Au mondial en Russie, l'Australie a ouvert sa compétition face à l'équipe de France. Une nation beaucoup plus forte que les Socceroos et qui pourtant a longtemps lutté pour s'adjuger les trois points du match. Du côté australien, il y aurait vingt-trois histoires à écrire. À commencer par celle, si particulière d’Andrew Nabbout, passé en un an de joueur de deuxième division malaisienne à unique pointe de l’Australie en Coupe du Monde.

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Du rêve au désespoir

L’histoire Andrew Nabbout ressemble à celle de nombreux jeunes joueurs de football en Australie. Un talent pour ce sport, une progression fulgurante, Nabbout a gravi tous les échelons avant de rejoindre le plus prestigieux club d’Australie, le Melbourne Victory. Au tout début de sa carrière, il arpente les salles de futsal avec notamment la période de 2009 à 2012 étant la plus belle de sa carrière en salle en championnat de Victoria pendant qu’il évolue également sur le rectangle vert sous les couleurs du Sunshine George Cross puis d’Heidelberg United. Ce sont ces prestations qui ont attiré les regards et lui ont permis de rejoindre le très grand Melbourne Victory et son académie. Les recruteurs avaient vu juste, Nabbout a continué sa progression jusqu’à frapper à la porte de l’équipe professionnelle.

À peine entré dans la cours des grands sous l’ère d’Ange Postecoglou au Victory, Nabbout fait ses premiers pas sous le numéro 26 avec l’équipe au scapulaire blanc. Des minutes de temps de jeu et une rencontre qui va faire alors basculer sa carrière, celle de novembre 2012, à l’Allianz Stadium de Sydney, lorsque Nabbout inscrit les deux derniers buts qui feront passer Melbourne Victory devant au score (3-2) sur son ennemi de toujours, le Sydney FC. Vingt jours plus tard, adoubé par Ange Postecoglou en personne, Nabbout paraphe un contrat de trois ans avec le club. Un début tonitruant malheureusement sans lendemain. Vingt et un match la première saison, quatorze la seconde et seulement cinq pour la troisième et dernière saison. Nabbout avait signé dans le plus grand club du pays et devait alors faire face à une concurrence de plus en plus forte de saison en saison, celle des joueurs qui comme lui, avait un talent à montrer à l’image de Connor Pain ou James Troisi, celle aussi des joueurs vedettes arrivant au club, comme Fahid Ben Khalfallah, Kosta Barbarouses ou Besart Berisha. Nabbout laisse alors peu à peu l’angoisse ronger son rêve de continuer une carrière de joueur professionnel jusqu’à ce que la dépression vienne l’emprisonner à tel point et l’oblige à consulter un psychologue du sport, soutenu par l’association des joueurs professionnels (PFA).

Le psychologue l’aidera, sa famille et sa femme d’autant plus. Sam Nabbout, son épouse depuis 2017, a été derrière lui durant tout ce temps où le joueur n’avait plus confiance en lui. Sans Sam, Andrew ne serait peut-être pas là où il est aujourd’hui. Lors de la saison 2014-15, Andrew Nabbout n’est pas conservé par le club du Melbourne Victory. Sa carrière s’interrompt alors à la suite de cette saison et six mois sans club et il reste alors seul à travailler sa condition physique, histoire d’être prêt à répondre positivement à toutes les demandes de recrutement. Son agent, Tony Rallis (proche du Central Coast Mariners avec le départ de Trent Sainsbury du club chez le Jiangsu Suning) lui décroche un essai chez les Marines et Jaunes. Sans lendemain, aucun rappel. Ni du club, ni des neufs autres clubs du championnat australien. Sa carrière professionnelle semble alors terminée en Australie.

