Après la Copa América et l’EURO et alors que la Gold Cup se poursuit l’année footballistique des nations est loin d’être terminée avec le tournoi olympique qui débute ce jeudi. L’occasion de revenir sur plus d’un siècle d’histoire d’une longue lutte entre deux visions du sport.

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L’histoire du football aux Jeux Olympiques remonte quasiment à l’origine de leur version moderne. Présent de manière non officielle lors des Jeux d’Athènes de 1896, un premier tournoi est organisé lors de ceux du nouveau millénaire en 1900, entrant dans le cadre des Exhibitions Mondiales et restant à l’état de « démonstration » aux Jeux de Saint-Louis en 1904, ces deux tournois n’opposant finalement pas de véritables sélections nationales. Il faut attendre 1908 pour que le football entre officiellement au programme des Jeux. Organisé par le Comité Olympique et la Football Association, il fait alors participer uniquement de véritables sélections nationales, toutes Européennes. Le football s’installe alors et voit son nombre de participants augmenter lors de l’édition 1912, dernière avant la Première Guerre.

Amateurs contres pros : les premières Coupe du Monde

Jusqu’ici réservé aux Européens, le tournoi olympique de football s’ouvre ensuite au monde. Après avoir accueilli l’Égypte en 1920, les Sud-Américains débarquent en Europe en 1924. Avec eux, le football prend une autre dimension. Totalement inconnus en France, ils sont d’abord vus comme une simple attraction, représentants d’un football exotique. Ce dont personne ne se doute alors c’est que l’Argentine et l’Uruguay ne sont plus de simples amateurs de football. Ondino Viera, sélectionneur uruguayen dans les années soixante expliquera que les joueurs celestes « ont joué pendant vingt ans pour devenir des footballeurs complets, maitrisant le ballon sachant le dompter et non se contenter de taper dedans. C’est un football d’inspiration qui n’a pas été bâti ni formaté par l’école européenne. C’était notre football, celui de la propre école que nous avons bâtie ». Après s’être moqués de la presse locale en feignant des entraînements tournant à la parodie, les Uruguayens et leur nouvelle star José Leandro Andrade (lire José Leandro Andrade : grandeur et déclin de la première star mondiale uruguayenne) mettent en pratique leur football mélange d’inspiration et de technique. Le choc est brutal pour l’Europe du football. Henry de Montherlant écrit « Nous avons ici le vrai football. En comparaison avec celui-ci, celui que nous connaissions avant, celui que nous jouions, n’était rien d’autre qu’un jeu de cours d’école. » La France est sous le charme, quatre ans plus tard, le football rioplatense poursuit sa domination à Amsterdam (lire Quand l’Uruguay apporte le football total en Europe). Pour les Sud-américains, les Jeux Olympiques d’alors représentent déjà une Coupe du Monde, l’occasion de se montrer au reste de la planète. Ce football mondialisé qui explose aux yeux des Européens valide alors le rêve du président de la FIFA Jules Rimet : le football doit avoir sa propre compétition mondiale.

 

Avec Henry Delaunay, il fait valider par le Congrès de la FIFA à Amsterdam l’organisation d’une nouvelle compétition réservée au football, la Coupe du Monde. La première édition se tient en 1930, elle n’est finalement que la conséquence d’une longue lutte entre deux mondes : celui du sport amateur, représenté par les JO, et celui du professionnalisme que la FIFA de Rimet défend corps et âme. Car le football des années vingt est en pleine mutation. Devant l’essor de la pratique, celle-ci tend à se professionnaliser et ce, aux quatre coins du monde. On passe alors lentement de « l’amateurisme marron » dénoncé par certains journalistes sportifs de l’époque, au monde professionnel, la FIFA, qui avait déjà entrouvert la porte en 1926 en laissant chaque fédération le choix de la décision de basculer dans le monde pro, capitulant en 1931 en officialisant la professionnalisation de son sport. Le conflit philosophique opposant CIO et FIFA ne fait que débuter.

L’Est maître de la guerre froide et de la lutte FIFA/CIO

Entre 1925 et 1939, le CIO, alors promoteur du sport amateur, débat et se débat pour trouver une définition de l’amateurisme, la question étant à l’ordre du jour à chaque session olympique. Si la FIFA a pris position, côté CIO, on traine encore avant de se décider. En 1933, un paragraphe est ajouté dans la charte olympique, il commence à préciser la notion d’amateurisme, définition absente jusqu’ici : « Pour être admis à représenter un pays aux Jeux Olympiques, il faut satisfaire aux obligations minima ci-après, à savoir : – n’être pas ou n’avoir pas été, en connaissance de cause, professionnel dans son sport ou dans un autre sport, – n’avoir pas reçu de remboursement de compensation de salaire perdu, – signer la déclaration sur l’honneur : ‘Je soussigné déclare sur l’honneur être amateur conformément aux Règles Olympiques de l’Amateur’. » Cinq ans plus tard, alors que la politique s’empare du football et du sport en général, le CIO la précise davantage, assoit le statut amateur comme prérequis à la participation : « Ne pourra être qualifié pour participer aux Jeux olympiques : 1- Celui qui est ou aura été en connaissance de cause professionnel dans son sport ou dans un autre sport. 2- Celui qui aura reçu des remboursements pour compensation de salaire perdu. Le congé dans les conditions normales de la profession, ou le congé accordé dans les mêmes conditions à l’occasion des Jeux olympiques, et sous la réserve qu’ils ne constituent pas de façon détournée un remboursement direct ou indirect du salaire perdu, et le paiement à titre de tolérance tout à fait exceptionnelle, après une enquête individuelle, et sous la forme d’un versement direct à l’employeur, d’une indemnité payée pendant son absence, à l’épouse, la mère ou le père d’un athlète, s’il est le seul soutien de sa famille, ne tombent pas sous le coup de l’art. 2. 3-Celui qui est professeur rétribué d’éducation physique ou de sport, exception faite pour celui qui, en même temps que les matières normales du programme d’études, donne accessoirement l’enseignement élémentaire de l’éducation physique ou des sports. »

Le conflit mondial de milieu de siècle laisse ensuite place à la guerre froide. La politique a définitivement posé ses griffes sur le sport et vient ajouter une couche supplémentaire à la distance prise entre le football et les JO que le conflit entre mode amateur et monde pro a déjà séparés. Cette profonde division profite au bloc de l’Est, dont les équipes de l'époque sont composées de sportifs amateurs, les joueurs ayant tous des emplois au sein de l'Etat mais pratiquant le football à temps plein, sorte d’héritage de « l’amateurisme marron » des années vingt/trente. Conséquence, alors que le football a placé la Coupe du Monde comme compétition majeure, le tournoi olympique de football devient une affaire soviétique, le bloc de l’Est remportant vingt-trois des vingt-sept médailles mises en jeu entre 1948 et 1980 (seuls la Suède (en 48 et 52), le Danemark (en 60) et le Japon (en 68) parvenant à s’insérer dans le palmarès). C’est par les JO que le Onze d’Or hongrois décroche les titres qu’il mérite mais dont la Coupe du Monde le prive, par les JO que les Yashin et autres Streltsov décrocheront un or mondial. Le football au JO est devenu un football différent de celui des Coupes du Monde. La FIFA et le CIO, longtemps divisés, cherchent alors à trouver un compromis pour mettre fin à cette outrageante domination.

Le compromis de la jeunesse

Les bases de celui-ci sont trouvées à l’occasion des Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984. Pour la première fois de l’histoire, le football olympique s’ouvre au monde pro. Désireuse de protéger sa Coupe du Monde, la FIFA impose alors que les joueurs participants à l’épreuve olympique n’aient pas disputés plus de cinq matchs en équipe A pour les membres de l’UEFA et de la CONMEBOL, restriction qui n’existe alors pas pour les autres (Asie, Afrique, Océanie et CONCACAF). La France remporte alors les Jeux face au Brésil, la porte est ouverte. En 1992, sans doute pour mettre définitivement fin à la domination soviétique (l’URSS est championne olympique en 1988), l’ouverture devient totale, le règlement est modifié pour que seuls les pros de moins de vingt-trois ans soit sélectionnables. Reste que CIO et FIFA ne parviennent toujours pas à aller ensemble dans la même direction, cette dernière ne faisant pas du tournoi olympique un tournoi inscrit dans son calendrier, elle laisse alors les clubs professionnels seuls décideurs de la sélection de leurs meilleurs jeunes. Les fédérations se retrouvent alors contraintes à négocier individuellement avec les clubs, les sélections olympiques sont souvent privées de leurs meilleurs espoirs. Preuve s’il en fallait que la lutte CIO – FIFA débuté dans les années vingt entre ses deux présidents d’alors, Jules Rimet et Henri de Baillet-Latour, reflet d’une opposition éternelle entre deux visions du sport, reste, malgré les compromis, un solide héritage.

 

Pour aller plus loin sur la lutte idéologique CIO – FIFA des années 25-39 : Le conflit entre le C.I.O. et la F.I.F.A. dans l'entre-deux-guerres. Les Jeux olympiques contre la Coupe du Monde de football par Florence Carpentier Staps, 2005/2 (no 68).

 

Crédit pohot : imago images/Bildbyran

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.