Près de 20 ans plus tard, River se retrouve à nouveau au pied d’une montagne mondiale. A l’occasion de son retour au Japon quelques mois après la Suruga Bank (lire Copa Suruga Bank 2015 : River s’offre un nouveau titre), le coach millonario s’est livré à un long entretien sur Olé. Pour bien préparer le premier rendez-vous de demain, LO vous en propose sa traduction. Morceaux choisis.

Cela faisait près de 20 ans que River n’était pas retourné au Japon pour tenter d’y décrocher une couronne mondiale. Battu par la Juventus de Zidane et Del Piero à Tōkyō, Marcelo Gallardo, alors sur le banc, revient sur les traces de ce glorieux passé, prêt à se confronter à l'ogre Barcelone. A l’heure où tout le monde s’attend déjà à un choc Barcelone – River, el Muñeco se livre, évoque l'incroyable année 2015 vécue par son club, parle de son adversaire promis en finale mais n’oublie pas que le plus dur sera d’abord d’atteindre la finale.

Tu imaginais vivre une telle année et demie ?

On imagine toujours. Quand je suis arrivé au club pour être l’entraîneur, je visais le meilleur, comme toujours et je suis heureux de l’avoir obtenu. Des choses fortes se sont passées sur et en dehors des terrains, elles m’ont procurées une grande satisfaction.

Et maintenant, comment ça va ?

Bien, très bien

Fatigué ?

Ce qui nous attend est trop important pour se poser ce genre de question.

Et River va comment ?

De même. Tout ira bien.

« Deux équipes brésiliennes comme l’Inter de D’Alessandro et l’Atlético Mineiro de Ronaldinho n’ont pas passé la demi-finale. »

Ce que tu as dit suite à l’élimination contre Huracán. C’était de la conviction personnelle ou juste la version officielle ?

Je le pensais. Regarde, tout le monde parle de notre chute. On détecte les problèmes et on essaie de prendre les mesures pour les solutionner. Nous n’avons d’autre choix que de travailler sur ces points. Et nous, entre autre, nous payons la facture de nos voyages. Quand nous sommes allés à Chapecó, nous en étions à plus de 100 000 kilomètres parcourus. Cela à un prix...

Et il y a eu des chutes individuelles importantes

Si trois ou quatre de tes joueurs déclinent, la structure et le collectif de ton équipe peuvent le compenser. Si il y en a plus qui tombent, ça devient plus compliqué. Cela peut arriver, personne n’est une machine. J’insiste, nous ne nous sommes jamais arrêtés et nous avons pris du plaisir. On a gagné la Sudamericana et l’énergie s’est maintenue. Puis nous avons gagné la Libertadores. Nous savions quelle mauvaise passe nous traversions. Je n’ai aucun doute sur le fait que nous serons compétitifs.

C’est-à-dire ?

Qu’on va se battre. Comme toujours l’a fait cette équipe. On sait que dans un premier temps, nous avons une partie très difficile à négocier. Très difficile. Il ne faut pas oublier que deux équipes brésiliennes comme l’Inter de D’Alessandro et l’Atlético Mineiro de Ronaldinho n’ont pas passé la demi-finale. Et que pour San Lorenzo cela a été des plus compliqué l’an passé. Pour cela, on doit d’abord se focaliser sur cette première étape.

Vous avez travaillé sur quels points ces derniers jours ?

Tout. Sur le physique, le mental, le sportif. Comme toujours.

Vous avez vu et analysé vos adversaires potentiels ?

On a regardé et étudié toutes les possibilités mais nous devons attendre puisqu’il manque une partie. Entre Sanfrecce et Mazembe, on aura à jouer des rivaux aux caractéristiques très différentes.

Que River puisse récupérer et compter sur Pisculichi est fondamental ?

Oui parce que nous n’avons aucun autre joueur de ses caractéristiques.

On t’a vu beaucoup parler avec Carlos Sánchez. Sa décision t’a peiné ?

Nous avons beaucoup parlé de choses personnelles et j’ai compris sa position et celle de sa famille. Ici, le plus important est qu’il soit dans les meilleures dispositions et d’un grand niveau. J’ai une excellente relation avec lui et je suis heureux de pouvoir le récupérer parce qu’il va être essentiel. Je lui souhaite le meilleur et qu’il puisse surtout terminer son cycle à River de la meilleure des manières possible.

« Ce Barça ne ressemble en rien à celui qui avait tout gagné »

Comment imagines-tu les matchs qui arrivent sur le plan footballistique.

Qu’il ne va pas être facile de jouer contre nous tout comme il ne sera pas facile pour nous de gagner le premier match. Il a été démontré que c’est toujours difficile pour toutes les équipes sud-américaines. On espère gagner la demi-finale pour avoir une hypothétique finale face à Barcelone. Et si tel est le cas, nous devons comprendre que notre manière de vivre, de sentir les choses, notre manière de jouer contre ce genre d’équipe ne peut que faire augmenter notre niveau.

Il y a un moyen de lutter contre des machines telles que Barcelone ?

Oui.

Ce Barça est meilleur que celui de Guardiola ?

