Au bout d’une semaine, les C sont devenus des S, les Y des U et les P des R. Deux matchs maîtrisés, et l’Uruguay est qualifié pour le second tour pour la troisième Coupe du Monde de suite. En route vers Samara, pour y affronter les locaux le long de la Volga.

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Rostov-sur-le-Don est une ville ancienne, avec ses vieilles bâtisses en briques. Comme apparemment toutes les villes de Russie, elle a beaucoup souffert de la grande guerre patriotique (seconde guerre mondiale pour les intimes), avec de nombreux lieux dédiés à l’armée russe libératrice. La région a en effet été occupée par les Allemands, avec à la clé les mêmes conséquences que dans toutes la zone Sud du front (de l’Ukraine jusqu’au Caucase) : Einsatzgruppen, massacre de centaines de milliers de personnes d’une balle dans la nuque. Il ne reste plus aujourd’hui pour commémorer ces victimes que des fosses communes, anonymes. Quatre-vingts ans plus tard et quelques changements de gouvernements, la ville est aujourd’hui très joyeuse et aérée, il y fait beau et chaud, c’est un peu la méditerranée en Russie. Les quais du Don sont bordés de restaurants et bars, où il fait bon se balader le soir pour profiter du soleil (malgré les supporters suisses). Conseil touristique : la ville possède une bibliothèque magnifique, avec spécialement pour la Coupe du Monde une exposition de revue sportive depuis 1900, magnifique. On peut y voir de nombreux articles sur les deux clubs qui ont marqués ville, un sponsorisé par l’entreprise locale de tracteurs agricoles, et un autre de l’armée mais qui a depuis disparu. On y retrouve aussi des coupures de presse de toutes les Coupes du Monde, avec notamment des photos magnifiques d’Obdulio. La lecture est évidemment difficile, mais éventuellement on s’acclimate et à défaut de comprendre, on lit quelques éléments qui permettent de se donner une idée générale. Tout le monde utilise Google Translator, outil « magique » notamment pour les chauffeurs de taxi qui peuvent ainsi tenir une conversation tout en conduisant ou pour les serveurs qui peuvent traduire le menu. Cela casse quand même un peu le plaisir d’apprendre quelque chose de nouveau, et ça ne vaut pas le sourire que peut avoir un Russe quand on lui parle sa propre langue, même pour deux phrases et même si c’est pour dire « Comment allez-vous ? » ou « 200 grammes de riz s’il vous plaît ». Pour revenir à Rostov, comme d’habitude, le personnel de la bibliothèque a été charmant, comme la majorité des Russes depuis le début du mondial. La directrice était enchantée de voir des supporters dans sa bibliothèque, un vrai plaisir partagé. Qu’est ce qui peut être plus fort que de s’arrêter en Russie dans une bibliothèque pour parler devant un magazine d’époque d’un Santos - Peñarol de 1962 ? Merci donc à vous, directrice de la Bibliothèque régionale de Rostov-sur-le-Don, pour avoir pensé à faire cette exposition, pour ce moment.

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Il faut aussi dire que les Russes ont un bon à priori sur l’Uruguay, puisque l’immense majorité des locaux croisés dans les travées de la Rostov Arena le jour du match portait un petit drapeau uruguayen avec eux. Un fou, dans le centre, peignait aussi les drapeaux avec du maquillage, mais pour une raison ignorée (la simplicité ?), il peignait le drapeau argentin… C’est bien le même soleil, mais ce n’est pas la même passion. J’ai essayé d’expliquer que l’Argentine est un peu aux Uruguayens ce que la Géorgie est aux Russes (frère, mais pas tant que ça), mais rapidement j’ai compris que c’était une bien piètre idée, durant la Coupe du Monde, il y a des choses dont on ne parle pas. Pour tout le reste, évidemment, il y a Visa, sponsor officiel. Les Russes étaient donc principalement pour l’Uruguay, mais je craints fortement que ce soit pour des très mauvaises raisons (les mêmes qui les ont faits préférer l’Uruguay à l’Égypte) et je vais donc rapidement passer là-dessus. Dans la semaine, il y avait peu de Saoudiens dans le centre-ville, mais beaucoup d’Uruguayens. La quantité de supporters est impressionnante et les chants fusent, filmés par les locaux. Au final, dans le stade même, il y avait bien quelques supporters saoudiens, peut-être un millier. Il y avait donc aussi une grosse communauté uruguayenne, ainsi que de très nombreux Russes, grosso-modo l’intégralité de l’anneau supérieur, la moitié du stade. Un élément a changé par rapport au début de la Coupe du Monde : les Russes commencent à s’enflammer sur leur sélection. Les maillots sont apparus de partout, accompagnés de drapeaux, de maquillages… et de chants (Russia ! Russia!) dans le stade, même si le match ne les concernait pas. Le dernier match de groupe s’annonce chaud, d’autant plus que les Russes étaient énervés après les Uruguayens qui n’avaient absolument aucun désir de poursuivre leur « Ola » entamée dès la cinquième minute du match, la mauvaise volonté des Uruguayens a bloqué toute velléité Russe.

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Pour ce qui est du match, la Celeste repart avec les trois points, la qualification, Muslera n’a presque jamais été mis en danger, aucun joueur blessé ni n’a pris de jaune. Bilan globalement positif. La défense a été impériale, le milieu a souffert face aux deux récupérateurs du milieu à cinq saoudien. La victoire étriquée est donc normale, la stratégie du Maestro étant de ne pas jouer trop haut pour ne laisser aucune possibilité de contre. Et cela a marché impeccablement, d’autant plus que l’Uruguay a toujours su apporter le danger sur coup de pied arrêté avec les centres précis de Sanchez vers Godin, Caceres et Gimenez. Au final, c’est rapidement sur un de ces coups de pied que l’Uruguay a marqué, sur un ballon repris par Suarez. Pour le jeu, il faudra repasser, même si c’est tactiquement un délice de voir le contrôle de l’équipe adverse par le milieu uruguayen. Contre la Russie, il faudra voir comment joue les locaux. S’ils décident de jouer le nul, la Celeste jouera de la même façon que lors de ces deux premiers matchs, en sachant que leur jeu bloquera les Russes et que, de toute façon, Suarez ou Cavani, et les coups de pied arrêtés apporteront leur lot d’occasions. Laxalt devrait aussi remplacer Varela (tout en changeant de poste avec Caceres).

Place donc maintenant à Самара, ou Kouïbychev, ou Samara. La ville du Krylia Sovetov, club à la magnifique couleur bleu ciel. Un journaliste espagnol nous a demandé aujourd’hui l’adversaire préféré entre le Portugal et l’Espagne. Nous lui avons répondu que peu importe. En le pensant, vraiment.

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Jérôme Lecigne
Jérôme Lecigne
Spécialiste du football uruguayen, Suisse de l'Amérique du Sud, Patrie des poètes Jules Supervielle, Juan Carlos Onetti et Alvaro Recoba