En conférence de presse d’avant-match, el Maestro Tabárez est revenu sur plusieurs sujets entourant le choc Uruguay – France de demain. Mais a aussi livré une leçon de respect et d’humilité, plus que jamais dans l’identité uruguayenne. Morceaux choisis.

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La France : « jamais notre ennemi »

La France est une sélection très forte, avec qui nous avons de nombreux liens, de respect, culturels. Je suis allé à l’école publique, la première langue que j’ai apprise au lycée après l’espagnol était le français, « le français au lycée » (NDLR : en français dans le texte). L’Uruguay a remporté son premier titre international en France, la France a marqué le premier but d’une Coupe du Monde en Uruguay et il y a un monument à Montevideo qui lui est dédié (NDLR : lire A la recherche de Pocitos). Il y a des liens culturels évidents. De toutes les grandes équipes de l’élite, c’est celle qui a le plus joué contre nous et c’est un grand signe de respect. Quand nous cherchions un adversaire de grand niveau, la France a toujours répondu présente quand d’autres pays ont refusé. C’est une sélection toujours bien organisée. Quand je travaillais pour la FIFA en 1998, j’ai appris de leurs centres de formation qui sont un exemple et d’où sont sortis des Thierry Henry ou Anelka, nous avons visité Clairefontaine, vu de nombreuses choses que nous avons pris en compte pour notre projet de travail. C’est pour cela que la France sera notre grand rival de demain mais jamais notre ennemi.

Le modèle uruguayen : « la passion pour le football, notre plus grande force »

Parfois les gens pensent que seul le mérite individuel permet d’accéder à la Coupe du Monde. Ce n’est pas vrai. Travailler au sein d’un groupe est important. Et là encore, tu dois analyser plus que le football. Tu dois analyser les forces et les faiblesses de ton pays. En Uruguay, nous avons cherché à voir comment retrouver ce que nous avions perdu il y a de nombreuses années, des choses qui nous avaient permis de remporter de nombreux succès dans la première moitié du XXe siècle. Je pense que nous y sommes parvenus. L’une des raisons est la passion pour le football, notre histoire footballistique. Nous avons réussi à retrouver les aspects positifs que nous voulons désormais répéter. Travailler avec les jeunes est important mais chaque pays est différent. Je ne sais pas si d’autres pays peuvent avoir la même réalité que nous en ce qui concerne le football chez les jeunes. C’est l’activité footballistique qui attire le plus de gens dans mon pays, plus que le football pro. 300 000 personnes les samedis et les dimanches, entraîneurs, enfants, pères, mères, spectateurs assistent à ces matchs. C’est une telle passion que je ne sais si d’autres pays connaissent la même. La passion se forme, s’alimente mais en Uruguay, elle existe. C’est notre grande force. Si une grande tragédie faisait disparaitre le football « infantiles » en Uruguay, ce ne serait plus pareil. Federico Valverde, un joueur de la sélection, qui n’est pas ici mais qui est un joueur de la sélection, avait neuf ans quand la sélection était en Afrique du Sud et aujourd’hui, il s’entraîne avec des joueurs qu’il a vu jouer là-bas. Je pense que c’est l’objectif le plus important. Un joueur de la sélection m’a dit une fois que la vie c’est cela, d’enseigner aux autres et d’établir des ponts. Je pense, je suis convaincu que c’est vrai. Tout projet important doit apparaître des difficultés, des manques de succès et dès lors, tu dois savoir ce dont tu as besoin, ce que tu veux et commencer à construire quelque chose de nouveau. C’est un processus permanent, il ne peut jamais être accompli. Je pense que la chose la plus importante est que nous sommes capables de reproduire des choses que nous faisions il y a déjà huit ans.