Non. Ce Barcelone repose sur trois joueurs qui sont dans une forme incroyable et qui font la différence par leurs qualités et leurs capacités mais il me semble que rien ne ressemble au Barça qui avait tout gagné.

Tu crains que cela se passe mal ?

Non, je n’ai pas peur.

Tu as passé des vidéos de Busquets à Kranevitter parce qu’il est pour toi la référence à ce poste ?

Je me sens représenté par des joueurs que je crois détenteurs de qualités, qui sont importants pour mon équipe dans l’intelligence tactique et footballistique. Quand je vois des joueurs intelligents qui comprennent tout ce qu’il se passe sur un terrain, je suis surpris et je les admire. Barcelone possède ce type de joueurs en plus des trois de devant qui peuvent te faire gagner un match. Quand tu fais tout pour les contrôler, sur un éclair d’inspiration, ils te font gagner un match.

Tu disais que personne n’est invincible…

Parce que c’est la vérité.

Ils ont des points faibles ?

C’est la meilleure équipe du monde en ce moment, ce n’est pas nouveau, mais elle n’est pas invincible. Sinon, elle gagnerait tous ses matchs. Barcelone a gagné presque tous ses matchs, presque seulement.

Tu as déjà en tête le schéma de jeu que tu vas utiliser pour jouer cette hypothétique finale ?

Non, même si on ne va pas changer par rapport à ce que vous avez vu de nous jusqu’à présent. Nous n’allons pas renoncer à nos idées. On ne va pas inventer des choses parce que nous avons été assez ouverts dans notre façon de jouer et dans l’utilisation de nos systèmes. Parler de numéros ne m’intéresse pas et dépend des caractéristiques des joueurs dont nous aurons besoin. Mais il n’y aura rien que vous n’ayez déjà vu ou que nous n’avons pas déjà essayé de faire, je pense que c’est le mieux pour notre équipe. Je considère que par rapport à ce que nous avons déjà montré, le message ne va pas changer drastiquement sous prétexte qu’on joue la meilleure équipe du monde. Après on verra comment nous résoudrons les situations parce que quand tu joues les meilleurs, tu dois réduire les marges d’erreurs et rester très concentré, avec beaucoup d’attention et réduire les moindres possibilités d’erreurs.

Et bien utiliser le ballon…

Clair. Quand tu as la balle, tu dois l’utiliser avec intelligence et savoir que si tu ne leur fais pas mal, ils finiront par te rendre les choses difficiles au point de ne pas tenir. On ne peut pas défendre en permanence.

« Le message ne va pas changer drastiquement sous prétexte qu’on joue la meilleure équipe du monde. »

Tu prévois du marquage individuel pour les freiner ?

Non. Je n’aime pas le marquage individuel parce que je considère que s’il y en a un qui se rate, c’est fini, il n’y a plus aucune possibilité de rattraper le coup.

Question facile : qui est le Messi de River ?

(Rires) Nous n’avons pas de Messi parce que Messi est unique. Mais si nous nous comportons en équipe, cette équipe que nous étions, nous pourrions être comme nous fûmes, un rival très difficile pour tout le monde. Même les meilleures équipes du monde.

Avec Funes Mori River avait son Messi en défense ?

Je souris parce que lorsque Funes Mori jouait, tout le monde voulait Balanta et maintenant que Balanta joue, tout le monde veut Funes Mori. Le football est ainsi fait, c’est comme une girouette qui tourner en fonction de ce qui arrange les gens. C’est difficile d’analyser cela, mais les tendances sont ainsi. Quand vous avez un joueur, les gens parlent d’un autre. Quand vous avez l’autre, les gens commencent à parler de l’autre. L’exemple du Mellizo est parfait en ce sens.

On va retrouver Balanta ?

Vous avez vu que nous avons énormément travaillé avec lui. C’est un garçon qui a besoin de se sentir soutenu quand il traverse une situation de baisse de confiance ou une certaine instabilité. Et Eder est un grand joueur.

On revient sur Leo, comment s’est passé ta rencontre avec lui à Barcelone ?

Quelque peu fortuite. On a partagé une table avec Mascherano mais c’était une chose fortuite, rien de plus.

Si tu devais le diriger, tu le ferais jouer à quel poste ?

(Rires) Celui qu’il préfère. C’est un joueur qui a besoin qu’on le laisse libre parce qu’il peut réellement te déséquilibrer par ses qualités au-delà de sa capacité à prendre ses responsabilités. Mais un joueur ne gagne pas seul, il doit s’appuyer sur un collectif.

Même Messi ?

Même Messi. Il doit pouvoir s’appuyer sur un collectif et Messi a besoin de ce collectif. Sinon, on aurait tout gagné non ? La Coupe du Monde, la Copa América, tout…Mais Messi dispose de ce collectif qui s’appelle Barcelone.

« Iniesta fait des choses extraordinaires parce qu’il a un cerveau »

Tu es en contact avec Mascherano depuis la victoire en Libertadores ?

Il m’a envoyé un message pour me féliciter.

Vous avez parlez du Mondial des Clubs ?

A aucun moment.

Tu le vois comme un futur entraîneur de River ?

Je vois que Javier a évolué de manière notable dans son intelligence pour comprendre ce qu’il se passe sur le terrain. Si bien que jeune il l’avait déjà, l’expérience et les années ont été des atouts importants pour lui. Aujourd’hui, c’est un homme qui est plus que prêt pour continuer à jouer et si demain il devient entraîneur, je n’ai aucun doute qu’il y arrivera. Mais ce sont deux choses bien distinctes : pour être entraîneur, il faut non seulement le sentir mais surtout être prêt parce que c’est vraiment différent.

Quand tu vois jouer Iniesta, tu te revois en tant que joueur ?

(Rires) Non, non. Je vois en Iniesta un joueur fantastique qui comprend tout ce qu’il doit faire. Avec un physique qui n’est pas dans les archétypes des athlètes actuels, il fait des choses extraordinaires parce qu’il possède un cerveau….Il a le football dans la tête. Demandez à Berizzo, Burgos ou Simeone qui les jouent régulièrement. Je connais leur réponse. Si tu joues dix fois contre Barcelone, tu en perds neuf et tu fais un nul ou une victoire. Je vais te raconter une anecdote : on venait de perdre l’été dernier contre Boca à Mendoza et un ami qui venait de jouer contre eux me dit « vous les avez joué et avez fait ainsi. On pense que nous devons aussi les jouer ainsi, qu’ils sont fort de ce côté mais si nous passons de ce côté-là… » Il faisait référence à nos matchs de Sudamericana. Je lui ai alors dit « j’apprécie que tu me demandes mon avis mais je suis en train de penser à comment je vais jouer le prochain match parce qu’on vient de perdre 5-0 ». Dans notre cas, c’est pareil. Un jour tu peux gagner comme l’a fait le Celta de Berizzo, mais demain, tu rejoues le match et l’exact opposé se produit. Je me rappelle que lorsque le Barça a perdu contre le Celta, tout le monde disait « vous voyez qu’on peut les battre ! ». Aujourd’hui, parce qu’ils en mettent 4 ou 5 à tout le monde, on nous dit qu’on ne peut pas les vaincre. Ainsi est le football : il provoque des choses rares, nous laisse entrevoir qu’il y a des possibilités qui d’un coup disparaissent, faisant croire qu’il n’y a plus d’autre chance. Et ce n’est pas vrai.

En tant qu’admirateur du Barça, la possibilité de les battre génère quoi en toi ?

Un défi spectaculaire. Et l’honneur de pouvoir les affronter signifie que tu as fait de grandes choses pour y parvenir. Comme je l’ai dit, on doit pouvoir s’appuyer sur ces grandes choses, essayer de retrouver cela et jouer un match, je dirais, quasi parfait.

« Le football sud-américain est bien plus difficile que le football européen »

Tu apprécies que des joueurs comme Mascherano ou Messi disent « on veut gagner le Mondial » ?

Ils veulent tout gagner. Ces mecs sont habitués à gagner et veulent continuer ainsi, ils ne t’offriront rien. Je sais que pour les équipes européennes, le Mondial des Clubs n’a pas la même signification que pour nous, ces gars ne t’offriront rien. Mais je sais que des Mascherano, Suárez, Neymar et Messi, savent que jouer une équipe sud-américaine n’est pas la même chose que jouer une équipe européenne. En Europe, il gagne tout le temps contre tout le monde et n’affrontent quasiment jamais les équipes sud-américaines. Et le football sud-américain (tape ses doigts sur la table) est bien plus difficile que le football européen et je le dit par mon expérience : j’aurais pu jouer 10 ans de plus en Europe si le physique me l’avait permis alors qu’en Argentine, cela m’aurait coûté plus cher.

Tu crois que c’est pour cela que ceux que tu viens de nommer éprouvent autant de respect pour les équipes sud-américaine ?

Evidemment. Parce qu’ils sont sud-américains, ils connaissent la culture de notre football.

Si tu vas en finale, tu arriveras à dormir les jours précédant le match ?

Je dors toujours.

Mais la tête fonctionne en permanence ?

Tu me demandes si je dormirais et quand je dors, je dors. Ensuite, oui, quand je suis éveillé, je n’arrête pas de penser.

Compète la phrase : « Si je gagne le Mondial des Clubs… »

Si nous gagnons le Mondial des Clubs….je n’aime pas quand on parle de « si tu gagnes » ou « j’ai gagné » parce que cela signifie que tu gagnes seul. On gagne tous ou on perd tous, je préfère le dire ainsi…

Alors « Si vous gagnez le Mondial des Clubs… »

Ce sera un rêve accompli. L’espoir nous porte, c’est clair. Nous sommes venus au Japon avec tous les espoirs. Nous sommes conscients que nous pouvons être une équipe forte dans ces matchs, sur un seul match. Mais attention : en premier lieu, il faut accéder à la finale.

 

Traduction Nicolas Cougot pour Lucarne Opposée

Nicolas Cougot
Nicolas Cougot
Créateur et rédacteur en chef de Lucarne Opposée.