En immersion avec la colonie céleste venue soutenir l'Uruguay dans son rêve mondial, retour sur le premier rendez-vous de Russie 2018, l'entrée en lice face aux Pharaons.

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Les villes industrielles ont une beauté difficilement remarquable au premier coup d’œil, une beauté qui se niche dans les détails. Rien ne leur est donné au départ, pas de mer, pas de montagne, juste une richesse souterraine qui a permis, plus ou moins récemment, de se développer et de bâtir. Les meilleurs exemples se trouvent tout le long de l’Europe de Liverpool à Düsseldorf, en passant par la Belgique, mais donc aussi dans les pays de l’Est, Varsovie, jusqu’à la lointaine Russie. C’est le cas de Iekaterinbourg, le long de l’Oural, ville où tout a été fait grâce aux mines. Peu de gens le verront du même regard, mais cette ville est belle, dessinée par le vent froid venu du Nord, marqué par l’histoire. Les friches industrielles y sont nombreuses, ponctuées par des constructions pré-soviétiques anachroniques et par des palais soviétiques classiques ou constructivistes. On sent que l’argent y a coulé à flot, mais comme tout argent venant de ressources souterraines, il s’est rapidement évaporé au contact de l’air, ne laissant que cette architecture vestige. C’est aussi ici que l’armée rouge a retrouvé les Romanov, le Tsar ainsi que sa femme et ses cinq enfants, pour leur couper la tête, le corps, et les mettre dans une fosse. La photo des petites têtes blondes mignonnettes des enfants est affichée partout. Une magnifique église a été édifié sur le lieu du massacre. Lénine est également présent avec une grandiloquente statut devant le bâtiment qui fait office de mairie. Ainsi, les bourreaux sont réunis, l’histoire de la Russie est ainsi faite, on ne choisit pas. Si on ajoute à tout cela le musée Eltsine, local de l’étape, l’équipe est au complet.

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Le stade de la ville est exceptionnel et peu importe les critiques. Il n’est pas neuf, il a une histoire, avec ses statues de footballeurs à l’entrée. La reconstruction a conservé l’ossature historique, et l’esprit des quatre tribunes séparées. C’est un stade différent. Il y a certes les tribunes extérieures artificielles, mais elles sont la justement pour éviter le problème de l’éléphant blanc (construire des stades trop grands qui ne sont plus utilisés après) et elles donnent au spectateur une vue tout à fait acceptable, même depuis le sommet. Une vue bien meilleure que dans des stades comme celui de Saint Denis, par exemple. Deux problèmes se posaient malgré tout dans cette enceinte vendredi. Tout d’abord, un vent glacial, surtout en haut des tribunes. Mais c’était bien l’été à Iekaterinbourg, et tout autre saison n’aurait pas résolu le problème, loin s’en faut. Il a également été dit que le stade était « bien vide », avec seulement 27 000 spectateurs présent, la FIFA indiquant que toutes les places avaient pourtant été vendues. À 200$ la place, on veut bien les croire. Plusieurs constatations sont à faire. Premièrement, les normes de sécurité sont drastiques. Tout est contrôlé, du billet, avec le nom du porteur, au visa, sur lequel est présent une photographie d’identité elle-même regardée avec attention, et les russes savent être zélés à l’heure des contrôles. Sachant cela, comment ont bien pu faire tous les acheteurs de billets au marché noir ? Et bien ils n’ont pas fait, et ceux qui ont fait se sont fait refoulés devant tout le monde, gentiment mais sûrement, sans possibilité de négociations sachant que chaque porte était contrôlée par un bataillon… Deuxième point, la tribune la plus vide était celle dite présidentielle, en bord terrain. Comme pour d’autres compétitions, la faute revient aux invitations de partenaires décidant de ne pas se déplacer pour les modestes Uruguayens et Égyptiens comme ils l’auraient fait pour les Russes ou les Brésiliens. Par exemple, au centre d’accréditations, Gazprom disposait de plusieurs pages d’invitations. 50, 100, 200 ? Difficile à dire, mais il y a fort à parier que beaucoup sont restés sur le carreau. Le peu qui a dû faire le déplacement est resté en loge, pour éviter le vent sibérien, un verre de champagne à la main. Malgré tout, dans le stade, l’ambiance était bon enfant, le peu d’insultes lancées en espagnol n’ayant reçu pour réponses que quelques insultes incomprises en arabes, aucune échauffourée.