Nous connaissons notre réalité. De nombreuses personnes parlent sur le type de pays que nous sommes, combien d’habitant nous avons, nos caractéristiques, nos faiblesses. Nous les connaissons. Cela fait partie de notre vie. Nous l’avons toujours su en préparant nos matchs ici, mais c’était déjà le cas en Afrique du Sud ou en 1950. On verra ce qu’il se passe demain. Historiquement, une chanson le dit une chanson d’un chanteur uruguayen « nunca favoritos, siempre desde atras » (NDLR : Jamais favori, toujours à revenir au score), c’est notre réalité. En quelque sorte, c’est une fierté, cela peut être une limite mais c’est la base de ce que nous faisons, c’est la racine de nos efforts. Alors les gens peuvent avoir des idées préconçues, mais le match de demain sera décidé par les joueurs présents sur le terrain. Leur expérience, individuelle, collective, les entraîneurs peuvent influer, mais ce sont eux qui vont prendre les décisions et déterminer d’un grand nombre de choses, ce qui est important, ce qui ne l’est pas, ce qui sera déterminant. J’ai de grands espoirs, je suis excité à l’idée de gagner ce match et bien sûr que nous devons être optimistes et penser à cette éventualité. Mais que nous le croyions ou pas, je pense que cela est une affaire privée, si tu commences à le dire en public, cela nuit à la concentration. Une équipe qui n’est pas concentrée ne connait plus sa réalité, ses forces, ses faiblesses et oublie comment elle peut affronter son adversaire. Ainsi, je ne pense pas aux trois prochains matchs, je pense à celui de demain car nous affrontons une grande équipe. Le football français est très fort historiquement, par la capacité de cette équipe qui a incorporé de nombreux jeunes, certains étaient de la finale des u20 contre l’Uruguay (NDLR : finale remportée par la France). Donc ce ne sera pas facile mais nous ne pensons pas que cela est pour autant impossible. Il y a une chance, et nous allons nous concentrer là-dessus, nous sommes impatients d’essayer et si nous y parvenons, ce sera merveilleux.

Descolgando el Cielo - Edu Pitufo Lombardo, la chanson à laquelle el Maestro fait référence

Didier Deschamps : « intelligence et pragmatisme »

Tous ceux qui ont été dans le football depuis plusieurs années se connaissent. Cela montre aussi ta grandeur quand tu mets en valeur les qualités des contemporains. Deschamps était un joueur de la Juve quand j’étais à Milan. Il était un grand milieu, il a ensuite entraîné, nous l’avons déjà rencontré et je crois qu’il a mis en place un jeu très adapté aux caractéristiques de ses joueurs et c’est un signe d’intelligence et de pragmatisme, deux choses essentielles pour connaître le succès. Si tu as un joueur rapide, tu as un jeu direct, si tu as des joueurs créatifs, comme Griezmann, tu dois leur donner la possibilité d’être libres. Nous allons affronter une grande équipe. Je pense que la France est puissante dans cette Coupe du Monde, nous savons ce qu’ils font, nous avons analysé leur style, parlé de leurs forces et nous allons essayer de contrôler leurs forces et de leur créer des problèmes défensifs.

La blessure de Cavani : « 24 heures de patience »

Depuis qu’il s’est blessé, il est touché, il travaille dur pour revenir et c’est ce qu’il fait toujours. Il a redoublé ses rêves, ses espoirs. C’est un joueur très important pour nous. Nous avons donné suffisamment d’informations sur Cavani, nous avons communiqué auprès de la presse avec deux communiqués. Il semble que le premier n’a pas été lu. Il y a eu alors beaucoup de rumeurs, et dans le second communiqué toutes les informations ont été données, mais il n’a pas été lu non plus. Beaucoup ont consulté des professionnels qui ne sont pas ici. Je ne veux pas entrer dans certains petits jeux qui peuvent convenir à ceux qui ont une vision du journalisme que je ne partage pas. Je ne dirai rien de plus parce que j’en ai suffisamment dit. Dans 24 heures vous verrez et vous saurez qui jouera, qui sera sur le banc. Certains disent qu’on joue avec cela, nous ne voulons créer aucune rumeur, je n’ai pas toutes les infos côté France alors je ne donnerai pas toutes les infos nous concernant.

L’arbitre et le match : « ne pas renoncer à nos forces »

On ne m’a jamais rien demandé lors des matchs précédents mais là, si. Je vais vous donner un élément : nous n’avons jamais gagné quand il nous a arbitré. Je ne rentrerai pas dans ce jeu, qu’importe sa nationalité, c’est un bon arbitre, de grande expérience. Rapport au match, nous dépendons beaucoup de notre force défensive parce que ce sont des situations que tout le monde doit affronter au cours du match. Ce qu’il se passe sur le terrain se résume en quatre points tactiques : comment on attaque, comment on passe d’attaque à défense, comment on récupère la balle et comment alors on passe de la défense à l’attaque. Une équipe qui n’est forte que dans un seul de ces aspects n’est pas complète. Je ne dis pas que nous sommes totalement équilibrés mais nous n’allons pas renoncer à nos forces. Nous avons cherché à nous améliorer au fil des matchs. Nous avons réussi face à la Russie, moins face au Portugal, mais nous affrontions le champion d’Europe en titre. Mais nous allons chercher à poursuivre dans cette voie.

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.