La Malaisie comme bouée

Negeri Sembilan FA : Une destination difficile à prévoir à l’heure d’imaginer son plan de carrière. C’est pourtant ici que celle d’Andrew Nabbout va se poursuivre lorsqu’il rejoint Seremban, la capitale de l'État du Negeri Sembilan pour évoluer en Malaysia Premier League, la deuxième division du pays. Si la destination paraît éloignée de son pays natal, les Jangs sont coachés par l'Australien Gary Phillips, ancien joueur du Sydney Olympic, qui a fait de l'Australie et de ses natifs, son vivier pour remplir ses objectifs avec le club. À l'image d'Andrew Nabbout, Taylor Regan et Joel Chianese faisaient le grand saut en Malaisie. Si la saison relance la carrière de Nabbout, meilleur buteur du club toutes compétitions confondues avec neuf réalisations pour douze matchs joués, le club est dirigé d’une main de fer par le président, Mohammad Hassan. Une action ratée, changement de joueur, une passe ratée, changement de joueur. Gary Phillips ne pouvait qu'exécuter les dires de son président. Le club vit donc au rythme des arrivées et des départs qui le ramène à la case départ à chaque période de transfert. En 2016, toute l'équipe (effectif de trente joueurs) est priée d'aller voir ailleurs, trente autres joueurs arrivent. En avril 2016, Andrew Nabbout et son compatriote Joel Chianese n'ont pas eu le droit de rester au club. Mohammad Hassan ne porte pas Nabbout dans son cœur, à la différence des supporters, et le remplacepar le français Goran Jerković qui rejoindra le Meshki Pooshan FC en Iran six mois plus tard. Pour Nabbout, cela signifie un retour à la case joueur libre, sans club, sans avenir certain. Nabbout est au bout, jusqu'à penser à stopper sa carrière professionnelle. Six mois plus tard, Newcastle appelle son agent.

Jet pour la Russie

En cette saison 2016-17, Newcastle Jets est à la recherche d'un retour dans le championnat après avoir terminé à la huitième place au classement général de la saison régulière (sur dix). Andrew Nabbout fait partie des plans pour redresser la barre après une période d'essai concluante. Nabbout était alors sur son snowboard au Mont Buller avec son frère au Nord-Est de Melbourne. Lorsque son agent l'a appelé pour lui annoncer l'essai aux Jets, il fonçait dans l'avion en direction de Newcastle, c’était alors l'occasion ou jamais pour lui, celle de relancer une carrière et une vie. L’entraîneur Scott Miller croit alors en lui et lorsque Miller s'en est allé en tout début de saison et fut remplacé par Mark Jones, Nabbout était toujours dans les plans. Avec 25 titularisations pour huit buts lors de sa première saison, meilleur total et meilleur buteur du club, comme au Negeri Sembilan un an auparavant, Nabbout réussi une grande performance pour un joueur qui sort alors de six mois de chômage. Malheureusement, si Nabbout revenait de très loin, Newcastle termine la saison à la dixième place. Mark Jones ne restait pas une saison de plus.

Pour la saison 2017/18, Ernie Merrick arrive au club. L'entraîneur écossais, double champion avec Melbourne Victory plusieurs années auparavant (2006-07 et 2008-09) était à la recherche d'un nouveau projet après une dernière saison ratée au Wellington Phoenix. Avec un recrutement efficace dès la première saison, Merrick a ramené les Jets tout en haut du championnat. Une saison régulière bouclée à la seconde place, jusqu'à presque croire au titre de champion de la saison régulière et puis une finale des play-offs perdue face au Melbourne Victory (1-0). Une saison exceptionnelle pour le club racheté par l'entrepreneur chinois Martin Lee la saison précédente. Dans ces Jets de retour au premier plan, Andrew Nabbout brille, il est élu meilleur joueur de la saison, s’est ainsi enfin installé dans l’élite et pris sa revanche sur d’un destin qui n’avait pas été en sa faveur. Au terme de sa carrière chez les Jets, Nabbout aura des mots forts pour son ancien entraîneur, « j'ai vraiment changé chez les Jets. J'ai beaucoup appris de Mark Jones lors de ma première saison au club, mais mon jeu a atteint un nouveau niveau après l'arrivée d'Ernie Merrick. Mon succès cette saison, est en grande partie dû à son influence. Il ne fait pas seulement de vous un meilleur joueur, il m'a aidé à devenir une personne plus flexible et meilleure dans tous les domaines » et rappelle surtout à quel point sa carrière est un combat, « On dit que pour être un pro, il faut être un sur un million. J'ai toujours voulu être celui-là. C'est pour ça que je me casse le cul tous les jours ».

Son excellente saison fait alors d’Andrew Nabbout une cible, notamment au Japon. Urawa Red Diamonds, l'un des plus grands clubs asiatiques, tombe sous le charme de l'ailier australien. Une personne du club fait le déplacement du Japon pour lui et le club nippon prend contact pour s'attacher ses services. Un an et demi après son arrivée en New South Wales, après avoir été deux fois sans clubs sur une double période de six mois, Andrew Nabbout s'envole pour le Japon. Ce dernier regrettera de voir son départ vécu comme une trahison auprès des supporters, ses Jets visant alors le titre et laissant partir leur meilleur joueur. Mais pour le club comme pour le joueur, l'offre était impossible à refuser. Lors de son dernier match, contre le Sydney FC, alors que Newcastle est réduit à dix, Nabbout inscrit son dernier but sous ses couleurs. Remplacé en fin de match, il reçoit alors une ovation méritée, les supporters des Jets ne voulaient pas le voir partir mais savaient qu'il le devait pour sa carrière. 18'000 personnes se lèvent alors et applaudissent, Nabbout peut verser une larme, sa mission est accomplie, Newcastle n'est pas qu'une étape dans sa carrière, c'était le dernier club australien à avoir cru en lui et lui avoir permis de rejoindre l'élite du football asiatique et national, les Socceroos.

‘Roos-sia

Ancien entraîneur au Victory et également ancien sélectionneur national de l'équipe australienne, Ange Postecoglou n'a jamais appelé Andrew Nabbout, mais au départ de Postecoglou et à l'arrivée de Bert van Marwijk, l’attaquant des Jets est alors entré dans les plans du nouveau sélectionneur. Présent dans la liste des 32, puis des 26 et finalement des 23, Nabbout n'aura pas volé sa place. D’autant plus que le Liban, pays de ses parents, n’était pas insensible à l’idée de rapatrier le joueur. Ailier de métier, van Marwijk a fait du Melbournian un attaquant de pointe. Testé numéro neuf contre la Norvège, Andrew Nabbout n'a plus quitté ce poste en remplaçant Tomi Juric touché au genou. Nabbout a respecté la tâche que le technicien hollandais lui a confié, son profil entrant parfaitement dans les plans, son activité déclenchant le pressing, Nabbout n’hésitant pas à se sacrifier en accumulant les courses. Une tâche très ingrate en premier lieu, mais qui lui a permis d'inscrire son tout premier but contre au NV Arena en Autriche contre la République Tchèque lors de la victoire 4 à 0 de l'Australie. Une préparation réussie et le samedi 16 juin, à 14h au Kazan Arena, la jubilation était à son zénith. Andrew Nabbout est titulaire avec l'équipe nationale face à l'équipe de France composée de joueurs à la renommée mondiale. Avant cela, Hyundai, partenaire officiel des Socceroos, avait demandé à certains joueurs d’écrire aux personnes qui les ont les plus aidés pour leur arrivée jusqu'à la sélection. Joshua Risdon choisissait Kenny Lowe, son première entraîneur, Andrew Nabbout a choisi Archie Thompson, la légende du Melbourne Victory et actuel commentateur à la FOX Sports, son mentor lorsqu'il était au Victory, « celui qui m'a toujours dit de me concentrer sur mon objectif, représenter mon pays ». Des conseils parfaitement suivis par un joueur passé du futsal à la Coupe du Monde après avoir connu D2 et chômage, un joueur dont l’histoire a tout du conte de fées.

Antoine Blanchet-Quérin
Antoine Blanchet-Quérin
Spécialiste du football australien, néozélandais et océanien pour Lucarne Opposée.