Les États-Unis ne se sont pas qualifiés pour la Coupe du Monde, breaking news. Dans un pays où la culture du soccer n’est pas encore très bien développée, depuis le début de l’évènement mondial beaucoup d’américains se posent la question suivante : Ai-je le droit de supporter le Mexique ?

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Géographiquement proche, les deux pays s’influencent énormément culturellement, ne serait-ce que par l’immigration. Cependant, le Mexique est l’ennemi numéro un aux États-Unis, et surtout la seule réelle rivalité dans une CONCACAF qui a du mal à exister entre les ogres européens et sud-américains au niveau mondial. Les vrais fans de l’United States Men National Team (USMNT) s’opposent clairement à cette idée depuis le début de la compétition. Impossible de suivre une équipe rivale historique, alors qu’au cours des dernières années (et pour la première fois dans l’histoire de la CONCACAF), le niveau des deux pays semble se rapprocher, tant sur la scène internationale qu’en Champion’s League. Les supporters italiens et chiliens supportent-ils la France ou l’Argentine ? Surtout, si le Mexique n’était pas qualifié, supporterait-il les États-Unis ? D’autres diront qu’il y a une certaine logique dans le support administré à l’équipe mexicaine. Choisir une équipe de CONCACAF est un choix important mais pas dénué de sens pour faire exister le continent tout entier dans la compétition mondiale. Après tout, les deux pays, aux côtés du Canada, organiseront conjointement la Coupe du Monde 2026. Dans un pays qui possède également une forte émigration mexicaine, est-ce vraiment étrange de supporter une équipe dans laquelle évolue trois joueurs de MLS, surtout lorsque la période politique est aussi trouble ? Pour certains, supporter le Mexique, c’est aussi administrer un formidable doigt d’honneur à la politique d’immigration actuelle du président en place, Donald Trump.

La question donne beaucoup de grains à moudre à de nombreux médias aux États-Unis. Elle ne se pose même pas pour les immigrés présents dans le pays ; alors que les Mexicains ont fui pour se retrouver aux USA, ces derniers devraient même supporter leur nouvelle patrie, celle qui leur a donné certaines opportunités. Au contraire, un Américain qui suivrait un pays dont les gens fuient, semble improbable. Seulement pour ces Mexicains situés aux États-Unis, les USA ne sont rien dans le monde footballistique comparé à leurs pays, malgré la rivalité géographique, et surtout ne sont même pas dans la compétition. De plus, le Mexique est de loin l’équipe nationale la plus populaire des États-Unis, loin devant les Stars and Stripes. Les matchs d’El Tri rassemblent deux fois plus de téléspectateurs que ceux de l’USMNT, et les matchs de la Liga MX sont eux aussi bien plus regardés que ceux de MLS. Ce même Mexique joue plus d’amicaux aux États-Unis que dans son propre pays, grâce aux gigantesques enceintes de football américain qui attirent de plus grands revenus, et l’équipe nationale est sponsorisée par de grandes chaînes américaines ; Delta, Coca-Cola et… Daisy, une marque de Sour Cream, dans un pays qui ne n’en consomme même pas.

Difficile dans ce cas de ne pas relier cette question sportive à un réel enjeux économique, surtout pour les annonceurs. Fox Sport, qui a acheté les droits pour la Coupe du Monde aux États-Unis, compte bien récupérer l’audience perdue par la non qualification américaine par un audimat d’expatriés mexicains, et a pour cela hautement affiché son support à El Tri. Son animateur vedette, Alexis Lalas (ancien international américain) a même récemment tourné une campagne de pub incitant ses followers à supporter l’équipe mexicaine, tout en disant qu’il le ferait avec une bouteille d’Estrella Jalisco en main, dans ce qui est le placement de produit le moins discret de ces dernières années.

Venons-en d’ailleurs à l’éléphant dans la pièce, comme on dit aux États-Unis, l’ancienne légende de l’USMNT et le joueur le plus populaire du pays : Landon Donovan. L’homme aux 157 sélections a eu la mauvaise idée de la semaine, une idée qui entache d’une incroyable manière son curriculum vitae de seule réelle icone du sport aux États-Unis. Pour l’entreprise de virement d’argent Wells Fargo, il a posé avec une écharpe de la sélection mexicaine disant « My other team is Mexico » (Mon autre équipe est le Mexique), dans une campagne appelée Vamos Mexico.

La réaction fut aussi brutale que rapide. Que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les médias, Landon Donovan a dû beaucoup essuyer après ce tweet - qu’il serait d’ailleurs incapable d’effacer, lié sûrement à ce qu’il a dû toucher pour sa publication. Taylor Twellman, commentateur vedette des matchs de la sélection, commença les hostilités, déclarant sur Twitter qu’il préférait « se couper le doigt de pied » plutôt que de supporter les Mexicains. Sentant la polémique enfler, Donovan écrivit ensuite sur le réseau social que « [Son] cœur est rouge, blanc et bey et personne ne devrait suspecter mon amour pour l’équipe nationale ». Mais cela ne suffit pas. Le problème est que Donovan a un véritable passé. C’est une idole au soccer américain, dans un sport où il n’y en a que très peu. Landon est du Sud de la Californie ; même s’il n’est pas un latino, il a commencé à jouer au soccer dans les quartiers peuplés d’hispaniques, apprenant très rapidement l’espagnol qu’il parle parfaitement aujourd’hui. Récemment sorti de sa retraite à 35 ans, il a signé à León en première division mexicaine après l’élection de Donald Trump en annonçant son arrivé comme un coup politique – bien qu’il fut surtout marketing. Pour lui d’ailleurs, ce tweet sponsorisé avait surtout une valeur idéologique. Alors que Carlos Bocanegra (capitaine des États-Unis de 2007 à 2013) lui répondit par un « Really ? » (Vraiment ?) sec, Landon Donovan fit face avec ce tweet aussi condescendant que maladroit : « Tu as grandi dans le Sud de la Californie et tu dois beaucoup de ton football aux matchs joués avec les Mexicains. Ton père est de descendance mexicaine. Regarde autour de ton pays, tu es content de la manière dont les Mexicains sont traités ? Sois ouvert, supporte une bonne cause et souviens-toi d’où tu viens ».  Bien que vite supprimé, sa réponse ne fit que rajouter de l’huile sur le feu. Herculez Gomez, international américain de parents mexicains, lui rétorqua intelligemment : « C’est une réponse incroyablement mauvaise. Tu questionnes la loyauté à une culture et à un héritage, tout ça car il a questionné ton choix de supporter ton rival pour quelques dollars. On peut haïr El Tri sans ne rien avoir contre les mexicains. »

Il ne faut pas l’oublier en effet, ça ne reste qu’une énorme opération marketing pour Wells Fargo, qui est bien résumée par Steven Goff, journaliste du Washington Post : « Donovan a posté ce message contre de l’argent, pour une société qui a fait beaucoup de mal dans son histoire, que ce soit aux Américains ou aux Mexicains, de toutes les couleurs et croyances ».  Une bonne nouvelle est tout de même à tirer de cette controverse. Le fait que le pays, ses médias et ses supporters se posent la question montre que définitivement, la culture du soccer s’installe aux États-Unis.

Photo de une: Même le magazine américain Sports Illustrated incite à supporter El Tri

Antoine Latran
Antoine Latran
Rédacteur Etats-Unis pour @LucarneOpposee et @MLShocker, à suivre sur @AntoineLatran et @FrenchSounders