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Jeudi, tout le monde en était sûr, Salah était finalement prêt à jouer, quelques semaines seulement après sa blessure. Retour miracle, les Égyptiens ne parlaient que de cela, littéralement. Au final, il n’a pas joué. Il est resté sur le banc, tranquillement, et le staff savait sans doute depuis le départ qu’il ne jouerait pas. Malgré tout, le public égyptien a scandé son nom du début à la fin. Souvent, dès que le jeu était arrêté pendant quelques secondes, un mugissement descendait des tribunes : le visage de Salah était apparu sur les écrans géants. Salah astiquant ses protège-tibias, Salah parlant à l’oreille d’un coéquipier... Les joueurs égyptiens, pris dans la concentration du match, levaient alors la tête pour constater l’origine de ces cris. Quelle sensation cela a t’il bien pu leur laisser, de voir que c’était le joueur qui ne jouait pas qui était acclamé ? Leur visage trahissait un certain agacement. Pourquoi donc avoir dit la veille qu’il jouerait ? Pensaient-ils vraiment que cela changerait quoi que ce soit à la stratégie uruguayenne alors qu’une analyse légère de l’équipe indique clairement que le onze était défini, qu’il ne bougerait pas pour qui que ce soit ? Et donc si cela ne changeait rien à l’équipe en face, quel a été l’impact psychologique sur eux-mêmes.

L’Uruguay a donc gagné, et je suis bien trop impliqué pour pouvoir en faire une description honnête et précise. Malgré tout, on peut signaler que la victoire est logique, que la Celeste a eu de loin les meilleures occasions, dont trois fois par Suarez qui n’a pas trouvé le cadre avant de trouver le genou du gardien. Parfois, le football est injuste. Il a erré une partie du match comme une âme en peine, mais a malgré tout retenu vers lui deux à trois joueurs égyptiens, l’aimant a donc fonctionné. Il a tellement bien fonctionné que, pour ne pas se retrouver dans la nasse, Cavani a dû s’expatrier sur le côté. Cela lui a permis en rentrant vers le but de se procurer des occasions. Au final, la marque a été ouverte grâce à la patte magique de Carlos Sanchez, qui était pourtant contesté avant la compétition alors qu’il était déjà meilleur passeur des éliminatoires de la CONMEBOL. Ses quelques centres idéalement délivrés ont donné des sueurs froides aux Égyptiens jusqu’à la délivrance et cette reprise de la tête de l’une des trois gâchettes du front, avec Caceres et Godin. Le milieu a été critiqué mais c’est assez injuste car il a appliqué le système de jeu mis en place par Tabarez, et qu’on ne peut reprocher à un soldat de suivre les ordres. Toute relance devait être propre, toute action mise en place patiemment, cela paierait éventuellement. Tabarez y croyait tellement que, alors que les Uruguayens poussaient et qu’il aurait pu faire rentre un Stuani ou un Gomez en lieu et une place d’un milieu, il a fait rentrer Torreira, poste pour poste. Confiance absolue dans son groupe. Dans ce cadre, que devait faire un Bentancur individuellement ? Se dire « Bon, il ne reste plus que 1 minutes, balançons gaiement ? », en opposition avec le discours de son entraîneur. Il n’a pas fait beaucoup de passe en profondeur, mais a su écarter face au bloc égyptien (deux milieux devant la défense). Vecino a beaucoup couru et récupéré de ballon. Autre point : le gardien, la défense et l’attaque comprenait des joueurs participant à leur deuxième ou pour la majorité leur troisième coupe du monde (à l’exception de Varela). Les quatre du milieu ont tous moins de vingt-cinq ans et cela s’est ressenti, surtout en première mi-temps. De Arrascaeta et Nandez n’ont pas eu l’occasion de persévérer en seconde mi-temps, mais j’ai peu de doute sur le fait que le même onze démarrera contre l’Arabie Saoudite. Il faudra aussi les revoir face à une équipe offrant plus d’espace, la Russie d’ici dix jours, puis les matchs à élimination directe. De son côté, Godin a été exceptionnel. Mais, encore une fois, l’objectivité me fait sans doute défaut.

Sur les Égyptiens, le pressing mis en place en première mi-temps a petit à petit été repoussé, il a commencé en première mi-temps dans le camp de l’Uruguay, il était au milieu de terrain en seconde, et les vingt dernières minutes ont été joué avec deux lignes acculés aux abords de la surface. L’issu était donc prévisible. Ils auraient gagné à alterner les efforts.

La suite va donc se dérouler à Rostov sur le Don, entre l’Ukraine et le Caucase. Trois heures de vol dans un Soukoï, avec au menu du déjeuner servi dans l’avion saucisson et cornichon russe (le meilleur des cornichons, et de loin). La Celeste s’est bien reposé après son match face aux Egyptiens avec au menu de ce vendredi bowling et asado. Pas de carton jaune, pas de blessure, le même onze devrait être aligné. Une victoire qualifierait l’Uruguay pour les huitièmes de finale.

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Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba