Pereira sera amené à jouer si Varela reste légèrement blessé, à moins que Laxalt, capable de jouer sur tout le côté gauche, soit utilisé à ce poste. Au milieu, Torreira est encore entré tôt en jeu en deuxième période face aux Ouzbeks. Dans les matchs âpres, au combat, il sera un bon recours. Lors de match éliminatoires, Cebolla Rodríguez pourrait aussi repointer le bout de son nez, sécurisant pleinement le côté gauche, au détriment de la création. En attaque, Stuani part avec l’avantage de l’expérience par rapport à Maxi Gómez.

Que rajouter ? Qu’ils jouent aux cartes dans l’avion, qu’ils savent d’où ils viennent et où ils vont. Que peu importe le résultat, tout est déjà gagné, que le pays est uni derrière son équipe comme l’a montré ce match contre l’Ouzbékistan, match ou les prix des places populaires valaient moins de 10€, à la demande de l’AUF. Le stade était plein. Reste une conclusion, signée Diego Godín, le 5 juin dernier, pour la revue La Diaria : « Les revendications que nous avons comme joueurs de football, ce que nous voulons dire hors des terrains, le fait que nous voulions apporter plus à la société ; tout cela est perceptible maintenant. Ça a créé un lien avec le public, une connexion très forte qui dépasse les résultats sportifs. Les Uruguayens n’ont jamais cessé de croire en nous, et ce n’était pourtant pas simple. Avoir cette crédibilité, qu’ils aient confiance en nous même si l’on perd un match ou si l’on est éliminé d’une coupe, c’est ça le plus difficile. »

Le chemin est la récompense, il a été magnifique. Il ne reste plus que quelques matchs de football.

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Le onze probable

Muslera – Cáceres, Godín, Gimenez, Varela – Vecino, Bentancur, Nández, De Arrascaeta – Cavani, Suárez.

Le groupe

Gardiens : Fernando Muslera (Galatasaray), Martin Silva (Vasco de Gama), Martín Campaña (Independiente)

Défenseurs : Diego Godín (Atlético), Sebastián Coates (Sporting CP), Jose Maria Giménez (Atlético), Maximiliano Pereira (Porto), Gastón Silva (Independiente), Martín Cáceres (Lazio Rome), Guillermo Varela (Peñarol).

Milieux : Nahitan Nández (Boca Juniors), Lucas Torreira (Sampdoria), Matias Vecino (Inter), Rodrigo Bentancur (Juventus), Carlos Sánchez (Monterrey), Giorgian De Arrascaeta (Cruzeiro), Diego Laxalt (Genoa), Cristian Rodríguez (Peñarol), Jonathan Urretaviscaya (Monterrey)

Attaquants :, Christian Stuani (Girona), Maximiliano Gómez (Celta), Edinson Cavani (Paris SG), Luis Suárez (FC Barcelone)

Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba