Ce jeudi, Panamá a vécu sa dernière émotion mondiale en Russie, l’aboutissement d’un long chemin, parsemé de joies et de peines, mais que le pays ne vient que tout juste d’emprunter.

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Après avoir acquis son indépendance de l'Espagne le 28 novembre 1821, Panamá est alors un membre de la Grande Colombie, état formé par Simón Bolívar et qui comprend notamment les actuels Colombie, Équateur et Venezuela. Il faut attendre novembre 1903 et les conséquences de la guerre des Mille Jours et les luttes autour de la construction du canal pour que cette région, devenue ensuite département colombien, acquiert son indépendance. Soutenu alors par les Américains, le pays voit alors débarquer de nombreux marines US qui vont alors essentiellement importer le baseball même si l’histoire décrit des rencontres de football organisées par les marines US sur la Plaza del Triunfo.

Reste que le football était déjà présent au pays. En 1890, le Panamá Athletic Club dispose d’une section football, sur l’autre rive, du côté de Colón, le Colón Sport Club voit le jour en 1894 joue aussi au football. Il faut cependant attendre les années vingt pour qu’il s’organise véritablement. L’idée d’une ligue est importée par la communauté afro-antillaise à partir de 1918, mais aussi impulsée par des migrants venus d’Europe, notamment des religieux, et Centro-Américains. Parmi eux, le Coronel Gabriel Barrios. D’origine guatémaltèque, Gabriel Barrios est un mécène important au pays, il joue un rôle central dans la promotion et le développement du sport au Panamá et reste encore aujourd’hui comme le père du football sur l’isthme. Après que les antillais ont créé l’Isthmian Football League en 1923, aux côtés de Richard Newmann et de José De La Cruz Turcios y Barahona, Gabriel Barrios créé la Liga Nacional de Football à laquelle six équipes participent. Le football s’organise ainsi mais reste clivé entre les deux rives. Panamá manque d’un rien de participer à la première Coupe du Mode, la Liga Nacional de Football ayant décliné l’invitation de l’AUF et il faut alors attendre la fin des années trente pour que la fédération panaméenne de football soit créée, fusion de la Liga Nacional de Football qui représentait essentiellement la ville de Panamá et de la Liga Atlántica de Football fondée du côté de Colón. La sélection peut alors disputer ses premiers matchs. La sélection affronte le Costa Rica pour sa toute première représentation (match nul 2-2 en 1937) et participe aux Jeux Centroaméricains et des Caraïbes en 1938 qu’il organise. La sélection s’impose face au Venezuela (premier match officiel de la Vinotinto) avant d’encaisser un terrible 11-0 face aux Ticos, le plus gros revers de son histoire. Les décennies suivantes sont pourtant celles de l’isolement. Si Panamá participe aux Jeux Centroaméricains et des Caraïbes mais reste isolé, ne participe à aucune grande compétition, attendant par exemple 1976 pour prendre part à des éliminatoires pour la Coupe du Monde, débutant, comme un symbole, par une victoire face au Costa Rica. Mais son football reste en retard, à l’image de son championnat qui doit attendre 1988 pour enfin devenir professionnel.

La révolution Dely Valdés

« Quand j’ai débuté, le football n’était pas professionnel au Panamá, c’était le quatrième sport national derrière le baseball, le basket et la boxe. Pour faire une carrière professionnelle, il fallait s’en aller. Mon frère avait obtenu une bourse pour aller jouer à Argentinos Juniors. Il m’a dit de le rejoindre, j’ai évolué en quatrième division argentine avant d’aller au Nacional de Montevideo en 1989, j’avais 22 ans », explique Julio César Dely Valdés, celui qui va être plus tard à l’origine de la révolution de la sélection. La sélection des années quatre-vingt est avant tout une histoire de descendants naturalisés, celle des années quatre-vingt-dix voit arriver des joueurs locaux partis exercer leurs talents ailleurs, souvent en Europe à l’image de Dely Valdés ou du regretté Rommel Fernández. Mais les années quatre-vingt sont aussi celles d’une profonde crise qui va entraîner l’intervention de la FIFA et la désaffiliation et donc l’isolement total du pays pendant quatre ans. Les divisions qui règnent au pays vont prendre fin au milieu des années 90 suite notamment à l’intervention de la CONCACAF, la sélection profite de l’instauration de la Copa Centroamericana qui lui offre plus de rencontres de haut niveau, les années 2000 vont être celle du décollage. Son championnat s’organise véritablement, prend la place des ligues locales qui avaient tant de mal à parler d’une seule et même voix.

En 2005, les Canaleros retrouvent la Gold Cup après douze années d’absence. Emmenés par le capitaine Dely Valdés, ils se hissent en finale en battant notamment la Colombie à deux reprises au cours du tournoi. Deux ans plus tard, l’ancien avant-centre du Paris Saint-Germain prend sa retraite, il revient prendre les rennes de la sélection en 2010 alors que le nom d’Alfio Basile était évoqué. Avec son frère José, qui s’occupait des catégories de jeunes au pays, il va révolutionner le fonctionnement de la sélection. Marqué profondément par Óscar Washington Tabárez, qu’il désigne comme sa principale source d’inspiration, il professionnalise la sélection, il fixe surtout des objectifs individuels et collectifs qu’il convient de remplir : « je me souviens que lors de ma prise de fonction, je me suis réuni avec sept-huit joueurs et avec Jorge, nous avons été clairs : il fallait faire partie des meilleurs de la zone. Pour cela, nous devions changer plusieurs choses, tout étant lié aux quatre-cinq points sur lesquels nous avons insisté auprès des joueurs ». Parmi ces points, la discipline individuelle et collective, l’implication. Certains joueurs, même des cadres, seront, un temps, écartés du groupe au moindre acte d’indiscipline : Armando Cooper et ses maux de tête pour échapper à un entraînement, Luis Tejada, Gabriel Gómez, le regretté Amílcar Henríquez également. Dans un rapport qu’il publie quelques mois après son départ, Dely Valdés explique que « toutes ces décisions nous ont aidé, nous ont renforcé en tant que groupe ». Le message passe, les joueurs adhèrent. La gestion à deux têtes des jumeaux Dely Valdés, parfaitement complémentaires, fonctionne, les résultats ne tardent pas. Au cours des trois années de gouvernance des deux frères, Panamá dispute des rencontres amicales contre des adversaires de haut niveau comme l’Espagne ou le Portugal, mais surtout se hisse au rang de sensation lors de la Gold Cup 2011 en faisant notamment tomber les USA lors de la phase de groupe avant, en 2013 de s’offrir deux fois le Mexique et perdre en finale, à nouveau face aux USA. La dynamique est lancée, les joueurs panaméens, qui s’exportent sur le continent (Nord et Sud compris) ou en Europe, se connaissent par cœur, le groupe change peu, à peine modifié par l’émergence de nouveau talents, des joueurs que Jorge Dely Valdés, ancien sélectionneur des jeunes, connait parfaitement. Avec les jumeaux, Panamá mime à son échelle le processus uruguayen, la continuité entre les sélections, les différentes étapes à franchir. Surtout, il acquiert une confiance, une discipline collective qu’il faut alors matérialiser lors des qualifications pour la Coupe du Monde. Brésil 2014 passera à un rien.

Du silence du Rommel Fernández à la joie russe

Le football est aussi cruel qu’il aime rappeler à ses nouveaux ambitieux que le travail mérite récompense mais que celle-ci ne vient pas forcément immédiatement. Dernière journée de l’Hexagonal 2013, Panamá accueille les USA déjà qualifiés. Lorsque Luis Tejada double la mise pour les Canaleros, l’Estadio Rommel Fernández chavire, la Coupe du Monde est à portée de main. Car dans le même temps, le Mexique est mené au Costa Rica, cette victoire place Panamá à la quatrième place, devant le Tri, il est donc barragiste. L’euphorie est totale, elle ne dure qu’un temps. 93e minute, Brad Davis déborde côté gauche et centre, Graham Zusi place sa tête et offre l’égalisation aux USA. La Coupe du Monde s’envole. Dans la minute suivante, Jóhannsson offre la victoire aux Américains, envoie le Mexique en barrage et plonge tout un pays dans un silence assourdissant. L’ère Dely Valdés s’arrête ainsi, elle est brutale. Mais Panamá ne se désunit pas. De ce traumatisme, il va en tirer sa force. Pour succéder aux jumeaux Dely Valdés, la fédération nomme Hernán Darío Gómez. Ancien adjoint de Maturana, à la tête de sélections lors de quatre phases finales de Coupe du Monde, el Bolillo ne vient pas pour tout remettre en question. Il s’inscrit dans la continuité, s’appuie sur le travail déjà effectué et, à la confiance acquise, le Colombien ajoute l’ambition par le jeu mais garde toujours un seul et unique objectif : Russie 2018. S’appuyant sur ce groupe bâti par Dely Valdés, il passe à l’étape supérieure, Panamá va rapidement devenir une équipe à suivre en CONCACAF. Troisièmes de la Copa Centroamericana de 2014, les Canaleros retournent la Gold Cup 2015 et étalent leurs nouveaux principes : bloc resserré, pression haute et jeu au sol. Il faudra un scandale arbitral pour les priver de finale alors même qu’ils avaient bousculé le Mexique en jouant une grande partie du match en infériorité numérique. Reste qu’alors, Panamá a pris rendez-vous. Les qualifications pour la Coupe du Monde débutent alors, elles vont confirmer ce que l’Amérique du Nord entrevoyait, Panamá est un vrai candidat. Une sensation confirmée durant cette période par une Copa América Centenario qui les aura vu dominer outrageusement la Bolivie avant de regarder droit dans les yeux le Chili, futur vainqueur de l’épreuve. Les Canaleros passeront neuf des dix journées de l’Hexagonal final dans le top 4, synonyme d’au minimum une place en barrage intercontinental, six d’entre elles dans le top 3 synonyme de qualification directe. Ils acquièrent celle-ci lors de l’ultime journée profitant d’une défaite américaine à Trinidad y Tobago qui leur permet d’éviter le barrage. Trente ans après avoir découvert le professionnalisme, Panamá découvrira la Coupe du Monde, le silence du Rommel Fernández a fait place à un cri de joie commun, l’isthme devient un mondialiste.

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Hay un gran futuro

Comment analyser la prestation des Canaleros à la Coupe du Monde sans prendre en compte l’histoire du football de cette nation ? Certes on pourra regretter que la sélection centroaméricaine a montré trop de respect envers ses adversaires, a parfois/souvent paru paralysée. Mais dès le départ son sélectionneur n’aura eu de cesse de rappeler à quel point Panamá est « jeune » à ce niveau, à quel point son football ne fait véritablement que commencer. La courte histoire relatée ici en apporte une preuve supplémentaire. Pendant que certains s’amusent à dénigrer une nation dont le football s’éveille au monde à travers la plus belle des compétitions, d’autres, plus respectueux, plus constructifs, rappellerons que ces Canaleros-là se mesurent désormais à des équipes européennes lors de matchs de préparation, ont résisté une mi-temps à la Belgique, annoncé outsider de l’épreuve, ont marqué leur premier but dans la plus belle des épreuves face aux pères fondateurs, ont mené au score à la pause face à une Tunisie qui leur était supérieurs. Des points que le sélectionneur a tenu à rappeler avec fermeté lorsqu’un journaliste panaméen a eu l’audace de lui dire que son équipe était la pire du mondial : « La pire équipe ? Pour dire cela, il va falloir tout comparer : l’éducation et la formation de nos footballeurs, le niveau et l’organisation de notre championnat en comparaison de celui des équipes que nous avons affrontées. De combien de terrains disposons-nous ? De quelles infrastructures dispose la sélection ? Quelle est notre histoire footballistique en comparaison de celle des sélections que nous avons affrontées ? Dire que nous sommes nouveaux n’est pas un discours, ce n’est pas un mensonge. C’est une réalité. Nous sommes l’équipe la plus jeune à ce niveau, celle qui doit affronter les plus grandes difficultés, mais certainement pas la pire. Il faut apprendre à respecter cette sélection ». Des propos similaires à ceux tenus par Felipe Baloy, l’homme qui restera dans l’histoire du football panaméen comme le premier buteur canalero en Coupe du Monde : « Quand tu arrives ici, tu te rends compte du niveau des autres sélections et de tout ce qu’il nous manque pour pouvoir lutter avec eux. Il nous manque tant. Le processus pour la prochaine phase éliminatoire doit débuter maintenant. Les personnes en charge du football à Panamá doivent se rendre compte que nous n’avons rien pour nous entraîner, nous reposer, nous alimenter convenablement. Mais pas seulement nous, les jeunes aussi, ceux des catégories inférieures qui sont le futur du pays. Désormais, il est temps de prendre conscience que la sélection est une priorité, que les joueurs sont une priorité. Nous avons vécu un Mondial sans savoir à quoi nous attendre. Maintenant nous savons, il faut prendre modèle sur les pays voisins comme le Costa Rica pour voir comment nous devons nous développer. Si nous voulons lutter contre les autres sélections, il va falloir travailler sur la base ».

Car oui, l’élément central est ici : Panamá vient de naître, il doit désormais se développer. Plusieurs projets sont lancés au pays pour les jeunes, qu’ils soient sociaux utilisant le football ou purement sportifs. Les passerelles avec l’étranger s’établissent : La MLS a ainsi envoyé des entraîneurs détecter des talents dès 2015 (rappelons que plusieurs internationaux actuels évoluent ou ont évolué en MLS), le Real Madrid ou la Fondation FCB du Barça développent des projets sociaux et sportifs avec notamment la formation de jeunes entraîneurs. C’est dans ce cadre qu’un partenariat a ainsi été établi via le projet Campus Panamá avec le Córdoba Club de Fútbol qui a ainsi permis à des jeunes d’effectuer un stage de formation au sein du club espagnol. Le nombre de projets misant sur le football ne cesse de croître et certains clubs locaux, parfois soutenus par des entreprises privées qui bénéficient d’avantages fiscaux, misent désormais sur la formation, se dotent de structure véritablement professionnelles mimant les modèles européens. Le meilleur exemple est le Club Atlético Independiente de La Chorrera qui a lancé en début d’année la construction de son complexe sportif, partie prenante du Proyecto C.A.I., qui lui permettra de posséder son académie qui formera des u7 aux pros (sans oublier les sections féminines). Un vaste chantier qui porte déjà ses fruits, le club âgé de seulement 36 ans, vient de remporter son premier titre lors du Clausura panaméen. Un chantier initié sur recommandation de Jorge Dely Valdés, passé par le club et aujourd’hui de retour à la tête des moins de 20 ans panaméens, et qui a pour ambition non seulement de mieux former et encadrer ses futurs talents mais aussi de lancer le mouvement auprès des autres clubs.

Outre les soutiens privés, le football panaméen peut aussi s’appuyer sur celui du ministère public. Soutien du projet Campus Panamá cité ici, le gouvernement a ainsi rappelé par la voix de Fernando Royo qu’il a investi plus de 200 millions de balboas (un peu plus de 170 millions d’euros) dans le développement des infrastructures sportives et qu’il accompagnera les projets de ce type. Début mai, le président de Panamá, Juan Carlos Varela, s’est rendu au Costa Rica afin d’observer le fonctionnement de la fédération locale et s’en inspirer pour le développement du football panaméen. Aux côtés du président de la fédération locale, Rodolfo Villalobos, Juan Carlos Varela a ainsi pu observer les récentes installations utilisées par la sélection costaricaine et annoncé la recherche d’un terrain pour réaliser un centre similaire au pays. La présence des anciens et le rôle que vont jouer les nouveaux retraités désormais mondialistes, va être essentielle pour ce développement.

En 1956, au Congrès de Berne, Carlos Dittborn vient défendre la candidature chilienne à l’organisation de la Coupe du Monde devant les instances de la FIFA et rappelle l’article 2 qui indique alors l’un des rôles de la FIFA : « fomenter le football dans les pays peu développés à travers la Coupe du Monde ». Le Chili décroche alors l’organisation de l’épreuve, il réorganise son football local, son fonctionnement, sa sélection, se dote d’infrastructures, l’histoire de son football en est alors totalement et définitivement changée à jamais (pour en savoir plus, lire LO magazine numéro 3). Il en tire les bénéfices sportifs plus d’un demi-siècle plus tard. Plus de six décennies plus tard, la FIFA garde pour mission celle « d’améliorer constamment le football et de le diffuser dans le monde en tenant compte de son impact universel, éducatif, culturel et humanitaire, et ce en mettant en œuvre des programmes de jeunes et de développement ». Le football et ses suiveurs devraient se réjouir de voir de nouveaux territoires apparaître, se développer, voir leur travail entrepris depuis une bonne décennie être récompensés par une exposition telle que la Coupe du Monde. En 2018, ils devraient se réjouir et espérer que Panamá saura utiliser cette vitrine pour poursuivre sa croissance. Le football panaméen est encore jeune, le chantier est immense au pays mais les Canaleros de 2018 resteront à tout jamais des pionniers, ceux qui l’ont initié, ceux qui ont définitivement lancé une nouvelle ère, à la condition que le pays se serve de cet héritage pour continuer de travailler. Le football a ainsi un avenir au pays, les nombreux jeunes (Michael Murillo (22 ans), Fidel Escobar (23 ans), Édgar Bárcenas (24 ans), Ricardo Ávila (21 ans), José Luis Rodríguez (20 ans), Ismael Díaz de León (21 ans), Abdiel Arroyo (24 ans)) qui forment sa sélection actuelle vont ainsi pouvoir continuer à le faire avancer, forts de cette expérience mondiale. Ils feront partie des cadres de demain avec les presque trentenaires qui vont pouvoir poursuivre l’aventure jusqu’au Qatar, le prochain objectif. Une chose reste cependant certaine : Panamá était tout sauf une erreur de casting, il est la plus belle preuve que le sport roi n’a pas fini sa croissance.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.